Imprudence (**)

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Vivi contemplait sa jambe. Une moue boudeuse cachait sa joie intérieure de ne pas la voir peinturlurée de messages hypocrites des autres jeunes du stage. L’infirmière se désolait de voir un plâtre si triste au point qu’elle proposa de lui faire un dessin. Vivi la foudroya du regard et l'infirmière n’insista plus.

— Ton père est là, annonça, mielleuse, l’animatrice qui l’accompagnait.

L'adolescente, écouteurs fixés aux oreilles, fit mine de ne pas l'entendre et braqua son attention sur les zombies de sa console. L’animatrice attendait une réponse, un acquiescement, un mot de la part de la jeune fille. Un léger bourdonnement emplit soudainement le silence de la chambre : un téléphone portable vibrait, dissimulé sous l'oreiller.

— Ce doit être ta mère qui t’appelle, pourquoi tu ne lui réponds pas ?

— Pour la faire chier, maugréa-t-elle, ses yeux bleus rivés sur le zombie qu'elle venait de faire exploser.

La porte de la chambre s’ouvrit et son père se précipita vers elle, la prit par les épaules, se pencha à sa hauteur et déposa un baiser discret sur son front. Obligée de mettre son jeu en pause, elle pouffa d'ennui. Karl scruta ses yeux, semblables aux siens, non seulement dans la couleur, mais dans l’indifférence et la froideur qu’ils dégageaient. Avant qu’il ne l’interroge, elle lâcha avec dédain :

— J’ai pas fait exprès, ok ? J’ai pas fait exprès de gâcher ce stage de merde ni ce foutu week-end avec toi.

— Qui t’a fait ça ?

Elle fut offusquée par l'attitude de son père ; elle ne l’avait jamais vu ainsi, à tel point qu’elle abandonna son masque de je-m’en-foutisme.

— Personne, papa, répondit-elle les yeux ronds, prononçant ce mot qu’elle avait refoulé depuis un certain temps. Je suis tombée, c’est tout.

Il ne la quitta pas du regard, comme s’il doutait de sa réponse. Elle perçut de l’angoisse mêlée à de la colère. Sur le coup, elle fut surprise, car elle s'attendait à toute une flopée de remontrances la traitant d’imprudente, inconsciente pour avoir échappé à ses instructeurs et tenter une piste noire.

— Le centre m’a informé. C’est très stupide ce que tu as fait, quelqu’un t’a obligée ?

— Non.

Un silence de mort s'installa dans la chambre.

— Du coup, on rentre à Vienne ? s’enquit-elle, certainement pas ravie de ce retour inopiné chez son père.

Il se leva et lui tourna le dos, perdu dans ses réflexions. Comment faire ? Malgré le caractère apparemment fortuit de l’accident, il ne pouvait pas s’empêcher de penser à l'enveloppe. Il était persuadé que ce Parker était impliqué. Etait-ce un avertissement ? La question de sa fille était naturelle, la réponse n’était pas anodine. Il se demandait lui aussi ce qui se passerait le lendemain, seize heures.

— Non, nous n’allons pas rentrer à Vienne. Pas tout de suite.

Elle remarqua la gravité dans sa voix et hésita un instant à répliquer. Avait-elle besoin de continuer à jouer l’adolescente râleuse ? Peut-être pas, pour l’instant. Après tout, s’il voulait faire du ski et la laisser seule, cela l’arrangeait aussi.

Ses pensées furent interrompues par le riff d'un piano suivi de la voix de Nina Simone. Incrédule, elle remarqua qu'il n'avait pas changé la sonnerie attribuée à sa mère, et ce, malgré leur séparation.

La musique retentit dans la pièce le temps nécessaire à ce qu’il le sorte de sa poche, décroche et réponde sèchement un : « Je te la passe ! » Il avait compris que cette insistance s’expliquait parce que Vivi ignorait les appels de sa mère tout comme elle avait ignoré les siens.

— Tu vas répondre à ta mère, ordonna-t-il en lui tendant le portable.

Apathique, la jeune fille le prit. À peine souffla-t-elle un « Oui, maman ? » que de l’autre côté du téléphone un strident « Ça va, ma chérie ? » l'obligea à éloigner l’appareil de son oreille. Vivi lança un regard noir à son père tandis qu’elle ponctuait la conversation par des monosyllabes ou des bougonnements.

Karl sortit dans le couloir, il ne voulait pas l’entendre, ni de près ni de loin. Il réfléchissait à ce qui l’attendait. Si ce n’était pas un avertissement, devait-il craindre quelque chose ? Une infirmière poussant un fauteuil roulant s’approcha. Tout sourire, elle l’informa que sa fille devait passer voir le kiné pour qu'on lui montre comment utiliser les béquilles. Il lui emboîta le pas pour retourner dans la chambre.

— Papa, c'est qui Parker ? demanda Vivi en lui rendant le téléphone.

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