Club de tir (***)

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Sidéré par l’accusation de Parker, Karl le toisa, en silence. Que répondre à ce parasite qu'il trouvait aussi envahissant qu'une tumeur ? Il n'émit qu'un souffle de dédain et ne put s'empêcher de se souvenir d'Éva, de leur flirt... C'en était assez. Sans un mot, il lui tourna le dos, prêt à partir.

— Cette pauvre Éva est morte juste après votre intervention, ajouta Parker en le retenant par le bras.

Outré, Karl vit cette patte sur lui avec dégoût. Il faillit la chasser d'un geste violent, mais son interlocuteur fut plus rapide et retira sa main. Parker remit ses lunettes, les poussant au bout de son nez, sa bouche esquissait un sourire satisfait.

L'image d'Éva devint plus nette dans l'esprit du médecin. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, elle s'était présentée en tant que journaliste. Puis, ce fut la dégringolade. Le destin les avait rassemblés à chaque fois d'une manière étrange. Il n'aurait jamais cru la revoir comme patiente.

— Infection nosocomiale. Le risque zéro n’existe pas, affirma Karl, coupant court, cette fois-ci bien décidé à s'éloigner.

— Vous voyez ? Vous savez bien de qui je parle, lança l'autre, moqueur.

L'ignorant, Karl tourna les talons, de longues foulées accompagnaient sa démarche. Pour le moins inquiet, plutôt ravi de l'effet produit, Parker le suivit, prêt à répandre encore du vénin.

— Cette pauvre Éva ne put échapper à une malheureuse infection ! Quoique... c'est tellement facile à inoculer. D'ailleurs, vous auriez pu en faire un légume et profiter ainsi de ses organes.

À l'écoute de ces propos insanes, Karl s'arrêta. Le discours de ce type n'avait ni queue ni tête, mais curieusement, il lui rappela certains détails la concernant. Le hasard ne cessait pas de la mettre sur son chemin.

— Pourquoi aurais-je fait cela ? demanda-t-il, presque comme s'il se posait la question à lui-même.

Autour d'eux, la rue était déserte. Un couple sortit du portail devant lequel ils avaient discuté et stoppa à quelques mètres d’eux, oubliant le grésil.

« Trafic d’organes ? » s'étonna Karl. Avait-elle abordé ce sujet ? Il n'en savait rien. Il ne savait toujours pas que penser d'elle. Tout ce qu'il retenait était son arrivée dans sa vie à un très mauvais moment. Avec un mariage qui battait de l'aile, elle n'avait fait qu'accélérer sa chute.

Le parasite l'observa, pensif, puis asséna le coup de grâce :

— Oh ! Je ne sais pas... pour protéger votre mariage ? Et finalement, votre femme vous a quitté pour un autre... Pauvre Éva, se salir les mains pour rien !

Karl le foudroya du regard. Pourquoi persistait-il dans cette accusation ? De mémoire, la mort d'Éva n'était que le forfait d'un vilain staphylocoque. Il eut une fugace pensée pour elle, qu'il balaya aussitôt de son esprit. De toute façon, il ne voulait plus entendre le charabia de ce type et reprit sa marche. L'autre n'en démordit pas et persista à le suivre comme un minable chien suit son maître.

— À votre place, j’aurais cherché à me venger du connard qui m’a cocufié, asséna Parker.

Amusé par cette diatribe débile, mélodramatique, Karl, s'arrêta, rit et coupa court à son discours.

— Pas moi.

— Ah ! Vous culpabilisez ? lança Parker, en montrant les dents.

— Cela ne vous regarde pas.

La réponse de Karl fut aimable, mais sèche. Dans son for intérieur, il aurait aimé se débarrasser une bonne fois pour toutes de cette ordure ambulante, lui asséner un coup de poing et pulvériser ses dents jaunies par le tabac. Mais il se retint. « Il y a d'autres manières » disait son ex, avant.

Il ne réagit pas violemment. Non pas à cause du souvenir de celle qu'il voulait oublier, mais de l'autre couple sur le trottoir. N'ayant jamais eu de soucis avec la police, Karl hésita. Entre les tourtereaux et la voiture qui s'approchait, il y avait déjà trop de témoins.

Le véhicule se gara à leur niveau et klaxonna. Ils se tournèrent tous les deux, étonnés. Mais le couple accourut et monta précipitamment à l'arrière.

D'un ton mielleux, Parker insista, comme s'ils n'avaient pas été distraits :

— En tout cas, vous n’avez pas assisté à son enterrement.

Éva. Encore ! Le médecin aurait aimé qu'il arrête de la mentionner. Quel était le lien entre elle et cette sangsue ? Est-ce qu'il était quelqu'un de sa famille ? Pourtant, il n'avait pas le souvenir de l'avoir aperçu lors des obsèques de feu sa patiente. Funérailles auxquelles lui-même avait assisté en toute discrétion.

Leur lente marche les avait conduits près de l'entrée du parking souterrain, la destination de Karl. La bouche d'entrée lui paraissait si proche et si lointaine à la fois, mais il ne pouvait pas partir sans obtenir des réponses.

— Vous étiez qui pour elle ? Pourquoi vouloir me reprocher son décès ?

— Mais, pas du tout, rétorqua Parker, tout sourire. J’ai juste trouvé l'anecdote étrange. Voyez-vous, quand je cherche un pion, je mène une petite enquête. J'aime bien ces détails croustillants. Savez-vous comment je vous ai identifié ?

Karl l’examina de ses yeux perçants sans comprendre ce qu'il voulait dire par pion.

— Non, et je m'en contrefiche, répondit-il en lui tournant le dos.

— J’ai un petit service à vous demander, s'empressa Parker. Avez-vous déjà tiré sur une cible mobile ?

Les suppositions de Karl quant à sa demande se clarifiaient. Ce type était fou ou se payait sa tête. Quel collègue débile avait osé lui faire cette blague ? Aleksander ? C'était bien son genre. Quoi qu'il en soit, il se promit de déposer une main courante le lendemain au commissariat pour en avoir le cœur net.

— Et quel est votre record en distance de tir ? poursuivit l'autre. Vous êtes resté sur du cinquante mètres ? Sauriez-vous dépasser les huit-cents ?

Comme si le fait de parler de sa passion l'avait amadoué, Karl aurait voulu souligner que tout dépendait de l’arme, des conditions climatiques, de la cible, etc. Mais il se ravisa : si jamais il disait quelque chose, il entrerait dans son jeu.

— J’ai du mal à vous suivre, répondit Karl poliment. Il est temps que je rentre.

— Soit. Excusez-moi, je dois vous paraître envahissant, mais personne ne vous attend. N’est-ce pas ?

— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?

— Je pense que vous savez lire entre les lignes, Monsieur Essig. Vous avez compris ce que je vais vous demander, n’est-ce pas ?

— Non, je ne comprends pas, mentit-il.

Karl aurait aimé l'abandonner à ses jeux et devinettes, mais il céda. Se voulant moqueur, il lui demanda pourquoi il ne faisait pas appel à un professionnel.

Parker plissa les yeux et sourit comme un chat qui dévisage sa proie.

— Monsieur Essig, vous aurez les détails ultérieurement. Laissez-moi vous donner deux conseils : ne posez pas de questions et ne jouez pas au plus malin. En général cela se termine mal.

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