Le ballon - 2

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Cela se passa juste derrière la colline voisine. Tout à son air innocent, Krys restait attentif à l’effet produit sur ses invités. Une manière de prévoir la réaction des troupes ennemis face à ce spectacle. Avant même de l’apercevoir en totalité, Francis n’eut pas de mots pour exprimer ses émotions, ses yeux ronds parlaient d’eux-mêmes.

Devant lui, une structure gigantesque, de forme et de texture improbables, dominait la plaine. Une sorte d’énorme boule flottait dans l’air, retenue par des cordes à un caisson, lui-même ancré au sol. Plusieurs personnes attendaient autour.

— J’ai cru que c’était un monstre, croassa Francis.

— Et encore, il est endormi, il fera bien plus d’effet libéré de ses chaînes.

— Cette… chose… vole ?

— Pas sans passager.

Inquiet concernant la signification de ces dernières paroles, Francis accepta de rejoindre l’objet de toutes les surprises. On devinait peur et curiosité dans ses pas peu assurés. Faisant entièrement confiance à l’inventeur, Sara suivit le mouvement. Depuis le bas, la structure apparaissait encore plus impressionnante.

Le jeune noble toucha la bordure en osier du caisson, se demandant s’il pouvait s’appuyer dessus. Il leva la tête et fixa le trou à la base du ballon. À l’intérieur, rien ! Des explications de Krys, il apprit que la boule était constituée uniquement de bandes d’étoffes cousues entre elles. Il s’agrippa encore plus fort au caisson.

— De l’étoffe, dites-vous ? De l’étoffe rigide ?

— Non, pas du tout. Vous comprendrez quand on dégonflera le ballon.

Krys ouvrit une portière et pénétra dans l’habitacle.

— Nous abandonnons la calèche, elle est dépassée. Grimpez dans la nacelle.

Dépassée, sourit la princesse. Elle suivit son ami sans hésitation.

— Que faites-vous ? demanda Francis.

— Nous allons nous rendre sur le quatrième site de la journée. Nous ne partirons pas sans vous.

Le jeune homme vit qu’il y avait encore de la place mais ne bougea pas d’un pouce. La princesse l’encouragea. Il obéit. Krys ferma l’habitacle. Les hommes de main s’afférèrent sur les attaches pendant que l’ancien gladiateur réglait un instrument proche du trou. Une secousse contraignit les deux nobles à s’agripper où ils pouvaient. Cette fois, c’était certain, il se passait quelque chose. Sara remarqua le calme du commandeur. Tout se passe comme prévu, se dit-elle. Les secousses reprirent de plus belle. Elle lança un regard apaisé à son ami qui tenta de se calmer.

— C’est dit, nous volons ! lança Krys.

Les mains nouées au cadre d’osier, Francis jeta un œil autour de lui. Les hommes de Krys les saluaient tout en s’éloignant. Non, c’est nous qui nous éloignons, conclut-il. Et nous montons ! Il regarda vers le bas. Dix pas de haut. Décontenancé, il s’assit au fond du caisson, protégé de ces visions horrifiantes.

— Vous êtes courageux, Francis, peu auraient osé monter sans garantie.

Le jeune homme se souvenait. Le sourire de Sara. Maintenant, il se demandait s’il avait eu raison de se laisser convaincre. La nacelle tanguait légèrement, il ne se trouvait pas dans un mauvais rêve. Par bonheur, il se sentait en vie. Devant lui, la courbe parfaite des mollets nus et bronzés de la princesse. Il releva la tête. Toujours bien campée contre les panneaux, elle regardait tantôt à droite, tantôt à gauche.

— Nous volons… répéta-t-elle.

Il se releva lentement, osa un regard vers l’arrière. Les hommes de main étaient loin mais continuaient de les suivre des yeux. Il osa un regard à l’intérieur du ballon. Toujours le même vide. Un objet vide emmenait un caisson rempli !

— Profite du paysage, lui lança Sara. Moi non plus, je ne comprends pas.

Il fit lentement un tour d’horizon, évitant de regarder en bas. C’était vrai ! La vue était magnifique. Il prit une forte inspiration.

— Nous prenons la direction de Sadre, expliqua Krys. Nous avons à faire là-bas, je vous expliquerai.

— Comment… Comment volons-nous ?

— Je préfère que vous l’ignoriez.

— Pourquoi ?

— Nos ennemis ne doivent pas pouvoir fabriquer ça.

— Mais j’ai promis de ne pas en parler.

— Si vous ne savez rien, on ne vous torturera pas.

L’enjeu de la démonstration revint totalement à l’esprit du jeune noble. Le pays se préparait à la guerre. Son rapport permettrait à l’ancienne cour du roi de se départager. Il s’agissait d’évaluer la capacité du commandeur de les mener à la victoire. Il appréhendait la signification du secret. Il ne devait révéler ni détails ni objectifs aux siens, seulement leur livrer son avis.

Il n’était en réalité pas si important que Francis divulgue les détails de ses inventions. Krys ne savait que faire de ce ballon. Tout juste servirait-il à effrayer l’ennemi, un avantage qui ne durerait pas. Un tel monument ne se laissait pas diriger si facilement. Il n’était pas certain de trouver à toute heure un courant qui l’emmène à l’endroit désiré. Qui plus est, en cas de rafales, les passagers risquaient leur vie.

Il en était de même de ses bouteilles volantes, juste de quoi épater la galerie. Mais suffisant, sans doute, pour orienter l’avis des aristocrates.

— Ce que je peux vous en dire, c’est que ce n’est pas de la magie. La magie n’existe pas.

Comme pour mieux s’en assurer, le jeune noble leva une fois de plus la tête. Au-dessus de lui, la structure lui paraissait toujours désespérément vide.

— Alors comment expliquer que ces quelques draps nous font voler ?

— Si je vous expliquais, vous seriez capable de fabriquer cet engin vous-mêmes. Comme les fusées, d’ailleurs. Et sans l’aide de personne.

Francis fit un nouveau tour d’horizon. Difficile de détacher son regard de tant de beauté. Toutefois, sa mission lui revint à l’esprit.

— Mon rapport va aller dans le sens que vous espérez, vous vous en doutez. Toutefois…

Les deux complices l’écoutaient avec attention. Il continua :

— On m’a demandé d’apporter une preuve de ce que vous avancez concernant les combats. Qu’un d’entre vous vaut plusieurs Saliens.

Krys hocha la tête en regardant la princesse.

— Réunissez dix champions contre deux d’entre nous. Armes : épées, boucliers et poignards uniquement.

— Ça ne fait qu’un contre cinq, or les Galiens vont arriver en surnombre.

— Alors disons que les deux en question devront battre les vôtres en moins d’une minute.

— Moins d’une minute ? s’étrangla Francis.

Il suffirait aux dix de se protéger derrière les boucliers suffisamment longtemps. Comment pouvait-il espérer gagner dans ces conditions ?

— Bon, je transmettrai.

Pendant que le jeune noble s’évertuait à évaluer l’altitude, Krys fouilla une sacoche.

— Vous connaissez cet objet, je crois, lui demanda-t-il en se relevant.

— Une longue-vue ?

Un terme qu’il n’avait pas oublié. Toute personne informée dans ce royaume en avait entendu parler. Lors de leur passage, plusieurs princes l’avaient présenté comme un objet révolutionnaire. Décidément, c’était la journée des découvertes.

L’instrument agrémenta encore un peu plus l’intérêt du voyage, passant des mains de Sara à celles de Francis. Elle se rappela qu’elle avait offert son exemplaire à Owen. Celui-ci avait reconnu ne pas pouvoir imaginer cadeau plus merveilleux. Il avait failli le refuser, sous prétexte que son père le confisquerait au profit du commandement militaire. Mais Sara avait argué de l’importante de l’objet aux mains du chef des Renseignements qu’il était, et il avait accepté.

Elle devrait un jour l’avouer à Krys. Exilée, en quelque sorte, dans un pays étranger, il s’agissait du seul cadeau de valeur qu’elle se savait capable d’offrir. Incapable de regretter son geste, elle se demandait combien, en tant qu’ancien esclave, son inventeur tenait aux conventions.

— Qui a déjà voyagé en ballon ? s’enquit-elle.

— Six personnes : le général, bien sûr, Thomas, Hector, Soline et Markus. Une trentaine seulement l’ont vu.

— Comment réagirait le peuple en nous apercevant ? demanda Francis.

— Nous réalisons toujours des trajets en pleine nature. Parfois, un voyageur nous repère et fuit à toute jambe.

— Que se passerait-il si un archer perçait le ballon ?

— Pas grand-chose.

Le jeune noble avait étudié le visage de Krys. Il avait répondu, de manière franche, par une simple moue. Ce qui ne le renseignait guère sur la nature de cette… chose. Les flèches ne le tuaient ni ne l’endommageaient. Qu’était-ce donc ?

— Nous nous rapprochons de Sadre. Pour éviter de nous faire repérer, nous allons nous arrêter dans cette prairie. » Il désigna un emplacement entre deux zones forestières. « Nous continuerons par des moyens classiques.

Vivement intéressé, Francis estima la distance d’avec le sol et se demanda par quel moyen le commandeur ordonnerait au ballon de descendre. À sa seconde mesure, il sut que l’engin était déjà en train de descendre. L’ordre avait été donné sans qu’il s’en aperçoive. Lors de l’envol, le mécanisme bruyant situé devant la trouée avait semblé déterminant. Mais depuis, rien ne s’était passé. La longue-vue avait peut-être servi de distraction. Il serait plus vigilant la prochaine fois.

L’embarcation se posa relativement en douceur au milieu d’un groupe qui la pris en charge. Les passagers sortirent pour se rapprocher des montures.

— Une autre calèche ? s’étonna Francis.

— Ça ne vous dérange pas de la conduire seuls ? Je m’y rends à cheval en pressant le pas. Là-bas, vous assisterez à notre manière d’agir pour rendre la vie des gens plus agréable. Il n’est plus question d’innovations, mais d’ajustements. J’ai pensé que cela vous intéresserait.

Francis approuva. Le commandeur retourna les deux sièges de devant pour permettre aux passagers de se retrouver l’un à côté de l’autre en tenant les rênes. Il les salua, enfourcha son cheval et les quitta.

Le jeune noble fit une moue mi-épatée, mi-fatiguée. Il avait déjà assisté à tellement de choses. La princesse regardait le ballon. Sa forme était en train de changer. Les toiles ondulaient pendant qu’il perdait en consistance.

— Il serait donc bien fait de bandes d’étoffes, souffla-t-il.

— Tu en avais douté ?

— Par quel miracle prenaient-elles cette forme de cloche rebondie ? Il n’y avait rien d’apparent à l’intérieur pour les tendre. Et maintenant, la chose invisible qu’elles recouvraient semble s’évanouir. Serait-elle en train d’expirer ? Le génie est-il en train de rentrer dans sa boîte ? Ça me dépasse.

Quatre hommes en arme se rapprochèrent.

— Désirez-vous une escorte ? demanda l’un d’entre eux.

— Volontiers, répondit Sara.

La princesse laissa les rênes à son ami pour qu’il éprouve d’autant mieux le confort procuré par les innovations de Krys. Même sur un terrain vague, le gain de confort était perceptible en comparaison aux voitures habituelles. La nouvelle route n’allait pas encore jusqu’à Sadre, ils emprunteraient donc la voie centenaire.

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