Sadre - 2

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Krys préparait le Salien aux soins à venir lorsque la femme arriva accompagnée de ses enfants. Tous étaient chargés. Il les remercia chaleureusement et s’empara d’un chiffon propre qu’il humecta. La dame demanda si elle pouvait aider, Krys opina du chef.

— Il n’a rien de cassé, expliqua-t-il. On va se contenter de prévenir l’infection. Je n’ai sur moi que des feuilles de plantain.

— J’ai du vinaigre, du miel et de la résine, ajouta-t-elle.

— Alors, c’est parfait. Le blessé sera bientôt sur pied. Savez-vous quand il a été emmené jusqu’ici ?

— J’habite à côté. J’ai remarqué un attroupement se former il y a deux jours. Les hommes se comportaient comme pour une grosse prise après une battue. Plusieurs la revendiquaient.

— Je n’ai pas l’intention de m’arrêter au bourgmestre. Tous ceux qui ont usé de violence vont en répondre.

La jeune femme se tourna vers lui.

— Vous êtes vraiment…

D’un simple regard, l’ancien gladiateur signifia son rang.

— Je m’appelle Krys. Dès que j’ai appris, pour la potence, je me suis précipité. Mes amis vont arriver et m’aider à éclaircir cette affaire. Ces choses ne doivent plus arriver. Je veux faire un exemple.

Elle avait mille questions mais les garda pour elle, se contenant de se présenter.

— Je m’appelle Mathilde, et voici Laure et Jacques.

Krys se retourna. Ces enfants écoutaient attentivement. L’ainée avait huit ans et son jeune frère, six ans.

— Eh bien, voilà une bien belle famille. Je vous félicite, fit-il en ébouriffant Jacques.

Mathilde avait perdu son mari un an auparavant dans des circonstances non élucidées. Elle vivait aujourd’hui de différentes tâches dont elle s’acquittait au jour le jour. Le soin aux personnes en faisait partie.

— Vous vous préoccupez toujours autant des prisonniers ? demanda la mère de famille.

— De la justice, surtout. Je veux éradiquer le type de comportement rencontré ici. Ce n’est pas parce qu’hier tout était interdit que chacun peut, aujourd’hui, faire ce qu’il veut.

Le roi avait droit de vie et de mort sur ses sujets. L’homme à côté d’elle parlait avec une telle autorité qu’il devait être soit fou, soit celui qu’il prétendait être.

— La guerre à venir, continua-t-il, nous empêche de nous tourner réellement vers nos concitoyens. Mais cela ne va pas durer. En attendant, ce Salien a peut-être quelque chose à nous révéler. On ne sait pas encore ce qu’aurait représenté sa perte.

Alors que les soins avançaient, Mathilde observait de plus en plus l’ancien gladiateur. Lorsque celui-ci le remarqua, elle avoua :

— J’ai du mal à m’imaginer aux côtés du nouveau maître de ce royaume.

— Et moi donc, répondit-il du tac au tac. Il n’y avait pas si longtemps, j’étais esclave, bien loin au sud.

Elle acquiesça. Cette information lui était sortie de la tête ; elle n’y avait pas cru.

— C’est donc vous qui promulguez les lois.

Par cette question, elle cherchait à mieux comprendre ce qui lui arrivait.

— Pas seul, mais on peut dire ça comme ça.

— C’est vous qui avez décidé que des bourgmestres élus par la population remplacent comtes et barons nommés par le roi.

— Pour les localités qui le désiraient, et là où nous avions le temps d’organiser un scrutin, oui.

— Que les paysans possèdent leur terre.

— S’ils le désirent et l’exploitent depuis plus de vingt ans, et, pour le moment, uniquement dans des localités choisies par nous.

Le petit Jacques s’approcha subrepticement du blessé.

— Il est tout gris, remarqua-t-il. Il va mourir ?

L’attention des deux adultes se focalisa sur le jeune garçon qui les séparait.

— C’est un Salien, répondit sa mère, espérant qu’il ne s’intéresse pas à la relative rugosité de sa peau.

Ragis ouvrit un œil qu’il dirigea vers Jacques. Sa main fit mouvement jusqu’à tenir la sienne entre ses doigts. Le regard du petit garçon passa de sa main au visage du blessé. Laure assistait à la scène avec la plus grande attention. Leur curiosité l’emportait sur la peur.

Après les soins, Mathilde fit mine de partir, et Krys de la raccompagner, mais, sur le pas de la porte, il désira mieux s’imprégner de la vie du village. La mère de famille avait beaucoup à dire sur le sujet. Bientôt, elle comprit pourquoi le maître du pays la retenait. Il la testait.

— Ce village a besoin d’un nouveau bourgmestre, voyez-vous une personne capable de remplacer M. Gombert ?

Elle prit le temps de la réflexion pour finir par répondre par la négative.

— Pourquoi pas vous ? demanda Krys.

Éberluée, elle mit du temps à reprendre contenance.

— Mais je suis une femme !

— Et donc ?

Il ne comprenait pas. Venait-il d’un autre monde ? Assurément, il avait passé toute sa vie chez les Galiens.

— Les gens n’accepteront pas.

L’ancien gladiateur réfléchit. Il sentait cette jeune maman responsable et au fait de la vie du bourg. Il insista.

— On va leur parler. Et vous serez secondés. Vous aurez aussi un salaire.

Elle secouait la tête, rejetait cette idée de toutes ses forces.

— C’est trop dangereux. J’ai des enfants, je ne peux pas.

Intéressant, pensa Krys. Peut-être un moyen d’en savoir plus.

— Pourquoi dangereux ?

Elle souffla. Non, elle ne pouvait pas.

— Mes amis vont arriver incessamment. Ils vont enquêter sur M. Gombert, ses sbires, tous ceux qui ont porté des coups au Salien qui passait par là. Nous pouvons très bien élargir le cercle. Si d’autres personnages empoisonnent la vie de ce village, rien ne nous interdit d’emmener vers la capitale la moitié du bourg s’il le faut.

Elle le dévisagea intensément. Il avait terminé sa phrase en souriant. Un haut responsable, fut-ce le premier d’entre eux, était-il capable de faire les choses comme il faut ? Pouvait-elle lui faire confiance ? Et ce gros village ? Sans les personnages déplaisants qui l’habitaient, y vivre y serait agréable. Elle se tourna vers ses enfants.

— Vous organiserez votre temps comme vous l’entendrez. Vous disposerez de moyens. Vous pourrez nommer qui vous voudrez pour vous seconder ou vous protéger. Vous pourrez faire appel à l’État, financièrement, comme en cas de danger. Nous pouvons être là très rapidement.

Il regarda le blessé.

— Comme vous le constatez, nous sommes arrivés ici avant que celui-ci ne soit pendu.

Elle hocha la tête sans se départir de ses atermoiements. Il y avait tellement de choses à faire. Tellement de personnes à qui venir en aide. Tellement de choses à améliorer. Tellement d’injustices à gérer. Qu’il nomme donc quelqu’un d’autre ! Pourquoi elle ? Mais qui serait capable d’agir pour le bien commun avant de se servir lui-même ?

Elle disposerait de moyens. Ses deux enfants mangeraient tous les jours. Mais il lui faudrait lever les freins principaux avant d’entrevoir quoi que ce soit.

— M. Gombert obéit en réalité au comte Saneser. Aucune décision n’est prise qui nuise à ce personnage, au contraire, elles l’avantagent toutes.

Cet ancien esclave n’était pas de ce monde et n’avait aucun compte à rendre aux puissants. Pourquoi la trahirait-il ? Elle entrevoyait pour la première fois ce que cela signifiait : la possibilité de bannir l’injustice en ces lieux. Il lui en offrait la possibilité. Elle ne subirait plus les affres de l’existence sans possibilité de se battre contre elles. Mais le pourrait-elle ?

Elle décrivait les liens entre les personnages concernés et leurs intérêts respectifs quand des tintements de sabots leur parvinrent.

— Tenez. Quoique vous décidiez, c’est pour vous.

Elle baissa les yeux.

— De l’or ?

Dans sa main, la pièce d’or brillait de mille feux. La première qu’elle ait jamais vue. Elle se tourna vers ses enfants. Il y avait de quoi subvenir à leurs besoins de très longues semaines.

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