La horde - 8° partie

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Jordan cracha. Enfin ! ils étaient de retour. Gus emmenait avec lui la cavalière qui l’avait tant surpris en traversant le village, suivie d’un jeune adolescent. Il savait quoi reprocher aux trois imbéciles qu’il avait envoyés à sa poursuite. Tout ce temps perdu, ils l’avaient passé en forêt à profiter de ses charmes. Ces sagouins ! il leur avait ordonné de lui amener le plus rapidement possible. Il cracha encore, jeta sa chique de colère. Ils morfleraient !

Curieusement, Gus faisait porter ses armes à ses prisonniers. La fille avait même un arc autour d’elle. Et le petit, un bouclier porté par des mains attachées. Quel drôle d’équipage, quelle négligence ! Tout se perdait. Il allait falloir reprendre tout ce petit monde.

Il siffla. C’est ici que le jeune pirate devait amener la fille. Il siffla plus fort. Gus n’entendait pas ! « Tout faire ! » se plaignit-il en avançant. Ses trois aides de camp lui emboitèrent le pas.

Des cris de femmes ! Ils provenaient de la ruelle d’où avait débouché Gus. Au milieu du brouhaha, il reconnut la voix d’Ansper, à qui il avait ordonné de retrouver ses hommes disséminés au sein du village. Des tintements de métal. Des inconnus qui surgissent de la ruelle. Ansper venait de débusquer des fuyards. Vite, les encercler. Mais… La blonde se libère, saisit son arc, l’arme et tire dans la ruelle ! Et ce Gus, atterré, figé comme un baudet, qui ne réagit pas !

Mais les évadés ne se sauvaient pas, ils se dirigeaient vers Gus. Et lui ? Mais que lui arrivait-il ? Quel abruti !

— Tous sur eux ! ordonna Jordan.

La moisson serait belle, et une superbe blonde en prime. Les fuyards ne savaient où aller.

La fille à l’arc orienta son arme vers lui. Jordan arrêta sa course. Gips ! Elle avait touché Gips. « À terre ! » lança-t-il. Avant qu’il n’ait le temps d’obéir, Jobhar s’étala dans la poussière. Guli hésita puis cherchèrent un abri.

Elle se retournait déjà dans la direction opposée. Un nouveau tir, une nouvelle perte. Tous stoppèrent leur assaut et se cachèrent.

À la recherche d’un abri, le capitaine suivait des yeux la tueuse. Elle se tenait droite, s’orientait posément à vitesse constante et tirait. Cette fois, Torni, du groupe d’Ansper, s’écroula au pas de la ruelle.

Jordan et Guli s’étaient cachés derrière un arbre situé dans l’étendue entre la rivière et la route. C’est dans cette bande de terrain vague de deux cents pas de large que les deux gardiens restés proches des caisses de victuailles avaient pris la fuite pour éviter de perdre leurs prises : un garçon et une fille de huit ans. Parmi ceux qui faisaient la navette entre les galères et les dépôts, plusieurs arrivaient, alertés par les cris et les ordres de leur chef. Les rebelles auraient à se défendre de tous côtés.

— Des arcs, allez me chercher des arcs ! hurla le capitaine.

La tueuse continuait de tourner sur elle-même, chaque rotation étant ponctué d’un tir. Elle toucha un de ceux qui venaient des bateaux. Enfin, elle baissa son arme et se cacha derrière la rangée de caisses au milieu de ses compagnons.

Elle avait tiré cinq fois. Le chef des pirates ne serait pas surpris d’avoir perdu cinq hommes.

Cinq hommes de plus, susurra une voix à l’intérieur de lui-même. Cinq hommes de plus. Qu’étaient devenus les trois groupes envoyés à la recherche des fuyards ? Il releva la tête. Gus ! Gus était avec les rebelles. Un complot ! Jordan était victime d’un complot… Et les resquilleurs censés détrousser les habitants du haut du village, pourquoi ne revenaient-ils pas ? Les aurait-elle aussi… ? Combien d’hommes avait-il perdu ?

Guli le regardait. Se reprendre.

La pimbêche s’était abritée. De par la précision de ses tirs, tous ses hommes s’étaient cachés. Il devait gagner du temps et savoir qui elle était.

— Oh, l’archère, de quel clan es-tu ?

Pas de réponse.

— Tu es précises, archère, tu connais les armes, tu es née avec. De quel clan d’assassins fais-tu partie ?

Il n’attendait pas forcément de réponse. Cette femme l’impressionnait et il désirait la faire passer dans son camp.

— Du clan des tueurs de pirates, cracha-t-elle après un moment de silence.

Une jolie voix de femme. Habile comme elle était, elle appartenait forcément à un clan.

— Ce clan n’existe pas.

Il n’aimait pas les assassins. Personne n’aimait les assassins. Toutefois, dans certaines occasions, ils se révélaient pratiques. Leur prix, honteusement élevé, pouvait facilement être rentabilisé par leur précision. Il valait mieux commanditer un meurtre à distance que de déclencher une guerre à l’issue incertaine.

Il avait dû provoquer en elle une forme de réflexion car elle ajouta, sans qu’il le demande :

— Mon clan à moi, c’est la haine.

Tiens donc ! À lui aussi. Il haïssait les puissants et les riches et leur menait une guerre perpétuelle. En les volant, comme aujourd’hui, en ravageant leur terre, il les affaiblissait. Elle obéissait aux mêmes lois mais se trompait de combat. Il aurait aimé la convaincre.

— Dans ce cas, on est pareil, toi et moi.

La réponse déclencha en elle un élan meurtrier. Elle se mit debout, tira sur ceux qui se trouvaient entre elle et la rivière et avança. Cinq gaillards armés d’épées et de boucliers la dépassèrent en fondant littéralement sur les siens. Jordan comprit immédiatement. En exigeant l’apport d’arcs et de boucliers, ses rangs s’étaient dégarnis et les rebelles en profitaient. Il estima les forces en présence. Quinze de son côté et une douzaine du leur. Hormis elle, tous des paysans. En la provoquant, elle avait commis une grave erreur : diviser son équipe.

— À l’attaque !

Les siens seraient ravis de remporter une victoire certaine sur un fait d’arme dont ils n’étaient pas la cause. Ceux dont la négligence avait provoqué ce désastre étaient déjà morts. La justice avait parlé, et il restait à Jordan de réparer la brèche, quel qu’en soit le prix.

.oOo.

Ils avaient vaincu ! Parmi tous ceux qui les entouraient, trois se tenaient du côté de la rivière, à quelques pas d’eux. Caché derrière un arbre, l’un d’eux avait laissé dépasser une oreille. Une cible tentante pour une hydre. Profitant de l’effet de surprise, les trois frères et Gus s’étaient précipités, suivis d’Étienne. Harcelés, les pirates n’avaient pu prendre le dessus, alors même que le monstre tuait à distance, sans besoin de se salir les mains. L’affaire avait été décidée et réglée si vite que des dizaines d’yeux ébahis les suivaient dans les deux camps.

Mais cette entrefaite avait excité l’ennemi. Leur amour propre à défendre, des trois autres côtés simultanément surgirent un nombre considérable de ces cloportes sanguinaires hurlants.

.oOo.

Élise Jacquemin avait suivi son mari avec difficulté. Elle désirait revoir ses filles avant qu’elles ne soient emportées à jamais. Henri ne s’était pas posé autant de questions, happé par l’élan des frères Sens – élan ou folie ? – chaque seconde comptait. Il avait préparé des boucliers et distribué des outils au tranchant mortel. Au moment du départ, sans plus se poser de questions, il avait suivi la troupe comme investi de leur engagement. Pour lui, l’espoir de retrouver les siens occultait tout danger.

Mais elle ? Elle le voulait aussi de toutes ses forces, mais la peur étreignait tout son être. Par-dessus tout, elle se sentait inutile. L’appel de ses filles avait été trop puissant. Seulement, la naïve troupe n’avait pas envisagée d’être découverte si tôt. Ils avaient fui les pirates pour se retrouver bloqués dans une nasse. Les voilà démunis, à la merci des détrousseurs des îles.

Dieu soit loué, cette jeune femme aux cheveux blonds parvenait à les retenir. Cela leur avait donné le temps de fortifier ce petit camp de fortune. Par devant, face à la ruelle, le responsable communal et Henri tenaient, au moyen de poignées et de barres métalliques, une solide porte posée horizontalement sur des caisses. Assises ou accroupies, les femmes s’étaient regroupées derrière eux. S’il leur arrivait quelque chose, peut-être trouveraient-elles le courage de les remplacer. À droite, des caisses superposées. À gauche, des ballots de paille surmontés de sacs en tous genres. À l’arrière, l’espace libre avait été bouché par des ballots et des caisses prélevés sur les côtés. Les zones fragilisées étaient défendues par les garçons et M. Raley.

Ce Paul était d’une témérité ! Il suivait l’étrangère les yeux fermés. En un rien de temps, lui et ses compagnons avaient abattu trois hommes, pour revenir plus promptement encore. Là encore, leur naïveté risquait de perdre l’ensemble du groupe. En conclusion de cette victoire, elle avait entendu un ordre d’assaut qui lui avait glacé le sang.

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