Mariage princier - 2

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Enserrée dans un étau, la princesse n’imaginait qu’un moyen : mordre le bras meurtrier. Un souffle l’en empêcha. Le bout sombre d’une queue apparut dans son champ de vision. Elle sentit une pression sur sa clavicule, une petite main posée sur sa peau. Un maki catta apparut devant elle.

— Kia ? s’étonna-t-elle.

Elle n’en connaissait qu’un.

L’animal maintenant devant elle, debout sur ses membres inférieurs, l’embrassa.

— Kia ! C’est toi ?

La vue du petit lémurien, plein d’innocence naturelle, l’apaisa. Son corps se détendit. Son visage se tourna légèrement sur le côté, vers la forme sombre qui tenait les rênes.

— Et toi, tu es Krys, n’est-ce pas ?

— Tu as deviné.

Il y eut un court moment de silence.

— Je ne t’enlève que pour une heure, continua-t-il. Après cela, tu décideras de la suite.

Elle remplit lentement ses poumons. Elle comprenait. Elle ne risquait rien.

— La ville est bien gardée.

— Ce sera plus facile d’en sortir que d’y rentrer.

— Pas si tu continues à galoper à cette vitesse.

Elle ressentait sa force, son assurance, toutes sensations qui l’avaient conquise lors de leur première rencontre. Elle prit le petit animal contre elle et s’apaisa encore plus. Quel moment incroyable, pensa-t-elle.

La jument continuait sa course, se jouant de chaque obstacle. Au bruit de ses sabots, les quelques passants rencontrés s’enfuyaient. À chaque intersection, Sara vérifiait l’avancée de leurs poursuivants. Elle se surprenait à ressentir en elle si peu de crainte. La présence de l’animal y était pour beaucoup.

En bordure de cité, un groupe de soldats vit arriver un équipage galopant à toute allure. Une jeune personne en robe de mariée y était perchée, accompagnée de surprenants compagnons, un homme tout vêtu de noir et un animal paré des couleurs des deux personnages. Fallait-il croire à une farce ? Le bolide fila devant eux sans qu’ils n’osent l’arrêter. Ne s’agissait-il pas de la princesse ? Mais le gueux derrière elle ne pouvait être prince.

— L’assassin ? osa l’un d’eux. Celui qu’on cherche ?

Le tonnerre produit par de nombreux sabots les engagea à se retourner. Le prince Owen leur passa sous le nez, suivi de près de sa garde personnelle. Les sentinelles se regardèrent, interdites.

Sara se demanda quand son cheval faiblirait. Elle se retourna, la distance avec ses poursuivants s’accroissait. Elle hocha la tête, impressionnée par le cadeau d’Owen, sachant pertinemment que la jument ne pourrait conserver une telle allure. Et pourtant. Elle sentit dans son dos Krys se retourner et la légère pression qu’il exerça sur les flancs de la monture. Et celle-ci accéléra encore.

L’ancien gladiateur prit la direction d’un passage qui s’élevait vers une forêt en surplomb. Une gageure pour un animal supportant le poids de trois êtres. La distance fut engloutie plus vite qu’elle n’imaginait. Le galop ne ralentit pas sous la sylve. Au croisement, Krys bifurqua sur la droite, puis sur la gauche. Il fonça alors en ligne droite, puis renouvela le fait plusieurs fois. Dans ce dédale forestier, elle comprit que leurs poursuivants peineraient à les suivre. Déjà, on ne les entendait plus.

Ils se retrouvèrent devant un immense espace dégagé au sol caillouteux, parsemé d’abondantes touffes d’herbe. Krys s’y arrêta, tendit l’oreille. « Ça devrait fonctionner ! dit-il. » Aucun bruit ne leur parvenait, Sara estima qu’il projetait de traverser cette surface nue et vallonée sans qu’on ne le repère de loin. Alors qu’ils reprenaient la course, elle tenta de reconnaître les premiers signes de fatigue de sa jument. Ils n’apparaissaient pas et elle laissa faire. Après avoir descendu et passé deux buttes, ils gravirent l’espace qui les séparait de la forêt. L’ancien esclave se retourna. « On les a eus ! » annonça-t-il.

C’est plus tranquillement qu’ils avancèrent dans la même direction. Ils bifurquèrent vers le sud et descendirent un vallon. La princesse en était sûre maintenant : le cavalier ne cherchait pas seulement à distancer ses poursuivants, il savait où il allait. Bientôt, ils s’arrêtèrent aux côtés d’un arbre au tronc immense et au pourtour dégagé. Le maki catta sauta au sol. Krys tendit la main à Sara. À terre, elle observa les environs. L’arbre était creux. Elle s’approcha. Kia avait pris place sur une natte. Sous l’arbre, l’espace avait été aménagé comme pour y habiter quelques jours. Impressionnée, elle se retourna. Son ravisseur ôtait sa cagoule. Le cœur de la jeune femme accéléra. C’était bien lui. Il n’avait pas changé.

— Ainsi, vous enlevez toutes les dames le jour de leur mariage ?

Elle le vouvoyait en mémoire de précédents échanges. Ces moments, elle s’en souvenait. Chaque réponse était travaillée de sorte à faire durer le plaisir. Et plaisir, il y avait, à chaque fois.

— Seulement celles qui se sont laissé emporter par de brillants discours, répondit-il, le sourire aux lèvres, occupé à décharger la jument.

— L’otage pourrait se révolter et gifler son ravisseur.

— Pourquoi n’agit-elle pas ?

— C’est qu’il l’a prise de force, lui et son complice marbré de poils.

Elle montra l’animal, toujours étendu au fond de sa cachette. Au tour de Krys de répondre.

— Et maintenant, ils ne seront pas trop de deux pour obtenir d’elle ce qu’ils désirent.

Elle respira profondément. Lorsqu’il la soignait, couchée sur son grand lit, si peu habillée, elle avait ressenti des désirs autant avouables qu’inavouables. Et pour lui, elle se demandait s’il était de même. La trouvait-il attirante ? Seulement l’interdit les séparait. Ils se connaissaient si peu. Ses dernières paroles faisaient remonter en elle ces souvenirs. Combien elle avait espéré ne plus dépendre des autres pour qu’il la rejoigne. Mais c’est l’inverse qui s’est passé.

— Et que désirent-ils obtenir d’elle ?

— Fourrure marbrée devrait l’enquérir de certaines vérités.

— Hum… Elle savait cet animal savant doué de parole.

— Il a beaucoup à lui apprendre.

— Aurait-elle été trompée ?

— Plus qu’elle ne croit.

Cette fois, s’il disait vrai, elle le saurait. Elle se croyait capable, parfois, de discerner les vibrations du mensonge. Aujourd’hui, sans doute, elle saurait.

— Sa jambe est guérie, elle court vite et elle leur échappera !

Fin de la discussion ; il changea de visage pour se focaliser sur la jambe. Seul un pied dépassait de la robe.

— Je peux regarder ?

D’un signe de tête de sa compagne, il se rapprocha précautionneusement. Un bras passa derrière son dos et un autre derrière les jambes. Elle s’agrippa à ses épaules, se laissa emporter sous la voute de l’arbre, les yeux rivés constamment dans les siens. Il la posa délicatement sur les nattes, souleva la robe, découvrit la jambe droite. Elle se tint sur ses coudes pour mieux l’observer. Les deux mains expertes enserrèrent l’os, testèrent sa solidité. Il caressa le mollet, puis massa les chairs. Un doigt dépassa le genou pour parcourir la peau de sa cuisse à la recherche de cicatrices. Il accompagna sa moue approbatrice d’un hochement de tête.

— Parfait, la jambe est parfaite.

— Elle a eu un bon médecin.

— Si madame avait d’autres parties d’elle-même en souffrance, oserait-elle lui en faire part ?

— Ne vous en déplaise, elle craint que le reste ne fonctionne parfaitement.

— Très bien, dans ce cas, il s’en va la ramener dans la capitale où elle est très attendue.

— On se demande bien pourquoi !

— Aujourd’hui, les soignants tombent du ciel pour parvenir à doser un remède, c’est dire s’ils aiment leurs patients.

C’était dit. Leurs regards se rencontrèrent dans une joute qui sembla durer une éternité. Seuls les bruissements de la forêt osaient caresser leurs rêves. Sara baissa les yeux la première.

— Mais ce soignant-là est celui qui a tué mon père…

Il continua à la regarder en silence.

— On n’a pas rattrapé ceux qui l’ont assassiné, expliqua-t-il en s’asseyant. On pense qu’il s’agit des gardes qui accompagnaient sa fuite. Pourquoi se seraient-ils démenés pour lui, ils n’en auraient pas été plus riches. Il était à leur merci. Ils ont dû se partager le contenu du coffre, je suppose.

Une explication qui en valait une autre. Néanmoins, il lui paraissait sincère.

— Tout le monde dit que tu l’as tué.

— Ça les arrange. Et ça m’étonnerait qu’ils se contentent de cette seule supposition mensongère, tu dois le savoir.

Elle hocha la tête. Son cœur lui disait de le croire. Elle se ravisa.

— Et maintenant ? s’enquit-elle, se demandant quels étaient ses plans pour l’avenir.

Pour seule réponse, son regard la parcourut lentement de la tête au pied.

— Il doit bien falloir trois bonnes heures pour ôter cette robe…

Un rire cristallin retentit sous la sylve. Elle le savait plus sérieux qu’Owen, mais cette fois, il avait dû préparer ce moment. Son humour se révélait fin et leur discussion avenante, telle qu’elle les appréciait. Elle se sentait bien. Le lieu qu’il s’était aménagé paraissait agréable. Il semblait y avoir assez de nourriture pour plusieurs jours. Les arômes d’un bon vin l’assaillaient depuis quelques temps. Il y avait de quoi tenir un siège en cet endroit. Rester ici quelques heures ou quelques jours ne la dérangerait nullement.

Elle se demanda où se trouvaient ses habits de rechange. S’il avait parlé de cette robe, c’est qu’elle était trop voyante pour continuer à faire le moindre pas vêtue ainsi. Ou ne pensait-il qu’à la bagatelle ? Non, pas lui, pas encore. Quoique… Avait-il prévu de dormir ici ? L’aménagement intérieur le laissait supposer.

Elle plaignit Owen. Le pauvre. Oui, elle avait accepté sa demande en mariage. Ses parents la comblaient et la rassuraient. Elle avait tout perdu en quittant Andalore et retrouvait sa dignité en ces lieux. Tous ceux qui fuyaient son pays décrivaient celui qui avait remplacé son père comme un dirigeant abject et barbare. Elle avait fini par le croire…

Jusqu’à son apparition. Il était accompagné de Kia, une présence qui l’avait ramenée quelques mois en arrière. Elle avait été heureuse, il la soignait, elle entendait parler de lui, elle écrivait sur lui. Il était aussi l’assassin magnifique qui les avait tous effrayés. Un assassin qui ne tuait personne. Il n’était pas comme on le présentait, mais tel qu’elle l’avait connu. Et cela changeait tout. Absolument tout.

À cette heure, il allumait le feu et préparait la nourriture. Il espérait qu’elle accepterait de le suivre. Elle retrouverait son pays. Elle le côtoierait suffisamment pour approfondir l’image qu’elle a de lui. Il était le nouveau dirigeant du royaume, rien ne s’opposerait à ce qu’ils se fréquentent. Rien ni personne.

.oOo.

— Krys, Krys, tu m’écoutes ?

Korynn secoua la tête. On parlait de la princesse et le voilà perdu dans les nuages. Inutile de se demander s’il l’avait oubliée.

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