La horde - 6° partie / Le village

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Elle ne répondait plus. Elle avait tant crié et voilà que, maintenant, elle faisait penser à un pantin désarticulé. Lui, Jodi, le plus jeune de la bande, on ne lui laissait que les miettes. Il se concentra sur son plaisir. C’est que la demoiselle feignait de ne plus rien ressentir. À côté d’elle, la fenêtre sale laissait perler une tache de lumière sur son ventre. Un rayon laiteux qui lui rappela sa mission : surveiller les environs depuis l’étage. De cette chaumière située en périphérie, la vue sur la colline permettrait de sonner l’alerte en cas d’arrivée des secours. Son clan, les écumeurs des mers, se regrouperait pour se défendre sans coup férir en cas d’attaque.

Rien ne pressait, les villages alentours ne seraient pas alertés de sitôt. Gus, son meilleur ami, faisait partie du groupe de chasse. Il rattraperait les villageois en fuite.

En bas, toujours les mêmes cris. Les parents de la pucelle refusaient de parler. Combien supporteraient-ils de souffrance avant de révéler leurs caches ? La faute leur en revenait. Pour un peu d’argent, ils laisseraient la mort les engloutir.

Qu’ils parlent ou non, leur fille, ils l’emmèneraient. Ils ne partiraient pas les mains vides.

Un râle lui parvint. Un parmi tant d’autres. Le son mat qui suivit, une chute de cheval, il le confondit avec les bruits provenant du bas.

Plaisir, elle allait lui procurer son plaisir. Ce soir, ils feraient la fête. Les biens accumulés valaient ces fréquentes ripailles. Le vin coulerait à flot. Avec ces nouvelles esclaves, ils termineraient la nuit en beauté.

Ça frappe à la porte ! Il faillit ranger boutique. Trois coups rythmés, le code convenu. Avait-il bien entendu ? Gus, déjà de retour ? Aux exclamations des aînés, son ami avait amené une jeune beauté.

Se concentrer.

Des raclements de chaises. Seraient-ils en train d’attacher la petite nouvelle ?

Des bruits dans l’escalier. Vite, soigner sa présentation ! La porte s’ouvre, Gus apparait, dague en main.

— Eh ! Gus !

Pantalon refermé, tout va bien. Le visage tendu, Gus affichait une expression indéfinissable. Rapidement, son regard dévia sur la fille.

— Gus, ça va ? Tu en fais une tête.

Derrière lui, un jeune homme apparut.

— Que se passe-t-il ? Qui amènes-tu là ?

Gus laissa passer l’inconnu, pressé de rejoindre la pucelle, puis, le regard vide, il saisit la ceinture dont Jodi était en train de s’entourer.

— Enfin ! qu’est-ce qui te prend ?

L’attitude de Gus n’était pas normale. Quel impair avait-il commis ? Derrière lui, soudain, la sentence tomba.

— Ce salaud l’a tuée.

Gus envoya la ceinture à l’inconnu puis se saisit de lui et l’emmena. Le nouvel arrivant y avait décroché son poignard et tentait de les rattraper.

Gus venait de le sauver.

Après quelques marches, le désespoir atteignit Jodi de plein fouet lorsqu’il reconnut le corps ensanglanté de ses deux compagnons gisant au sol. La pièce était remplie d’inconnus. Certains s’occupaient de libérer les parents, une femme apportait une écuelle remplie d’eau, un jeune garçon dépouillait ses amis de leurs armes. La jeune fille blonde qui l’observait l’impressionna d’emblée. Le regard dur, elle portait une ceinture et trois sortes d’armes. Ses vêtements n’étaient ni ceux d’une paysanne ni d’une servante ni d’une courtisane. Tout en elle respirait l’indépendance et la détermination.

— Cet immondice a violé et tué leur fille, cracha l’homme derrière Gus.

Ces mots déclenchèrent pleurs et hurlements. À peine libérée, la mère tenta de se relever, puis retomba, les chevilles meurtries. Elle cria : « Non ! Non ! Ma fille, ma fille. » Une femme la prit contre elle. Elle tenta à nouveau de se relever sans y parvenir. Le père pleurait de douleur d’âme plus encore que de ses blessures.

— On n’avait pas d’argent, on n’avait pas d’argent, pleura la mère de famille. On ne pouvait pas sauver Sandrine.

On lui avait enseigné d’ignorer la souffrance de ces sous-hommes. Au contraire, purificatrice, elle les libérerait. Obtus, rivés sur leurs petites vies sans intérêts, ces gens ne le comprendraient qu’après leur mort.

Toutefois… Il n’avait pas prévu que celle-ci lui sourirait si tôt.

De partout, des yeux haineux fixaient le jeune pirate.

Le jeune homme qui les avait rejoints à l’étage répétait sans cesse qu’on ne pouvait laisser impuni le crime commis. Gus le tenait fermement, l’empêchant d’échapper à son destin.

— Aujourd’hui, le mal que tu as fait retombe sur toi, lâcha la blonde.

Il remarqua une larme poindre dans les yeux de son juge. Deux solides gaillards la devancèrent, porteurs des épées de son clan : ses bourreaux. L’une d’elle traversa ses entrailles.

C’était la fin. Jamais la chance ne lui avait souri. Il ne reverrait plus Ilia, sa terre natale. Grande-Île, son tombeau, se refermerait sur lui à jamais. Ses cendres se mêleraient à celles des sous-hommes. Jamais Evgenhi, son dieu, ne lui pardonnerait. Il ne lui avait pas sacrifié assez de ripailles et de sang. Le sien, rouge vif, servirait d’offrande. Il s’écroula, anéanti, l’effroi de l’inconnu lui souriait.

La porte s’ouvrit. Deux hommes tiraient un corps qu’ils étendirent le long du mur extérieur. Avant de mourir, le jeune pirate reconnut Casey… Son univers s’écroulait.

Charles Gasset se redressa, massant le bas de son dos. Le corps du cavalier tué avant qu’il ne donne l’alerte resterait caché ici. Il s’en était fallu de peu. Alors que l’étrangère terminait d’expliquer son plan en lisière de forêt, le pirate blessé était apparu. Il avait beau mener sa monture à bon train, elle l’avait atteint une première fois. Deux autres flèches furent nécessaires pour abattre ce solide gaillard. La chance leur avait souri : il s’était affalé juste au pied de cette demeure.

— La voie est libre, grinça-t-il.

Paul essuya son épée. Dégoût et fureur se discernaient sur son visage.

— Bien, allons-y, décida l’étrangère.

.oOo.

Depuis le ralliement de Gus, Étienne se sentait inutile. L’hydre répétait le même stratagème devant chaque demeure. Le repenti frappait trois coups selon le rythme convenu puis entrait, emmenant derrière lui le monstre magnifique déguisé en prisonnière. Les pirates l’accueillaient, les yeux avides concentrés sur la dame. Gus pourfendait le premier, l’hydre le second, s’engouffraient alors trois des frères, pressés de terminer le travail. Quand Étienne pénétrait dans la pièce, tout était déjà terminé.

Tout cela s’opérait dans le plus grand silence. Quand, toutefois, un cri était émis, il serait attribué aux souffrances d’un villageois. Le risque s’en trouvait contenu.

Le responsable communal accompagné de monsieur et madame Raley délivraient alors les survivants. D’autres soignaient les blessés le temps que la demeure suivante soit nettoyée. Puis, le cycle recommençait. Il ne fallut que quelques minutes au couple infernal pour libérer la rangée d’habitations limitrophes.

S’ensuivit un débat angoissant. Les frères cherchaient à délivrer leurs fiancées le plus rapidement possible. L’hydre préférait libérer le secteur jusqu’à arriver à elles, afin de minimiser les risques. Le désaccord fut si important qu’elle reconsidéra la position des lieux à investir. Elle adapta ses objectifs, ils la suivirent, la mort dans l’âme.

Parfois, le plan soumission se voyait mis en œuvre. Le jeune voleur appréciait ce plan. Des pirates montraient le bout de leur nez et trouvaient tout un groupe de villageois à genoux, les mains sur la tête, dans le dos ou par devant. Gus les haranguait et les frappait. Les malfaiteurs approchaient, le regard luisant. Tout proches, tous se retournaient sabre au clair, l’affaire était pliée en un instant.

Même à genoux, de dos, le visage contre un mur, l’hydre captivait ceux qu’elle cherchait à détruire. Immanquablement, les premières attentions se portaient vers elle. Une main approchait, le signal était lancé. Elle se retournait, un poignard dans chaque main. L’intrus était occis sans absolution possible. Si, pressés par le temps, Paul et Baptiste n’attendaient que ce moment, en réalité, galvanisés par leur réussite, tous opéraient.

.oOo.

Après trois maisons vides, ils acceptèrent de suivre les frères Sens. De l’endroit où ils se trouvaient, le trajet semblait sécurisé. Toutefois, chaque hurlement les plaçait en alerte.

Henri, le père de Sonia et Minille, était artisan. Après le passage des forbans, le plus grand désordre régnait dans son atelier. Sans s’y attarder, Paul hésita devant la porte menant aux lieux de vie. Des gémissements lui parvenaient.

— Les pirates n’y sont plus, assura l’étrangère.

Il hocha la tête et ouvrit. Sur le côté, en partie cachés par une table, des corps. Il avança prudemment, puis se précipita vers eux. Le père, la mère de famille, la cousine de celle-ci et leurs deux fils s’y trouvaient entravés.

— Paul ? s’étonna Henri Jacquemin.

Paul, Baptiste et Gabriel s’empressèrent de les délivrer.

— Où sont Sonia et Minille ? demanda Paul.

— Ils les ont emmenées. Nous leur avons donné ce que nous avions et ils sont partis avec elles.

Aucun des membres de la famille ne semblait avoir été torturé. Leurs biens les avaient sauvés. Toutefois, leurs deux filles faisaient partie de ces biens.

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