La horde - 3° partie

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Gus fêtait ses dix-neuf ans. Né pirate, il avait assisté à maintes atrocités perpétrées par ses pairs et s’en était même amusé. Aujourd’hui, elles ne lui semblaient plus aussi naturelles que ça. Des hommes trimaient pour survivre et d’autres les pillaient. Depuis un moment, ces questions le taraudaient. Ce n’était pas la première fois qu’il accostait sur Grande-Île. Une nouvelle occasion de changer de vie. Cependant, on ne quitte pas la confrérie d’un claquement de doigt.

Mais cette fille ! Elle avait son âge ou à peine plus. Et qu’elle était belle ! Son cœur fondait rien qu’à la contempler. Et quelle témérité ! Quelle habileté ! La preuve que certains individus de Grande-Île surpassaient les siens dans leurs domaines de prédilection. Tous n’étaient pas des sous-hommes, esclaves de leur souverain décadent comme le clamaient ses comparses.

À cet instant, il avait le choix. S’il se protégeait derrière un enfant, la tigresse aux cheveux d’or n’oserait tirer. Derrière un otage, ils pourraient la faire plier. Mais s’il lui venait en aide… Elle lui serait peut-être reconnaissante, l’aiderait à quitter les siens. Cette opportunité ne se répéterait sans doute jamais.

Une seconde pour décider, une seconde pour changer de vie. Il se rapprocha de son compagnon, coupa les entraves de la petite comme demandé. Mais avant que celui-ci ne se relève, il lui envoya le pommeau métallique de sa dague dans l’oreille. Un second coup l’assomma proprement.

Gus fit face à la jeune femme, lâcha sa dague, et leva à mi-hauteur ses mains vides en signe de soumission. Il lui avait fait un signe avant d’opérer, un signe qu’elle avait sans doute peiné à interpréter, suffisamment éloquent pour qu’elle n’ose l’abattre.

— Es-tu avec moi ? demanda-t-elle.

— Je le suis.

— Très bien, fit-elle, soulagée.

Elle répéta ces deux mots une seconde fois pour elle-même, tout en se tournant vers Étienne puis Julien afin de leur demander de délivrer les prisonniers. Le cadet s’empressa d’obtempérer alors que Gus avait déjà commencé.

.oOo.

Assis, Charles Gasset massait ses poignets endoloris. La tension accumulée refluait doucement. Il aurait voulu s’étendre afin de l’évacuer totalement, mais il restait tant à faire. Dans son dos, leur sauveuse réconfortait la petite derrière laquelle le brigand s’était protégé.

— Merci, mademoiselle, merci de nous être venue en aide.

Tout le groupe se joignit en remerciements. Elle hocha la tête, posant un baiser sur le crâne de la petite.

Charles se leva.

— Nous vous devons une fière chandelle. Vous êtes de la région ?

— Je viens d’Idrack. Je me dirigeais vers la capitale lorsque j’ai repéré les flammes.

Il la contempla, emprunté, cherchant ses mots.

— Vous maniez le couteau à la perfection. Nous avons eu de la chance que vous passiez par là.

Extrêmement rares, les femmes habiles au maniement des armes nourrissaient parfois les discussions de taverne. Il n’osa s’enquérir de son appartenance à une faction d’Assassins, groupes qui entraînaient des femmes à endormir la vigilance des hommes. Elle les avait sauvés, cela seul importait.

— Avec nos propres chevaux, les pirates nous ont retrouvés alors que nous allions chercher du secours. Nous voulions les distancer dans la forêt, mais ils ont manœuvré pour nous jeter entre les pattes de ces quatre-là.

— Où sont partis ces cavaliers ?

— À la recherche d’autres fugitifs, ils craignent que leur présence ne soit révélée alentour.

— Reste-t-il des fugitifs pour lancer l’alerte ?

— Nous avons bon espoir.

Antoine Raley venait de s’immiscer dans leur conversation. Après avoir emprunté le cheval de la propriété jouxtant la colline, la plus éloignée du village, son fils était parti au galop. En lui-même, Il priait qu’il y parvienne sain et sauf.

.oOo.

Étienne écoutait, perplexe. Signe que le calme perdurerait, elle avait fermé sa chemise depuis la fin de l’attaque. Hydre ou guerrière ? Il n’arrivait pas à trancher. Elle négligeait ses pouvoirs, parfois même, elle révélait un comportement très humain.

Que savait-il des guerrières ? Elles ne couraient pas les rues.

Mais les hydres non plus…

Et la voilà entourée d’un nombre toujours plus important de grandes personnes. Le calme apparent fut troublé par un râle d'agonie. Inquiet, Étienne retint un mouvement de recul lorsqu'un homme corpulent, vêtu de noir, planta une épée dans le ventre du pirate assommé. Indifférent aux regards de l'assemblée, il réitéra son geste sur les autres ravisseurs. D'un pas nonchalant, il rejoignit le groupe, l'épée en main. Étienne fronça les sourcils, prêt à défendre l'hydre. Mais l'homme brandit son arme vers le repenti, ne suspendant son geste que grâce à l'intervention de la guerrière.

Comme à son habitude, elle avait réagi immédiatement.

— Épée à terre ! ordonna-t-elle. Qu’est-ce qui vous prend ?

Loin d’obéir à la femme toute puissante, il rapprocha encore la pointe de sa lame. Arrivé par derrière, un autre homme ceinturait le jeune pirate.

— Pas le temps de juger ces bandits, il faut fuir. Fermez les yeux, gente dame, on s’en occupe.

— Il vient de nous aider !

— Vous êtes jeune et naïve. Ne vous laissez pas endormir. Laissez-nous procéder.

Rapide comme l’éclair, elle saisit une flèche pour projeta sa pointe contre le cou de l’homme en noir. D’un pas sur sa gauche, il tenta de s’éloigner, mais elle suivit sans peine, précédant ses mouvements.

— Je n’hésiterais pas, sachez-le ! » Puis, à l’intention du reste du groupe : « Comment s’appelle cet homme ?

Habile stratagème, pensa Étienne. En s’adressant à d’autres, elle signifiait à tous l’irresponsabilité de l’individu.

— Bob Roubard, mademoiselle, répondit Charles.

— Est-il le responsable de ce village ?

— Non.

Il avait hésité. Le gros homme lui faisait peur.

— Gus, tu t’appelles Gus ?

— Oui, madame.

— Viendras-tu avec nous délivrer d’autres villageois ?

Ainsi, elle confirmait son ambition ! Il la suivrait partout et parviendrait à délivrer Marlenne. La surprise se lut sur le visage des membres du groupe. Terminé, la fuite. Il était maintenant question de risquer sa vie pour en sauver d’autres !

— Oui, madame.

— Pourquoi ?

— J’en ai assez de ces tueries. Je quitte la piraterie.

— Malgré tout, seras-tu prêt à abattre les tiens pour protéger les gens du village ?

— Oui.

— Bob Roubard, lâchez cette épée !

— Votre naïveté vous perdra !

Plutôt que d’obéir, il affermit sa prise. Hors d’elle, elle tendit le bras. Du sang coula sur la pointe enfoncée. L’homme en noir recula, puis tomba. La paume de la main contre la blessure, il cracha :

— Mais elle est folle ! Elle causera notre perte à tous !

Il chercha autour de lui.

— Regardez qui elle nous amène : deux voleurs et un pirate ! Elle est comme eux.

Son doigt accusateur pointait Julien, qui observait en retrait.

— C’est vrai, surenchérit Antoine Raley. Ces deux-là, je les connais bien.

— Sans eux, intervint la guerrière blonde, vous seriez déjà soumis à la question.

Plutôt que de savourer sa victoire, elle se raidit. Tous sens en éveil, l’hydre fixait la forêt en direction du levant. À part quelques sentiers étroits qui l’éclaircissaient, on n’y voyait goutte. Que regardait-elle ?

Branches cassées, feuilles mortes écrasées, voilà ce qu’elle entendait. Les bruits s'amplifiaient. La femme recula, arma son arc, tandis que beaucoup, saisis d'effroi, reculaient. Soudain, quatre jeunes hommes jaillirent de la forêt. En sueur, les yeux hagards, le front plissé d'inquiétude, ils s’arrêtèrent.

Le temps se suspendit entre les deux groupes, chacun jaugeant l'autre dans une fraction de seconde qui s'étirait. Étienne sortit de sa torpeur, les bruits menaçants emplissaient de nouveau son oreille. Les nouveaux venus se concertèrent en silence et repartirent non sans hurler un : « Fuyez ! » désespéré.

La peur s’empara de tous.

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