Anne - 17

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J’ai crevé d’envie, mais il ne s’est rien passé.

Et les sept mois qui ont suivi non plus. Pourtant ce n’est pas faute d’être morte consumée un millier de fois. Chaque cours de math était une bataille intérieure. Rester concentrée. Ne pas se noyer dans l’océan de ses yeux.

Puis Lisbet est venue. Une bouffée d’oxygène dans ma hâte étouffante. J’ai retrouvé sa peau délicieuse et elle m’a soulagée d’un peu de ma frustration. Elle en était presque surprise de me voir si pressante. Ne s’en est certainement pas plainte ! Je lui ai montré ma ville, je me suis perdu entre ses mains, nous avons ri, nous avons parlé longtemps aussi. Il y a tant de choses à dire sur ce qu’elle a vu ailleurs. Les chapeaux de leprechaun arc-en-ciel durant la Pride irlandaise et son prochain voyage en Inde. J’aimerais y aller.

J’ai retrouvé mon danois, elle, son français. Quand elle est partie, j’ai pensé en danois pendant plusieurs jours encore. On a essayé de ne pas déranger Colette. Ç’a été dur. Elle nous a traités de petits lapins. « Heureusement que vous ne vous reproduisez pas aussi vite, toutes les deux », a-t-elle dit. On a ri.

Quand Lisbet est partie, j’ai d’abord cru que ses caresses me manquaient déjà, puis j’ai compris. C’est une tendresse de quotidien qui me manque. Tout ce que le plan cul ne peut pas combler. La complicité forgée par le temps. Je me suis imaginé corriger mes copies avec le clic régulier de la souris de Jade. Je me suis imaginé son profil silencieux chaque fois que je tourne la tête pour rêvasser. Son regard un peu dur et son sourire discret.

Je suis amoureuse de Jade. Ce n’est pas qu’une histoire de cul, je le sais. Quand elle pose les yeux sur moi, je vibre de tout un tas de choses qui n’existaient, n’existe ni avec Éric ni avec Lisbet. Après, je la veux, soyons clairs. Je ne suis pas une none non plus.


La cloche sonne.

Je regarde mes élèves sortir avec une pointe de tristesse, leur souhaite bon courage pour les révisions. Gaël, Éloise et d’autres me remercient pour cette année.

Jade se dresse devant moi.

– Tu n’es plus ma prof.

Sa précipitation est une étincelle à mon brasier. Je plante mes yeux dans les siens et la toise de tout le désir que j’ai réprimé ces derniers mois.

– Je ne suis plus ta prof.


Je cours presque en rentrant chez Colette.

— Où tu vas comme ça, petit lapin ?

Le surnom ne m’a pas quitté depuis Lisbet.

— Chez Jade.

— Ah enfin !

Je m’arrête une seconde et la dévisage.

— Et bien, je me demandais quand est ce que tu allais y retourner ! Vous étiez si mignonne à Noël.

— C’était mon élève, Colette.

— Comme si ça arrêtait ces messieurs.

Elle hausse les épaules et s’en retourne dans la cuisine. Quel cynisme. Elle me fait rire. Mais je ris un peu jaune, parce que c’est trop vrai.

Je caresse le chat, file, saute dans le bus, sonne chez Jade, monte les deux étages au pas de course, elle ouvre la porte. Je me fige. Pétrifiée par une seconde irréelle. Conditionnées à se retenir, mes pensées se mélangent. J’ai le droit et pourtant je ne fais rien. J’ai envie et pourtant je ne bouge pas. Je la regarde dans son bermuda serré, dans son débardeur aux aisselles démesurées et son ventre nu, la simple brassière qui couvre sa poitrine. De haut en bas et de bas en haut, je suis avec appétit la ligne de son corps. J’ai peur de bouger, m’embraser en mille étincelles.

Jade ne bouge pas non plus, ne dit rien. Je sens dans ses yeux la même crainte. Es-tu là ? Es-tu vraiment là devant moi ?

Soie miaule, Jade inspire, s’efface.

— Entre.

Je m’avance. Le pas prudent de celui qui veut éviter de réveiller l’animal. Le mien. Le sien aussi. Je vois dans ses yeux l’once qui guette qui attend patiemment. Qui du tigre ou de la panthère attaquera le premier ?

— Où est-ce que je pose mes affaires ?

Des choses simples. Je me recentre un peu, évite de me jeter sur elle comme un chien sur un os.

— Dans ma chambre.

Je pose mes affaires dans sa chambre.

Je suis face au lit et je l’entends s’approcher derrière moi. Son index dégage lentement mes cheveux, frôle à peine ma peau. Frisson d’une vie. Mon tigre dresse une oreille, reste tapi. Je la sens se pencher, ses lèvres se posent sur ma nuque. Je pourrais me retourner, mais n’en fais rien, garde fiévreusement mon tigre tranquille. Je chéris cette tension avec un tel plaisir que je ne veux pas la rompre.

Son index tire un peu ma chemise, ses lèvres se posent à nouveau sur ma peau. Je ferme les yeux, serre les poings, serres les dents, attends.

— Tu as pris une douche.

— J’vais 3 minutes de marge.

Elle me tourne doucement et je fais face à l’immensité de son regard. Il est sûr et serein, me détend étrangement, dompte mon tigre. Sa panthère a gagné sans attaquer, elle s’est levée et s’est coulée jusqu’à moi avec une lenteur lascive.

Sa main relève mon menton, trace le trait de ma mâchoire, caresse ma joue, finit sa course dans mes cheveux. Ses yeux courent sur mon visage avec une attention nouvelle, une curiosité qui me découvre de plus près.

— Tu as des constellations dans ton masque de loup.

Mon masque de loup ? C’est un joli nom pour mes taches de rousseurs.

— Lesquelles ?

— La Grande Ourse et Pégase juste en dessous.

Je frissonne de son timbre si calme. Jade, parle encore. Parle et envoute-moi. Pose ta bouche sur la mienne et chante à mon tigre. Mes mains se sont inconsciemment agrippées à sa ceinture. Elle se redresse un peu et je regarde ses lèvres moqueuses s’étirer. Elle joue. Elle me punit de l’avoir fait attendre sept mois. Mais moi aussi j’ai attendu, Jade ! Je tire un peu plus sa ceinture, mais elle reste inflexible et sourit un peu plus. Même sur la pointe des pieds je ne pourrais pas l’embrasser, elle le sait trop bien.

— Tu…

Jade fait un pas vers moi et m’écrase un peu plus de sa hauteur. C’est une menace tendre et je me sens comme un chaton rayé. Je recule d’un pas, cogne contre le lit. Elle me pousse à peine l’épaule pour me faire assoir. Ma tension remonte et mon dos se tend. Je ne sais pas si je veux lui hurler d’agir, ou la supplier de continuer à jouer. Elle fait un nouveau pas. S’appuie sur le lit. Je recule. Son visage est tout près du mien. Son souffle de panthère me flaire, me jauge. Je recule encore. Elle avance à pas lent. Ma peau est moite, ma respiration est courte et je ne peux pas lâcher ses yeux qui me dévore vive.

Acculée contre la tête de lit, je ne peux plus fuir son sourire carnassier. Avec une lenteur insoutenable, elle dénoue ma chemise. Prends bien soin de ne faire qu’effleurer ma peau qui frissonne d’impatience. Même Lisbet n’a pas réussi à me garder enchainer par la frustration si longtemps. Jade est autrement plus impressionnante et me soumet d’un seul regard. Narquois et austère à la fois. Sa taille l’aide aussi.

Ma chemise vole avec brutalité loin de moi. Jade s’approche de mon visage. Je ferme les yeux et me tends instinctivement vers elle. Ses lèvres frôlent les miennes dans un souffle, un grognement m’échappe, puis je sens sa langue glisser de la base de mon oreille jusqu’à mon cou. Elle s’arrête. Souffle doucement sur la ligne humide. J’inspire profondément pour ne pas me rompre.

Soudain la morsure.

La surprise me réveille, mon tigre ouvre les yeux.

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