Anne - 11

7 minutes de lecture

— Colette ! Je suis rentrée !

— Tu as eu le temps de passer prendre quelques citrons ?

Je pose les trois fruits à côté d’elle sur le plan de travail.

— Ils viennent tout droit d’Ischia.

Je sais qu’elle ne jure que par les citrons italiens, j’étais contente d’en trouver.

Je vais dans ma chambre et m’assois sur le lit. Au toucher, je sais qu’ils sont propres, quelle tête de mule. Enfin, ça me fait plaisir, ça sent bon la grand-mère. Elle ne me le dit pas, mais je crois que je suis un peu sa petite fille. Son mari est mort jeune et elle ne s’est jamais remariée. En tout cas, il n’y a jamais d’enfants dans les histoires qu’elle me raconte.

Pourquoi est-ce que j’ai invité Jade ? Je crois que c’était de l’ordre du réflexe. Une excellente occasion de passer une soirée en bonne compagnie. Quand je me suis rappelé que j’étais sa prof et non sa copine, c’était trop tard. Est-ce que c’est bizarre ? Ce sera bizarre si je rends ça bizarre. Et c’est jade. Si elle trouvait ça bizarre, elle m’aurait dit : « c’est bizarre, Renart. »

Renart. Dans sa bouche, ça sonne comme un sobriquet affectueux. A-t-elle calculé la probabilité que je sois rousse en me nommant « Renart » ? Je ne doute pas que le résultat l’ait amusée. Et pourtant elle n’en a jamais dit un mot, parce qu’elle s’en fiche. J’aurais été bien déçue de devoir la mettre dans ma catégorie « gros lourd ».

« Oh c’est marrant, tu t’appelles Renart et t’as les cheveux roux »

« Eh, Renart, heureusement, t’as pas les cheveux bruns. »

« Eh ! y a une faute à ton nom, ce serait mieux avec un d, avec ta couleur de cheveux »

Je soupire. Mes années de collège ont vraiment été longues.

Mon téléphone vibre et je rigole de la photo que m’a envoyée Lisbet. Elle est au bar avec deux pointes, une pour elle, une pour moi. Le message qui accompagne la photo : « Ta bière t’attend, j’ai beaucoup de hâte de te voir ! »


Quand j’ouvre la porte, le chat me file entre les pattes. En relevant la tête, je suis happée par le bleu perçant des yeux de Jade, rehaussé d’un habile trait noir. Je reste connement là à la regarder sans rien dire.

— Fais-la donc entrer, Anne ! On ne va pas faire le réveillon sur le palier !

Colette me tire de mes pensées et je la fais entrer. Je n’avais jamais freezé. Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes, ça me trouble un peu.

Jade parle beaucoup pendant le repas, Colette l’asticote de tout un tas de questions. J’ai plaisir à la voir si souriante. Et l’état voudrait me poursuivre pour un peu de bonheur apporté à mes élèves. Qu’il le fasse, je me félicite d’avoir invité Jade, finalement.

Les cadeaux de Colette ne m’étonnent pas. Sa maison n’est qu’une bibliothèque géante. Du sol au plafond et dans toutes les pièces. Toutes. w.c. inclus. Enfin, ceux des toilettes sont ceux méritant tout juste leur place.

J’ai offert à Colette une jolie gourde en inox, ses bouteilles d’eau m’agacent. C’est pas écolo. Elle ricane en la déballant, pas besoin de lui faire un dessin. Le roman graphique que j’ai offert à Jade parle de la richesse de la différence. Une petite fille qui se sent monstre au début.


Avant de me coucher, je regarde une dernière fois l’algorithme en forme de renard. C’est vraiment beau. Et ingénieux. Un niveau de math que je n’ai pas. J’ai un peu peur de l’avoir déçue du temps que j’ai mis à le déchiffrer. En me couvrant du gros édredon, je croise les bras derrière ma tête et repasse la soirée. Je m’étonne encore d’avoir freezé devant Jade. Ça me contrarie, parce j’ai peur de savoir ce que cache cette réaction. La vibration de mon téléphone coupe court à mes pensées. Lisbet répond à ma photo du sapin par la photo de sa table fumante des plats principaux. Je reçois une seconde photo avec son affreuse tête en gros plan et le sapin derrière.

« Tu ne fais pas un très beau cadeau avec cette tête-là » je lui réponds.

Elle me renvoie une photo plus laide encore, avec une énorme bise façon cul de poule avec pour tout commentaire : « on voir ça quand tu arrives au Danemark ».


Je saute de l’avion et me précipite aux lieux des arrivées à la recherche de ma danoise. On se tombe dans les bras et elle m’embrasse avec un tel appétit que j’en reste sidérée. Juste quelques secondes et je m’abandonne à ses lèvres. Je sens qu’elle me lâche à contrecœur. Moi je reprends ma respiration, puis je l’enlace.

Son français est aussi rouillé que mon danois, on parle donc en « Fran-nois » avec des notes d’anglais quand ça devient trop incompréhensible. Lisbet a un petit appart sympa dans le centre de Copenhague. Un deux-pièces assez lumineux, aménagé avec gout. J’ai juste le temps de poser mon sac à dos qu’on ressort déjà. Elle veut profiter du beau temps pour me montrer le quartier coloré de Copenhague.

Puis on prend une bière.

Elle me parle du Canada et du froid.

Puis on reprend une bière.

Je lui parle de la Norvège et des lacs.

On éconduit ces messieurs qui veulent nous offrir une bière. On se la paye nous-mêmes.

Elle me parle d’un élève difficile, je lui parle de Lucas. Elle me raconte une aventure désastreuse, je lui raconte Éric plus en détail. Je rêve un peu dans son voyage en Écosse. Et je rêve aussi de sa bouche sur ma peau.

On prendra notre quatrième bière à la maison.

Allongée sur le lit, je la regarde me regarder. Elle est appuyée contre sa penderie, en face de moi, ne dit rien. Son verre caresse pensivement ses lèvres et moi je caresse pensivement son corps. Elle a pris un peu de poids, mais ses courbes n’en sont que plus belles. Son regard est malicieux, je sais qu’elle me fait attendre. Et moi je brule. Je brule, mais j’attends sagement. Quand elle bouge enfin, je reste immobile. Son vers se pose sur une étagère. Elle s’approche avec la lenteur d’un chat qui chasse. Je reste immobile et ma respiration s’accélère un peu. Elle s’avance à quatre pattes, me surplombe. Sa bouche survole mon décolleté, remonte vers mon oreille, passe le long de ma joue, ne me touche toujours pas. Ma main bouge d’elle-même, mais Lisbet la plaque contre le lit. Son regard carnassier se plisse, un peu moqueur.

— Vent, min smukke… murmure-t-elle.

« Patience, ma belle ». Mon brasier intérieur me consume, mais je résiste. Je reste immobile.

Sa main remonte le long de mon bras et caresse mon cou. C’est si léger que j’en frissonne. Puis sa bouche se pose enfin sur mes lèvres. Elle ne me laisse pas mener et me dévore sans retenue, glisse le long de ma gorge, déboutonne ma chemise d’un coup sec, découvre mon sein, en lèche le téton. Je suis toujours immobilisée par ses cuisses, son autre main appuyée sur mon épaule. J’aimerais l’attraper dans mes bras, lui arracher ses vêtements, contempler sa peau nue, la toucher, la lécher aussi. Mon pauvre Éric, jamais je n’ai eu ces envies-là avec toi. Je ne t’aimais vraiment pas comme ça.

Elle joue avec ma frustration, je le sais. Je vois ses yeux guetter chaque émotion qui passe sur mon visage. Sauf que je ne suis pas une souris docile.

Je suis le tigre.

Je me libère de sa poigne et me redresse. Mes mains glissent sous son maillot de corps pour le lui enlever. Son soutien-gorge valse, je plonge mon nez entre ses seins. Mes doigts remontent la peau de son dos, les siens glissent dans mes cheveux, les agrippent. C’est une bataille de dominant. Je déboucle sa ceinture. Lisbet me repousse sur le lit, tire mon pantalon, m’embrasse. Je la retourne, dégage sa culotte, lui lèche le ventre.

Entièrement nues, on s’arrête une seconde.

— Tu es encore plus belle que ce soir-là.

— Pourquoi ? je lui demande.

— Parce que je peux te revoir demain.

Cette réponse me plait. Je dessine ses seins du bout des doigts et continue sur sa taille. Cette fois-ci elle se laisse faire, je la vois fermer les yeux. Je pose ma bouche sous son nombril et trace une ligne de baisers jusqu’à sa petite toison blonde. Elle frissonne et moi je souris. Si elle a froid, je vais y remédier. Je passe le doigt entre ses lèvres gonflées avant de lécher le bout de son clitoris. Ses mains agrippent les draps, j’agrippe ses hanches et continue. Je le pince et le fais doucement rouler entre mes lèvres, l’aspirer un peu. Son corps devient moite, se tend. Elle se cambre un peu plus, retient sa respiration, gémit, parfois. Ma propre excitation monte, j’ai chaud de lui donner chaud. Je lâche une main pour me masturber en même temps.

On jouit.

Un peu en décaler.


J’ai passé dix jours de folie, les dix meilleurs ma vie. Et l’avion atterrit dans vingt minutes, m’obligeant à atterrir moi aussi. Revenir à la réalité de ma vie de prof de math et quitter ma bulle danoise. Quitter ma danoise. C’est ce genre de vacances qui donnent envie de tout quitter pour partir et recommencer. On a bu, on a couché, on s’est promenées, on a dansé, on a couché encore. La journée, Lisbet me montrait tous les trésors de sa ville cachés aux touristes, et le soir on arpentait ses bars préférés.

Elle vient à Pâques.

L’avion vient d’atterrir.

J’ai déjà hâte.

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