En retrait

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   « Thomas ? » ... « Toooom ! » Humm ? Je sors mon regard de l'écran et me retourne. J'ai les yeux un peu embués. Je me les frotte. « Ben alors ? tu réponds pas ? » C'est un collègue du bureau. Son ordinateur est en face du mien. Je ne me souviens plus de son prénom, je ne suis pas doué pour ça. « Thomas ? » Je lui explique que j'avais été un peu distrait. Mais que tout va bien. Il sourit et retourne à son travail sans mot dire.

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 « En fait, tu sais, Vincent, il m'est arrivé quelque chose ce matin. Je veux dire, il est arrivé quelque chose. » Je porte la tasse à mes lèvres. Nous sommes à la cafétéria. (je lui ai redemandé son nom) « De quoi s'agit-il ? » Je lui dis que je ne me souviens pas précisément. C'est un peu confus. Il me presse de raconter. Je lui dis : c'était dans le métro.

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 Je lui explique que c'était en allant au boulot. Ligne 6. J'étais en train de lire le livre qu'il m'avait prêté, Tuba...quelque chose « Tsubaki, il me dit : d'Aki Shimazaki ». Oui c'est ça, je dis. Je lis rarement mais j'ai apprécié ce livre et le remercie de me l'avoir proposé. J'ai même acheté la suite ! Et je me suis retrouvé dans Hamaguri.

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 « Bon. Et que s'est-il passé ? » « Tu sais, c'est un peu vague... » je dis. En gros, je me souviens d'une dispute. Il y avait un peu de tension autour et alors un gars s'est mis en colère contre un autre et a dit qu'il allait régler son compte dehors. C'était un peu terrorisant. Et j'ai cru les entrapercevoir descendre à la station suivante. Voilà.

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 Vincent me regarde, il voit que j'ai fini. Il demande de quoi je parle quand je dis qu'il y avait de la tension. Je dis qu'ils s'étaient énervés à propos de politesse ou quelque chose comme ça. Il demande pour quelle raison. Je réfléchis. Une personne avait bousculé les autres. « Et c'est à lui que l'autre en voulait ? » « Oui voilà c'est ça » je fais. Vincent me regarde silencieusement. Je ne dis rien.

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 Vincent soupire et fait : « Ahlàlà... » Et puis : « Tu te souviens de nos années d'études ? De notre professeur de français ? » C'est vrai que nous avons passé une classe ensemble, c'était il y a longtemps. Et puis nous nous sommes retrouvés au boulot. Il m'a immédiatement reconnu, il est doué pour ça. « Je me souviens un peu, pourquoi ? » Il évoque les corrections qu'elle nous faisait.

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 À moi elle disait que je devrais me faire confiance et davantage développer l'histoire.
 À ce moment-là, je me souviens d'un exercice qu'elle nous avait proposé. Nous devions composer un éloge paradoxal. J'avais choisi la lâcheté. « Je me souviens, dit Vincent, c'était vraiment pas mal, et d'ailleurs la prof t'avait complimenté : "c'est comme si tu y croyais." ». « Oui. J'avais dit : "mais j'y crois".»

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 « Mais tu faisais quoi pendant que ça s'est passé ? » Vincent demande. « Ben, je lisais. » « Quoi, dans l'agitation comme ça ? » « À un moment j'ai dû poser le livre, et je me suis un peu plus concentré sur la situation. C'est là qu'il a commencé à lui faire des menaces et à parler de s'occuper de lui. Je crois que les autres ne réagissaient pas trop. » « Toi non plus ? » « Non, c'est vrai. Je ne savais pas quoi faire. »

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 « Moi, tu sais, je dis soudain, je ne veux pas de mal aux gens. C'est l'essentiel, non ? On peut pas toujours aider les autres, c'est comme ça. » « On peut quand même réaliser des petites choses, des gestes importants, symboliques. C'est d'ailleurs ça, en somme, la politesse. Rien que donner de l'argent et de l'attention à un SDF, c'est quelque chose. » Je ne réponds pas. Je donne rarement de l'argent à ces personnes.

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 Plus tard, dans la journée, deux autres collègues discutent. L'un d'eux tient un vieux journal dans une main, ouvert à la rubrique des faits divers. Ils parlent de cette agression...vous savez, qui s'est déroulée dans le métro. La victime appelait aux secours, mais que personne n'a réagi. Ils se demandent ce qu'ils auraient fait.

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 C'est la pause ; un poste radio est allumé et entonne : « Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens ? si j'avais été allemand ? » J'écoute en silence.

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