Portrait

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 Chez moi, au fond de ma chambre, dans l'obscurité, il y a un portrait. De moi. Quand j'étais jeune. C'est moi et ce n'est pas moi. Pour parler franchement, je ne me reconnais pas vraiment ; je veux dire, je comprends que c'est moi, je le sais, je le vois, c'est pour moi une vérité mathématique : et pourtant, une fois que je me le dis, ça me glisse dessus sans m'atteindre. Je me regarde sans me regarder.

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 J'ai vu un jour des Russes, des Orthodoxes, embrasser des icônes. Chez moi, j'en ai une : une fois, pris peut-être par une nuit de feu tel Schmitt, je me suis approché de l'icône, de plus en plus proche, jusqu'à pouvoir Lui faire sentir mon haleine. Et ensuite ? et ensuite, que doit-il se passer ? Rien que le silence...
 Dans mon portrait, il n'y a que le silence : peut-être y a-t-il quelque chose de mort.

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 L'autre jour, pourtant, comme j'approchais de lui mes yeux et mes mains, prêt à lui arracher quelque vérité, j'ai soudain eu un mouvement d'arrêt. Face à moi, ce n'était pas moi, c'était un autre ; parce que c'était un autre, c'était l'Autre. Derrière ses yeux il y avait tout un monde.
 Mais il prend la poussière ; je ne me suis jamais résolu à le nettoyer. Si j'y passe le doigt, ce sont mes cernes que je creuse. Ô jeunesse...

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 C'est comme devant la bouche de métro.
 « Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Et si tu regardes longtemps au fond d'un abîme, l'abîme aussi regarde au fond de toi. » a dit Nietzsche.
 Souvent, avant de descendre les marches, me tournant vers le fond et m'ouvrant à l'appel d'air, je médite ses paroles.

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 C'est comme à travers la vitre.
 Savez-vous comme les portes du métro peuvent être mortelles ? un jour, j'ai inséré mon doigt pour faire levier et permettre à une dame d'extirper le sien, avant d'en faire tout autant. Il était en sang. Du sang sale, comme bruni, vaguement dégoulinant.
 Or, parfois, sur la vitre, il y a comme une buée qui me fait le même effet.

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 Un jour, j'ai assisté à une curieuse scène, à travers l'embrasure entre deux rames.
 Il y avait comme de l'agitation dans l'air, alors j'ai ouvert les yeux, curieux et ensuite... Ou bien j'ai été directement attiré par l'arrivée impromptue de ce passager...
 Toujours est-il que je me souviens de quelques mots échangés, d'insultes, de coups, et d'une face. Y avait-il autre chose ?...

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 Je crois avoir entendu : « Vous pourriez pas faire attention ? » « quelle honte... » « La politesse se perd. » « C'est quoi votre problème ? » « Qui pleure le soir, selon vous ?... » Mais cette dernière phrase, je ne suis plus très sûr de l'avoir entendue ; ou peut-être avait-elle été simplement murmurée...

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 Je crains que si je raconte seulement, tout restera voilé...
 Un voile annonce un visage qui se dissimule par métronymie. Si son voisin ne sait percer les persiennes, il fermera les yeux, c'est-à-dire qu'il le trahira. Je crois que chaque jour nous trahissons l'humanité.
 Mais quand j'y pense, dans ma chambre, c'est vers mon portrait que je me tourne. Qui d'autre trahissons-nous au fond ? Je l'ai laissé prendre la poussière...

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 En hiver, quand on est devant la glace, on perçoit notre reflet qui se brouille. Si tu ouvres la bouche pour dire un mot, il y a de la buée qui se répand.
 J'ai depuis longtemps le sentiment que nous nous embuons tous les uns les autres.
 Sur la glace, par-delà la glace, parfois, une face s'efface. Une présence. - Je ne sais pas pourquoi, je me souviens que ce jour-là dans le métro, j'ai eu une face, là, devant, qui s'imposait, comme une icône.

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