Chapitre 35

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Quand je descends pour le petit déjeuner, la plupart des gens sont déjà là. Je rejoins ma tablée.

- Ah mec, me fait Max, on a cru qu’on ne te verrait jamais ! T’es en retard, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Moi qui espérait faire une rentrée discrète, c’est raté.

- Euh… J’ai pas entendu le réveil.

Heureusement pour moi, cela suffit à Max, qui se remet à parler avec le reste de ma tablée. J’espère ne pas avoir rougi. En m’asseyant, je croise le regard de Margot. J’essaie de lui faire un sourire rassurant, sans toutefois afficher un sourire niais. J’ignore si elle comprend, mais elle a l’air de bouillir de pouvoir m’interroger.

Le petit déjeuner s’est passé dans une bonne ambiance. Enfin, surtout pour ma tablée. Moi, j’avais constamment la tête ailleurs. J’avais beau essayer de m’en empêcher, mes yeux revenaient toujours sur Enzo. À un moment, mon regard a croisé le sien, et le temps a semblé se suspendre autour de moi, puis il s’est détourné pour parler à quelqu’un. J’aurais aimé avoir sa capacité à donner le change comme il le fait, riant de façon naturelle avec ses amis. Ça aurait évité que mes amis aient à me poser deux fois les mêmes questions par exemple. Je me suis fait violence pour me concentrer sur la conversation.

À la fin du repas, les profs nous annoncent le programme d’aujourd’hui : au vu du temps – de la neige en abondance – la journée ski qui devait avoir lieu est reportée, et l’on a le droit à une journée cinéma. Si Anne a l’air dépitée de devoir annuler son programme sportif, Mme Blanc et M. Diallo eux ont l’air ravis. Les connaissant, ils nous ont prévu une rétrospective de films plus vieux les uns que les autres. L’avantage, c’est que je vais pouvoir rattraper mon manque de sommeil.

Dans la matinée, je constate que j’avais raison. Cela fait maintenant une heure que l’on regarde un film en noir et blanc, dont je peine à suivre l’histoire. Assis à côté de moi, Thibaut n’est pas mieux, comme il me demande « qui c’est celui-là déjà ? » dès qu’un personnage apparaît, et je suis presque sûr que Malik à côté de lui dort.

À un moment, je décide de lâcher l’affaire et quitte la salle pour aller aux toilettes. Après un tour dans le petit cinéma, je les trouve enfin. Je suis en train de me laver les mains quand la porte s’ouvre, et je regarde Margot, surpris.

- Tu sais que ça ne va pas nous faire une très bonne réputation, si l’on apprend que tu me rejoins dans les toilettes des hommes ?

Elle hausse les épaules.

- Tant pis, c’est pas la première fois que je rejoindrais un mec dans un coin sombre d’un cinéma, rigole-t-elle. Je n’en peux plus d’attendre de te voir seule à seul, raconte-moi tout, ajoute-t-elle en s’asseyant sur le bord de l’évier.

Je me sèche les mains tout en cherchant mes mots.

- Je t’ai écouté, et je lui ai dit qu’il fallait qu’on parle. Et…

- Et… ?

À ce moment, c’est plus fort que moi, je sens un sourire niais se former sur mon visage – je le vois bien d’en le miroir en face, j’ai l’air d’un idiot. Le visage de Margot s’éclaire.

- Oh chaton je suis contente pour toi !

- On a pu mettre certaines choses au point, et j’avoue qu’il était temps. Sur notre… relation, sur la soirée théâtre…

- Tu vas enfin me dire ce qu’il s’est passé ce soir là ?

Je lui raconte brièvement.

- Mais surtout, je crois que c’est ce soir là que j’ai commencé à comprendre inconsciemment que je ressentais pas que de l’amitié pour lui, et je crois que c’est pour ça que je me suis autant braqué. Ça m’a fait vraiment flipper, surtout si lui ne voyait pas les choses comme cela… Pour te dire vrai, quand je t’ai quittée hier soir, j’ai un peu cherché toutes les excuses du monde pour ne pas aller le voir.

Elle lève les yeux au ciel.

- Ça m’aurait étonnée. Qu’est-ce qui t’a décidé ?

- J’ai croisé Renaud, et il m’a dit que c’était Enzo qui avait voulu qu’on soit dans la même chambre…

Je m’arrête en constatant qu’elle n’a pas l’air étonné.

- Tu étais au courant !

Elle se montre gênée, et pendant un instant, je vois qu’elle hésite à répondre.

- Oui, c’est vrai.

Elle se mordille les lèvres, avant de poursuivre :

- Enzo m’a un peu parlé pendant les vacances. Il m’a demandé pourquoi tu ne voulais plus lui parler. Alors, avant de partir, j’ai été le voir. On s’est dit qu’il était vraiment temps que vous parliez, et l’idée a été évoquée… Tu m’en veux ?

Je soupire. Même si elle a été voir Enzo dans mon dos, difficile de lui en vouloir vu le résultat. D’autant que sans elle, je serais probablement encore en train de me mentir.

- Non, si tu ne l’avais pas fait, les choses n’auraient pas évolué, alors je devrais probablement même te remercier.

Elle me sourit.

- En tout cas, je suis contente que tu ais enfin réussi à lui parler.

- Tu peux te vanter, tu sais : tu avais raison.

- Je ne comptais pas le dire, mais si tu insistes…

Je rigole.

- J’ai eu un peu peur ce matin que les choses se soient mal passées, poursuit-elle, tu as meilleure mine qu’hier mais tu es toujours aussi cerné.

Je baisse les yeux et passe la main sur ma joue, que je sens devenir rouge.

- Euh… Bah… J’ai pas beaucoup dormi…

- Lucas, mais quelle petite dépravée ! Dit-elle en riant. Et alors, c’était comment ?

Je ne peux m’empêcher de sourire.

- C’était plutôt très bien.

- Avec les papillons dans le ventre et tout ça ?

Mon sourire s’agrandit en repensant à notre conversation d’il y a quelques mois.

- Oui, avec tout ça.

Le silence revient un instant. Margot en profite pour descendre de l’évier.

- Bon, maintenant que je sais tout, il serait temps qu’on retourne dans la salle, sinon les profs vont trouver ça bizarre.

Elle commence à aller vers la porte, mais je la retiens :

- Margot ? Je voulais te dire… Merci. Vraiment.

- Pour être la meilleure entremetteuse à des kilomètres à la ronde ?

Je rigole.

- Non, pas pour ça. Enfin si, pour ça aussi. Mais surtout d’avoir été là, de m’avoir aidé à comprendre certaines choses sur moi, même si je ne suis pas le plus doué pour m’analyser – elle hoche vivement la tête – et que tu as été d’un grande patience. Et puis… pour rester avec moi.

Elle se rapproche de moi et glisse sa main dans la mienne.

- Lucas, je reste avec toi parce que tu le mérites, tu es mon meilleur ami et de loin le meilleur gars que je connaisse – même si t’es effectivement pas le plus dégourdi, hein. Arrête de te comporter comme si tu avais commis une faute. Tu es gay, et ça n’est pas un problème, d’accord ? Et arrête aussi de toujours t’inquiéter. OK ?

Je hoche la tête, la gorge nouée, et refoule les larmes qui me montent aux yeux. Margot ouvre les bras, et je viens m’y blottir avec reconnaissance. Ses derniers mots sont on ne peut plus vrais. Si l‘acceptation de mes propres sentiments a été une source d’apaisement, depuis que j’ai quitté la chambre ce matin l’angoisse m’a repris, sous une forme différente. Je stresse que quelqu’un puisse être au courant, j’appréhende la réaction de mes amis, l’impact que cela pourrait avoir sur ma vie. Et je n’en suis même pas encore à imaginer ce qu’en penserait ma famille. Alors avoir Margot là avec moi, m’acceptant tel quel et m’encourageant à être moi, m’apporte une joie indicible.

Après quelques instants, Margot se recule.

- Bon, cette fois, il faut vraiment qu’on y aille.

Je hoche la tête, et la regarde passer la porte. Une minute plus tard, je fais de même, pour aller rejoindre mes camarades.

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