Chapitre 30

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- Je ne bougerai plus jamais.

Assis à ma gauche, Malik savoure les jets du jacuzzi venant masser ses épaules. La matinée a été physiquement éprouvante ; les profs nous ont convaincu de faire un tournoi aquatique à base de courses, de plongeons et autres batailles d’eau pour récupérer des trucs au fond de la piscine. L’idée était bonne, puisque tous ceux qui ont participé en sont sortis avec de grands sourires – avec, pour Malik, un beau bleu sur les fesses suite à une chute mémorable. L’ambiance s’est même réchauffée entre Zola et Saint-Thomas, même si plusieurs élèves ont quand même refusé de participer, et à plusieurs reprises des élèves des deux clans se sont même entraidés. Pour un peu, je pourrais presque dire que l’idée de nous réunir n’était pas si mauvaise – enfin, si j’exclue le fait que cela contribue à mettre sur ma route une certaine personne à laquelle je m’efforce de ne pas penser. Mais avec tout ça, plus les nombreux tours de toboggan faits, tout le monde est crevé et beaucoup se sont maintenant réfugiés comme nous dans les endroits calmes. Avec Margot et Malik, ainsi que quelques uns de nos camarades, cela fait maintenant une demi-heure que nous squattons le jacuzzi en silence, seulement dérangés par les plaintes occasionnelles de Malik.

Cette matinée m’a fait un bien fou. L’eau a détendu mes muscles courbaturés de la veille, et les fous rires partagés avec mes amis m’ont permis d’échapper aux pensées qui m’obsèdent depuis le début de ce voyage. En plus, les rares fois où j’ai eu à le croiser ce matin, j’ai réussi à ne pas le regarder ni à repenser à ce qui s’est passé hier, je suis plutôt fier de moi.

Quand les choses sont compliquées, il faut faire un tour au parc aquatique. Je crois que je vais faire graver cette phrase quelque part.

Mais, alors que je commençais presque à somnoler, du bruit éclate. Je me retourne pour voir l’origine du bruit, et remarque la dizaine de personnes attroupées un peu plus loin.

- Je crois qu’il y a une bagarre, dit une de mes camarades. Tu devrais aller voir Lucas.

Sans blague. En tant que représentant des élèves, je suis généralement vu comme la personne vers qui se tourner en cas de conflit. Si ça flatte mon égo habituellement, le revers de la médaille est que je dois aussi m’interposer à chaque bagarre – ce qui, depuis que nous partageons notre lycée, est plutôt fréquent.

Je sors du bassin dans un mouvement que j’espère gracieux, ou au moins suffisamment lentement pour que mon maillot ait le bon goût de me suivre. Je me rapproche de l’attroupement qui, comme je le craignais, est composé d’élèves de Zola et de Saint-Thomas. Autant pour l’ambiance que je croyais améliorée entre les deux. Je soupire en voyant Max et Valentin parmi eux. Thibaut y est lui aussi mais lui au moins semble vouloir plutôt apaiser les choses, alors que deux élèves se font face en se criant dessus.

Je me glisse entre et demande d’une voix que je veux posée :

- Qu’est ce qu’il se passe ?

Plusieurs réponses m’arrivent en même de tout côté, et d’un coup j’ai beaucoup de respect pour les maîtresses de maternelle.

- Paul, je demande au Zola qui semble être le principal intéressé, qu’est-ce qu’il se passe ?

- J’en ai ras le bol de ces cons ! Dit-il à grands renforts de gestes.

Pas très précis comme explications. S’en suit une nouvelle dispute dans laquelle chacun essaie d’insulter l’autre plus fort, et je comprends vaguement que Paul s’est fait bousculer par plusieurs Saint-Thomas. En revanche, j’ai la fâcheuse impression que les insultes ont commencé de notre côté, et plus particulièrement de Valentin, qui ne s’en cache pas particulièrement.

- Ok, les gars, on va régler ça calmement, dis-je pour tenter d’apaiser les choses. Déjà, la violence, ça ne sert à rien.

- Ça va Miss France, épargne-nous tes discours, dit un Saint-Thomas.

Mes camarades semblent plutôt d’accord. Je ne comptais pas vraiment les réconcilier en me faisant ennemi commun, mais bon, je fais ce que je peux, hein.

- Non ça va pas, regardez-vous ! Vous ne pouvez pas passer une semaine sans vous taper dessus, non ? On est en vacances, au parc aquatique, et vous trouvez encore le moyen de chercher des problèmes ! Au pire, si vraiment vous ne pouvez pas vous voir, la piscine est assez grande, arrêtez de vous coller !

Les tensions semblent descendre d’un cran, mais c’était sans compter sur Valentin :

- Oh, arrête de faire ta tapette, si t’es trop lâche c’est pas grave, on n’a pas besoin de toi pour se battre !

J’accuse le coup, pendant que de part et d’autre les échanges virulents reprennent. Je m’apprête à m’interposer quand la dernière personne que je voulais voir s’incruste dans la conversation.

- Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Demande Enzo.

Un de ses camarades lui expose la situation. J’essaie de ne pas me vexer en me rappelant qu’aucun de mes camarades n’a répondu quand j’ai demandé la même chose.

- Les gars, personne ne se bat ici, ça pénaliserait tout le monde, c’est clair ?

Ses camarades, et même certains Zola, hochent la tête. Derechef, j’essaie de ne pas me vexer. Après tout, ce n’est qu’une petite dispute comme il y en a eu des dizaines jusqu’ici, et elle se règle comme chaque fois, Enzo raisonnant ses camarades et moi les miens.

À la seule différence qu’avant, mes sentiments à l’égard d’Enzo étaient bien plus clairs – détachement, agacement, bref, rien de confus. Contrairement à aujourd’hui, où le voir ainsi, à seulement un pas de moi, me ramène violemment à la scène d’hier. J’essaie de faire comprendre à mon cerveau que ce n’est pas le moment, en vain. Je remarque parmi les amis d’Enzo arrivés en même temps que lui Lara, et cela ne fait qu’ajouter à mon exaspération.

- Qu’est ce qu’il se passe ? Demande une troisième voix, répétant cette phrase pour la énième fois.

Il s’agit d’Anne, débarquant avec Mme Blanc.

- Rien, dit Enzo, rien d’important.

Elles nous connaissent, et n’étant pas nées de la dernière pluie, ne semblent pas convaincues.

- Quelqu’un est tombé, non ? Fait Mme Blanc d’un ton méfiant.

- Non, quelqu’un a glissé et il s’en est suivi eu un petit problème d’incompréhension entre nos camarades, mais rien de grave, pas vrai Lucas ?

Je comprends pourquoi il me pose la question – à nous deux, on devrait réussir à convaincre nos profs que les choses sont réglées – mais là il me met dans une situation embarrassante. Mes camarades me regardent, attendant ma réponse, et, vu ce qu’il s’est passé avant les vacances, certains attendent visiblement un soutien de ma part pour notre lycée. Toutefois, je n’ai pas trop le choix.

- Effectivement, rien de grave.

Anne me regarde un instant, puis soupire.

- Très bien, chacun repart de son côté dans ce cas.

Nos camarades se dispersent, avec des têtes plus ou moins joyeuses, ne laissant qu’une dizaine de personnes.

- Je vous ai à l’oeil, nous dit Anne avant de s’éloigner.

- On a intérêt à se tenir à carreau, fait Enzo.

- Heureusement que tu es intervenu, sinon on aurait eu le droit de faire nos bagages.

C’est Lara qui vient de parler. Cela m’agace encore plus.

- Oui, heureusement que tu es intervenu, merci Enzo : franchement, on se demande ce qu’on ferait sans toi !

Je les laisse là, me regardant avec des yeux ronds pendant que je m’éloigne. Ils peuvent bien se poser des questions, je m’en fous. J’avais réussi à calmer mes nerfs, et avoir revu Enzo deux secondes a suffit à me les remettre en pelote. Je fulmine tout en marchant.

Je suis presque arrivé aux vestiaires quand j’entends des pas rapides derrière moi.

- Je peux savoir ce qu’il te prend ?

Enzo, forcément.

- Rien.

Je suis stoppé net quand il me saisit le bras. Je me retourne vivement pour me dégager. Malheureusement, me retrouver près de lui me permet aussi de noter une autre différence avec les disputes précédentes : d’habitude, Enzo est beaucoup plus habillé. Alors que là, il ne porte qu’un maillot de bain qui ne laisse pas de place à l’imagination quant à son torse fin, ses hanches sculptées, et plus bas… Je me ressaisis en voyant où mes pensées m’embarquent.

- Rien, et je ne veux pas te parler !

J’essaie de partir, mais de nouveau il me retient.

- Et moi je veux que tu me parles ! On a réglé la dispute, personne n’est puni, alors c’est quoi le problème ?

Un millier de choses me passe en tête, dont beaucoup que je refuse d’exprimer à voix haute.

- T’étais obligé de me demander de me mettre de votre côté devant mes camarades ?

Oui, c’est de loin l’une des choses les plus futiles qui me gênent aujourd’hui, mais tant pis.

- C’est de la mauvaise foi, tu aurais fait la même chose à ma place, et tu le sais très bien ! Alors, c’est quoi le problème ?

Je n’aime pas quand les gens pointent du doigt ma mauvaise foi. Ça m’oblige généralement à en rajouter une couche.

- Aucun, il n’y en a pas.

Il ne me lâche pas pour autant.

- Ah, vraiment ? C’est marrant, parce que je ne t’ai pas vu depuis hier, alors qu’on partage littéralement la même pièce. Donc ne me fais pas croire que tu me fais la gueule à cause de la bagarre idiote de tout à l’heure, alors que tu m’évites clairement depuis que…

Je n’ai pas envie d’entendre la suite, alors je fais la première chose qui me passe en tête : j’attrape sa nuque et je pose mes lèvres sur les siennes. Avantage : c’est efficace, ça l’empêche de parler. Il est un peu surpris au début, mais rapidement il m’embrasse en retour. Ce baiser n’a rien à voir avec celui d’hier. Là, toute la frustration emmagasinée se ressent, et l’on s’embrasse férocement. Des frissons me parcourent de la tête aux pieds. Je ne réfléchis plus, mon corps semble parfaitement savoir ce qu’il fait. Sa langue vient timidement caresser mes lèvres, que j’ouvre avec plaisir. Elle vient rencontrer la mienne, se caressant doucement, se découvrant, puis toutes deux entament un ballet qui m’enivre. Mon souffle se fait plus court encore quand les mains d’Enzo se posent dans mon dos, caressant mes hanches, électrisant mon bassin. Pendant de longues secondes, plus rien ne m’importe plus que de sentir Enzo contre moi et de répondre à la pression de ses lèvres.

Ses mains agrippent alors mes hanches, me collant plus à lui encore, et je ne peux empêcher un gémissement de franchir ma bouche. Il me repousse légèrement en arrière sans rompre le baiser, et je me retrouve coincé entre lui et le mur. Mais, alors qu’il colle son bassin contre le mien, je ressens l’évidence de son désir contre ma cuisse, et je prends soudain conscience de la situation. Je suis en train d’embrasser un mec, Enzo qui plus est, au beau milieu des vestiaires où tout le monde pourrait nous surprendre, et je sens plus que distinctement son érection à travers son maillot. Mais le pire, c’est que je suis dans le même état que lui, et ce constat me glace.

Rompant le baiser, je le repousse et m’enfuis en courant vers les vestiaires.

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