- T’as une tête affreuse.

- Bonjour à toi aussi.

Installée face à moi, Margot me scrute tout en croquant dans une pomme.

- À ce stade, je ne sais même pas si on peut encore parler de cernes, poursuit-elle calmement. On dirait que tu as fusionné avec un Shar-Pei.

- J’ai plutôt mal dormi, je grommelle.

C’est vrai, j’ai passé une nuit affreuse. J’ai tourné dans mon lit pendant un moment avant d’enfin m’endormir, mais mes rêves n’ont été qu’une succession d’images floues sur lesquelles je ne reviendrai pas mais qui m’ont laissé plus épuisé encore que la veille. En plus, à cause de mes nombreuses chutes d’hier et de ma séance de sport très mal conduite, j’ai des courbatures partout. Le seul avantage, c’est que ce matin j’étais réveillé de bonne heure et j’en ai profité pour m’échapper de la chambre avant qu’Enzo ne se réveille – d’où le fait que j’arrive avant beaucoup de monde dans la grande salle, ne trouvant que Margot.

- Hum, le poids du silence, si tu veux mon avis. Parce que non seulement tu ne m’as toujours pas parlé, mais je suppose que tu n’as pas non plus parlé avec Enzo, pas vrai ?

- Euh… Bah… Pas vraiment parlé, non…

Elle soupire et se redresse sur sa chaise.

- Lucas, je n’essaie pas de te tirer les vers du nez simplement pour le plaisir de savoir. Enfin, si, il y a de ça aussi. Mais ça te ferait du bien de parler avec quelqu’un. Regarde-toi, tu commence à faire peur à voir. Ça ne s’améliorera pas en attendant que ça passe.

Je le sais, malheureusement, mais j’hésite à en parler. J’ai l’affreuse sensation que cela ne rendrait les choses que plus réelles encore.

- Je sais…

- Écoute, si tu veux en parler avec quelqu’un d’autre, ça marche aussi, tant que tu te confies à quelqu’un.

Ses paroles me réchauffent le cœur – je sais à quel point la fouine qui me sert de meilleure amie déteste ne pas être au courant de tout.

- J’ai de la chance de t’avoir.

- Hum, ça c’est sûr. T’as intérêt d’être à la hauteur.

Je souris. Après tout, Margot a toujours été de bon conseil et elle ne pourra que m’aider à y voir plus clair. Je retourne ça dans ma tête, ne sachant pas trop comment commencer. L’arrivée bruyante de Max et du reste de sa chambre m’interrompt avec même d’avoir commencé.

- On se parle après, d’accord ?

Elle hoche la tête. Rapidement, la salle se remplit de mes camarades, plus ou moins bien réveillés et plus ou moins bruyants. Mon cœur a un raté quand Enzo entre. Il balaie la salle du regard avant de s’arrêter sur moi. Je baisse les yeux puis l’observe à la dérobée rejoindre sa tablée. Contrairement à moi, lui ne semble pas affecté par la situation, et rit avec ses amis comme si de rien n’était. D’ailleurs, je remarque que non loin de lui se tient Lara, son ex-copine. Il rigole avec elle, et cela ne fait qu’accentuer ma confusion. Il relève la tête et de nouveau nos regards se croisent. Cette fois, je me force à m’immiscer dans la conversation avec mes potes pour être sûr de ne plus être tenté de le regarder.

À la fin du déjeuner, Mme Blanc demande le silence.

- Un instant, s’il vous plaît. Aujourd’hui, pas de ski !

Une vague de déception se fait entendre. Pour ma part, c’est de loin la meilleure nouvelle de ma journée.

- Non, ne soyez pas déçus, on a prévu quelque chose d’autre ! On vous emmène au parc aquatique !

Cette fois les exclamations sont plus joyeuses.

- Alors, allez préparer vos maillots de bain, et rendez-vous dans 10 minutes au bus !

Je suis plutôt satisfait de cette annonce : pas de ski, donc pas de risque de chute et pas de risque de tête-à-tête embarrassant dans la buvette, pas vrai ?