Chapitre 28

5 minutes de lecture

Anne m’a d’abord conduit à la petite pharmacie du village, malgré mes protestations, pour que la pharmacienne vérifie que j’allais bien. Selon Anne, j’avais « un air bizarre ». N’ayant pas d’explications à lui fournir, je l’ai suivi jusque dans la petite officine.

Tout allant bien, elle m’a ensuite reconduit à ma chambre, en me conseillant de me reposer. Il n’était encore que 16 heures, j’avais du temps avant le dîner – et avant que mes camarades ne rentrent. J’ai commencé par prendre une longue douche, essayant d’effacer les évènements de la journée.

Physiquement pas de problème. Je suis depuis longtemps réchauffé, et mes nombreuses chutes ne laisseront que quelques bleus. Émotionnellement, c’est autre chose. Mes mains continuent de trembler quand je repense à ce qui c’est passé, à ce que j’ai fait. Oui, parce que, même si c’est lui qui a initié la chose, je ne peux pas nier que j’ai participé. La petite voix au fond de ma tête, pour une fois conciliante, tente de me rassurer en mettant mon comportement sur le compte du choc reçu, mais je sais bien que je me mens à moi-même.

Voyant qu’y réfléchir ne m'aide pas du tout à me calmer, je tente d’oublier. Une sieste me fera du bien. Je ferme les rideaux et me couche encore habillé dans mon lit. Mon corps savoure de rester à ne rien faire mais mon esprit lui ne semble pas prêt à se mettre en pause. Après 15 minutes à tourner dans tous les sens en essayant de faire le vide, je soupire et renonce. Je réfléchis à un moyen d’empêcher mon esprit de cogiter. N’étant pas encore au point de prendre une cuite seul au beau milieu de l’après-midi, je choisis plutôt de prendre mes affaires de sport et de rejoindre la grande salle à notre disposition.

Habituellement, je ne suis pas trop sport de salle, mais là ça tombe parfaitement bien. Mes écouteurs bien vissés dans mes oreilles, je passe les deux heures suivantes à soulever des poids dans des positions diverses, utilisant des muscles jusque là inconnus. Quand je regarde l’heure, je constate que je suis déjà en retard sur l’heure du dîner. Je me dépêche de revenir à la chambre. J’écoute avant d’entrer mais la voie est libre : ou il n’est pas rentré, ou il est déjà parti manger. Je prends une nouvelle douche ultra-rapide pour me débarrasser de la sueur, m’habille en deux-deux et rejoins la grande salle.

Là, je rassure Anne qui m’intercepte, lui assurant que tout va bien, puis rejoins ma place à côté de mes potes. Je prends bien soin de ne pas regarder ailleurs que mon assiette, dans laquelle une portion gargantuesque de pâtes carbonara a été déposée.

Mes amis saluent mon arrivée en me racontant leurs exploits de l’après-midi. J’ai le droit au récit des performances sportives de Max, très fier d’avoir fait la piste noir, des efforts déployés pour convaincre Thibaut, mal à l’aise sur un escabeau, de prendre le télésiège, ou encore aux détails de la nouvelle passion de Renaud pour les sapins. Les entendre raconter ainsi leur journée calme mes émotions, et je me surprends à sourire à plusieurs reprises.

- Qu’est-ce que tu as au front ? Me demande Malik, remarquant mon égratignure.

- Oh, rien, je… Je me suis pris un panneau.

- T’as continué à skier après qu’on soit partis ?

- Non, c’était juste en descendant.

Ils se marrent.

- T’es rentré juste après ?

La question me met mal à l’aise. J’ai l’impression que l’éraflure de mon front se met à rougeoyer, tel un néon écrivant en lettres capitales « A EMBRASSÉ UN MEC ». J’ai beau savoir que c’est idiot, je ne peux m’empêcher de m’essuyer le front du revers de la main.

- Oui, juste après.

- C’est dommage, dit Thibaut, t’aurais pu nous attendre en bas, ou à la buvette.

- Non, je te dis que je suis rentré ! Ça va avec vos questions ! J’étais fatigué, je suis rentré, j’ai le droit, non ?

Un blanc se fait entendre, tandis qu’ils me regardent tous avec des yeux ronds.

- T’as eu raison, je serais bien rentrée aussi ! Dit Margot d’un ton léger. C’était crevant comme journée ! T’es pas d’accord, Max ? La piste noire, c’était vraiment quelque chose…

Aussitôt, Max se relance dans ses explications sur comment il a vaincu cette piste, recaptant l’attention de la table. D’un regard, je remercie Margot, qui m’adresse un léger clin d’oeil.

Une fois le repas terminé, chacun reste à table, qui racontant sa journée, qui sortant un jeu de carte. Nous nous lançons dans un Uno, les exclamations de Thibaut et de Max résonnant dans la grande salle. Je commence à me détendre, quand Valentin, malheureusement venu jouer aux cartes avec le reste de ma tablée, s’exclame :

- Qu’est-ce qu’ils ont à nous regarder, ceux-là ?

Bien sûr, tout le monde se retourne pour suivre son regard. À l’autre bout de la salle, un groupe de Saint-Thomas parmi lesquels notamment Simon ou encore Léo, est effectivement tourné vers nous en rigolant. La situation en reste là, mais ce n’est pas ce que je remarque. Non, je remarque bien sûr Enzo, dont le regard, malgré la distance à laquelle on se trouve, est braqué sur moi et me fige. On se fixe quelques secondes, puis je dois me faire violence pour reporter mon attention sur mes cartes. Je joue encore deux manches, pendant lesquelles j’enchaîne les erreurs de débutant, mon esprit incapable de se concentrer et mes mains tremblant trop. Je balbutie alors un prétexte à mes compagnons pour aller me coucher.

Je leur souhaite bonne nuit, et me penche sur Margot, que je sens impatiente de me suivre pour me questionner, comme pour lui faire la bise et lui glisse « J’ai mal à la tête, on parle plus tard, OK ? ». Ce n’est pas totalement faux, toutes ces émotions m’ont dérangé et j’ai hâte de retrouver mon lit. Elle hoche légèrement la tête.

Je file jusque ma chambre, et enfilant mon pyjama-T-Shirt d’alpiniste et sans même prendre le temps de me brosser les dents, je me glisse sous les couvertures. J’ai le vague espoir de m’endormir aussitôt mais bien sûr il n’en est rien. Je n’allume pas pour autant la lumière.

Bien m’en prend puisqu’à peine une dizaine de minutes plus tard, la porte s’ouvre. Je retiens ma respiration, essayant autant que faire se peut de paraître endormi – ces heures d’entraînement petit n’étaient donc pas vaines. La lampe de chevet du lit d’à côté s’allume. J’entends quelques bruits de vêtements qu’on retire ou qu’on remet, puis plus rien. J’entrouve les yeux sans bouger, juste suffisamment pour apercevoir quelques reflets dans la fenêtre. Enzo se tient debout, immobile à côté de son lit, tourné dans ma direction. Il reste ainsi encore quelques secondes, puis je l’entends soupirer longuement, avant de se mette au lit et d’éteindre la lumière.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Arty_ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0