Chapitre 24

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J’arrive dans la salle alors qu’une bonne partie des gens sont déjà là. Je rejoins rapidement la table où sont mes potes, pile au moment où on nous sert le repas. Ceux-ci discutent de la mauvaise nouvelle de l’après-midi, la répartition des chambres.

- Non mais franchement je suis dégoûté, se plaint Thibaut, je vais devoir supporter les autres imbéciles toute la semaine.

- On en est tous là, répond Malik.

- C’est pas faux. Et vous, vous n’êtes pas avec des gens trop cons ?

- Je ne sais pas, je ne les connais pas trop, dit Malik. En tout cas, ils n’ont pas l’air vraiment disposés à parler.

- Et toi, Margot ?

- Hum, ça va. Je ne les connais pas vraiment, mais l’une d’elle a posé un livre de Virginia Woolf sur sa table de chevet, ça devrait aller.

- Moi ça va, fait Max, au moins je suis dans la même chambre que Valentin !

Je grince des dents mais ne dit rien. J’espère simplement que cet abruti ne va pas encore entraîner Max dans des histoires foireuses.

- Et puis, reprend Thibaut, les douches sur le pallier, ça va être constamment le bordel !

- Ce sont des douches communes ? Je m’étonne.

- Bah t’as rien remarqué ? Demande Malik. Ou alors tu ne comptais pas te doucher de la semaine ?

- Si, j’ai quand même prévu de me laver une fois ou deux. Mais il y a une douche dans ma chambre.

Quelques exclamations d’envie se font entendre.

- La chance ! En plus vous êtes que deux, je suis dég’ ! Moi, j’ai du attendre plus d’une demi-heure dans le couloir.

Je hausse les épaules.

- C’est comme ça, il y a l’élite puis il y a le bas-peuple, que veux-tu !

Ils rigolent.

- Et avec Enzo, ça va ?

La question me fait perdre le sourire.

- Oui. Enfin, on se parle pas quoi.

Malik prend un air surpris.

- Ah bon ? Pourtant ça avait l’air d’aller pour faire le projet.

- Oui, bah, c’était juste pour bosser, tu vois, dis-je mal à l’aise.

J’ai du être un peu plus sec que je ne le voulais, parce qu’il me regarde interloqué.

- Enfin, ça reste un Saint-Thomas, dis-je pour tenter une explication, on n’est pas faits pour s’entendre.

Ça semble convenir à mes camarades, puisque plusieurs hochent la tête. Je regarde dans la direction des Saint-Thomas. Enzo se trouve à une table éloignée, riant avec Simon qui lui parle, penché sur la table. Je me crispe en remarquant que Lara, son ex-copine, se trouve à sa gauche, et rit avec eux. Enfin, ex-copine, pour ce qu’il m’en a dit. De plus mauvaise humeur encore, je me penche sur mon assiette, essayant d’ignorer le regard de Margot que je sens fixé sur moi.

Le repas se passe dans une bonne ambiance. On se lance ensuite dans une partie de tarot mais rapidement la fatigue du voyage se fait sentir et chacun commence à piquer du nez. La salle se vide peu à peu, et nous décidons d’y aller aussi. Je raccompagne mes potes dans leur couloir, ce qui me permet effectivement de constater que j’ai été le mieux loti sur les chambres, alors que tous s’entassent dans des pièces à peine plus grande que la notre. Je les quitte et rejoins mon couloir, agréablement calme comparé au tumulte généré par le reste de mes camarades se battant pour un accès aux lavabos.

Je croise Anne, qui m’intercepte :

- Alors, Lucas, ça se passe bien ? La chambre te plaît ?

- Oui, ça va. Je ne vais pas me plaindre, les autres sont en train de faire la queue en slip dans le couloir pour aller prendre leur douche.

- Ah ah, c’est vrai qu’on est bien ici ! Je t’avoue qu’avec Cécile on s’est un peu jetées sur cette chambre pour éviter d’avoir à surveiller tout le monde, ajoute-t-elle avec un clin d’œil.

Je rigole.

- Ah bah c’est du beau, vous qui me parlez toujours d’esprit d’équipe !

- On doit vous surveiller tous les deux, c’est déjà un gros boulot ! D’ailleurs, j’ai bien vu que t’étais pas super à l’aise tout à l’heure… Je ne connais pas trop Enzo, mais ça n’a pas l’air d’être un mauvais garçon, pas vrai ? Ce serait bien que tu fasses quelques efforts pour que ça se passe bien.

- Ça fait des semaines que j’en fais, des efforts, je grommelle.

- Ta ta ta, on ne marmonne pas jeune homme. Dis-moi que tu vas faire des efforts.

Je soupire. Je la connais suffisamment pour savoir qu’elle ne lâchera pas.

- Très bien, je vais faire des efforts.

Elle a l’air satisfaite ;

- J’aime mieux ça. Aller, va te reposer, on a une grosse journée demain.

Je lui souhaite bonne nuit puis pars rejoindre ma chambre.

J’ai un petit élan d’appréhension avant d’ouvrir la porte. Quand j’entre, Enzo est déjà dans son lit, lisant un bouquin. Il relève les yeux en me voyant.

Fais des efforts.

- Salut.

Oui, bon, j’essaie déjà, ne me fustigez pas trop vite.

- Salut, répond-t-il, visiblement un peu surpris que je lui adresse la parole.

- Déjà couché ?

- Comme tu vois. J’étais crevé, et de toute façon tous mes potes sont partis tôt pour aller se doucher.

Je hoche la tête

- Je suis passé dans leur couloir, ça avait effectivement l’air compliqué.

- C’est sûr qu’on a de la chance, on devrait s’en sortir pour la salle de bain. D’ailleurs, je me suis permis de mettre mes affaires dans le tiroir du haut, j’espère que ça ne te gêne pas.

- Non, pas de soucis.

La conversation s’arrête là. Je récupère mes affaires et m’enferme dans la salle de bain. L’ambiance reste lourde, je ne sais pas trop qu’en penser. J’aimerai bien lui parler plus naturellement, mais ses propos me hantent. Je ne sais pas ce que lui attend. Pas l’amitié que je suis prêt à lui offrir, c’est sûr, mais dans ce cas je ne comprend pas pourquoi il semble vouloir faire des efforts. Lui en parler serait peut-être mieux, mais j’ai peur de ce qui pourrait ressortir de cette conversation. J’ai surtout peur de passer pour un con, à me poser des questions là où il n’y en a probablement pas besoin. Une fois, Aloïs m’a dit que, je cite « l’amitié entre mecs, ça ne doit pas être compliqué, sinon faut laisser ça aux nanas ». Je n’ai jamais eu de problème avec mes potes, mais avec Enzo, c’est différent, je suis constamment dans le flou. Bon, j’ai depuis longtemps appris à relativiser les propos de mon frère, mais cela me travaille quand même.

En parlant de mon frère, je peste en découvrant la surprise qu’il m’a réservée. Depuis toujours, il s’amuse à cacher des trucs dans mes affaires de voyage. Une fois, il a remplacé mon maillot de bain par un maillot une pièce de fille – ce dont je ne me suis rendu compte qu’une fois à la piscine, bien sûr. Là, il a visiblement préféré s’en prendre à mon pyjama. Je ne sais même pas quand il a pu le faire, j’ai vérifié ma valise avant de partir. Je comprends mieux pourquoi il a tenu à m’accompagner au bus. Je n’ai pas le choix de toute façon, c’est ça ou dormir sans rien -- hors de question de remettre un T-shirt sale, et mon nombre de vêtements pour la semaine a été fortement limité par la place de ma valise.

Avec un soupir, je sors de la salle de bain. Malheureusement, Enzo est toujours en train de lire et la lumière est toujours allumée.

- Bon, je te préviens, tu n’as pas le droit de te moquer.

Il relève la tête et me regarde avec un air surpris, puis son visage change quand il remarque l’affreuse chemise de nuit Bambi, appartenant probablement à ma sœur, et qui me sert de T-shirt. Il fait un effort visible pour se contenir, puis finit par éclater de rire.

- Ah ah, désolé mais là je ne peux pas !

Je grommelle alors qu’il rigole toujours.

- C’est la faute d’Aloïs.

- Non, mais assume, hein, au point où t’en es ! Pffiou, l’avantage c’est que je ne me moquerai plus jamais de tes autres T-shirt !

Je le laisse encore se moquer quelques instants. Son rire est contagieux, et malgré moi, je finis par rire aussi. On se calme une minute plus tard. Je réalise alors qu’il me regarde toujours, et que bien qu’elle m’arrive à mi-cuisse, la chemise très moulante en taille 12 ans n’est peut-être pas la meilleure garantie de décence. Je file aussi sec dans mon lit, priant pour ne pas avoir trop violemment rougi. J’éteins ma lampe de chevet et me tourne vers la fenêtre.

- Bonne nuit.

Il reste silencieux un instant, et je sens le poids de son regard sur mon dos.

- Bonne nuit, Lucas.

Quelques instants plus tard, je m’endors, terrassé par la fatigue de la journée.

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