Chapitre 20

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Je soupire, dépité, devant le miroir de la salle de bain. Hier soir, Margot m’a laissé pleurer sur son épaule en silence pendant une bonne demi-heure. Je crois que j’en avais besoin, à la fin j’étais bien plus calme. En revanche, ce matin je regrette en voyant ma tête. J’ai les yeux gonflés et de larges cernes d’un bleu à peine plus foncé que mes iris s’’étalent en-dessous. Bref, j’ai une tête horrible mais je n’ai pas trop le temps de m’attarder dessus. C’est aujourd’hui que nous passons notre oral pour le projet, il ne s’agirait pas d’être en retard.

Une fois dans le bus, je m’installe à ma place habituelle en ignorant les regards que me jettent certains de mes camarades. Je me doute que la nouvelle de ce qui c’est passé hier soir a du faire le tour. Je regrette d’avoir voulu jouer les héros en me dénonçant pour que personne ne soit accusé à ma place. Sur le moment, ça m’avait semblé une bonne idée, mais maintenant que je semble avoir réussi l’exploit de me mettre tout le monde à dos, plus tellement.

Quelques arrêts plus loin, j’observe Max qui monte dans le bus. Il s’assoit à l’avant sans même un regard pour moi. J’avais beau m’y attendre, ça me fait quand même un coup au cœur. Un peu après, c’est Thibaut qui monte. Il me fixe un instant, alors que je lui adresse un sourire. Il me fait un vague signe de tête avant de s’asseoir à côté de Max. Je soupire, et augmente un peu le volume de ma musique, espérant enfouir sous la voix de Johnny Cash la vision de mes deux amis me tournant le dos à quelques pas de moi.

En traversant la cour pour rejoindre ma salle, je me fais arrêter plusieurs fois quelques-uns de mes camarades, soucieux de m’exposer leur point de vue sur l’évènement d’hier. En soi, je m’en serais volontiers passé ce matin, mais je suis agréablement surpris par leur réaction. Quelques-uns avaient certes l’air plutôt vexés mais mes arguments ont semblé suffire à les convaincre. Seuls un ou deux ont été plus virulents envers moi, mais je ne me suis pas attardé. Pour le reste, plusieurs m’ont apporté leur soutien voire m’ont remercié, critiquant à demi-mot l’autoritarisme de Valentin. Ça m’a retiré un certain poids. Maintenant, je n’ai plus sur la liste de mes soucis que mes trois meilleurs potes qui me font la gueule, ce stupide oral à passer et le fait que je vais être obligé de voir Enzo d’ici quelques minutes. Joie.

Mon cœur se serre quand, en tournant à l’angle du dernier couloir, j’aperçois Enzo à l’autre bout. Son regard accroche le mien et j’ai un instant d’hésitation. Pourquoi faut-il qu’il me regarde ainsi ? J’envisage un instant de faire demi-tour, mais la partie raisonnable de mon être prend le dessus : je n’ai jamais séché un cours, ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer. D’autant que Margot, qui m’adresse un sourire d’encouragement, et Malik, qui m’a salué de la tête avant de replonger dans son portable, m’en voudraient beaucoup de planter le projet. J’inspire et continue sur ma lancée, priant pour qu’un miracle arrive pour ne pas avoir à lui parler.

Mon miracle arrive sous la forme de Mme Barel, professeure d’histoire de son état, qui arrive pour nous faire passer notre oral. J’aurais préféré qu’on nous annonce que les cours étaient annulés, ou une alerte à la bombe à la limite, mais bon, je ne vais pas me montrer difficile. Nous la suivons tous docilement dans la salle, déjà occupée par le reste du jury.

Une heure plus tard, notre oral se finit. Le jury a l’air plutôt satisfait, et, sans vouloir me vanter, on a fait un sacré boulot. Je suis plutôt fier de moi-même : j’ai assuré sur la présentation de ma partie, malgré l’indifférence que m’affiche Malik et surtout malgré la présence plus que dérangeante d’Enzo, dont je sentais le regard fixé sur moi quand je parlais. Maintenant, je n’espère plus qu’une chose : rentrer chez moi rapidement, et surtout, j’attends avec impatience les vacances et l’occasion de réfléchir un peu au calme.

Je sors donc rapidement de la salle et me dirige vers la cour d’un pas pressé. J’ai l’impression de fuir, mais tant pis, affronter Enzo est bien la dernière chose dont j’ai envie. Malheureusement, j’entends derrière moi :

- Partez devant les gars, je vous rejoint après.

J’entends des pas se rapprocher, et j’accélère un peu. Je sais, c’est ridicule, mais aujourd’hui, le courage n’est pas mon fort. J’atteins le bas des escaliers quand la main d’Enzo me retient par le bras.

- Lucas ! Attends-moi qu’est-ce qui t’arrive ?

- Rien. Je veux juste rentrer chez moi.

- Je t’ai attendu hier soir, pourquoi t’es pas venu ?

Sa voix est douce, et j’ai vraiment l’impression de lui avoir fait de la peine. Je ne peux m’empêcher de le regarder. Une légère ride creuse son front comme il fronce les sourcils. C’est terrible comme il est craquant comme ça.

Non, pas craquant. Manipulateur. Il joue avec moi.

Je me dégage sèchement alors que la conversation surprise hier me revient en tête.

- Pour quoi faire ? Je t’ai déjà dit tout ce que tu voulais savoir.

Il fronce un peu plus les sourcils. Que je hais comme il arrive malgré tout à paraître sincèrement confus.

- Quoi ? Mais Lucas je…

- Arrête. Je ne veux plus entendre tes conneries. Je ne veux plus que tu te fasse semblant d’être mon pote. Je… Je veux juste que tu me laisse tranquille. Laisse-moi tranquille.

Je me détourne pour ne plus regarder ses grands yeux bleus et pars dans la cour. Je tombe aussitôt sur Sarah.

- Ah, Lucas, te voilà ! Je voulais te parler de ce que t’as fait hier, je…

Sans lui laisser le temps de développer, je l’embrasse. Elle est un peu surprise au début, mais rapidement elle m’embrasse en retour. Je met toute mon énergie dans ce baiser, comme si j’essayais de la convaincre. Comme si j’essayais de me convaincre moi-même.

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