Chapitre 18

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- Va le voir.

- Non, toi, va le voir. Aïe !

Margot vient de me pincer le bras.

- Tu dois aller lui dire ce qui se prépare !

Je soupire. Ce midi, j’ai eu la confirmation de ce que je redoutais : les élèves de Zola préparent une vengeance contre les Saint-Thomas. Si au début le conflit concernait les footeux, beaucoup d’élèves s’y sont depuis ralliés, par rancœur ou simplement pour le plaisir de suivre la meute. Il faut dire que le coup de vendredi dernier que nous ont fait les autres, mettre du poil à gratter dans nos fringues pendant qu’on était en sport, n’a pas aidé à faire pencher l’opinion en leur faveur. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais passez une journée à vous retenir de vous gratter et vous verrez.

Les principaux instigateurs – parmi lesquels Valentin, comme par hasard – ont été très efficaces. Ils ont déjà tout prévu. Le lieu du crime : l’amphithéâtre. La date : mercredi soir, pendant la représentation. Les victimes : principalement les Saint-Thomas, mais tant pis pour les quelques Zola victimes collatérales qui participent au spectacle. L’arme : bombes de peinture, mousse à raser, farine, eau et œufs. Un mélange qui s’avère redoutable.

Quand on m’en a informé, je n’ai pu que constater que le mal était déjà fait : tout est acheté, et beaucoup semblent particulièrement enthousiastes. Ce midi, j’ai donc essayé d’en parler avec mes amis pour essayer de les raisonner. Peine perdue. Max notamment m’a reproché mon « manque d’humour ». J’ai eu beau objecter que cela allait au-delà des simples crasses qu’on se faisait habituellement, que ce n’était pas cool pour les personnes qui avaient travaillé à monter ce projet et dont certaines font partie de nos rangs, qu’il y aurait aussi les professeurs, des parents, des gens extérieurs au lycée, rien n’y a fait. Max est resté buté sur son idée. Thibaut l’a vaguement soutenu. D’autres se sont contentés de hausser les épaules devant mes arguments. J’ai bien vu que certains étaient mal à l’aise, mais aucun n’a vraiment tenté d’élever la voix, surtout quand Valentin s’est incrusté dans la conversation. Seule Margot, une fois encore, est intervenue en ma faveur, et si ses paroles ont eu l’air de faire mouche, cela n’a pourtant pas suffit à faire changer d’avis la petite assemblée, qui se tenait derrière Valentin – bien que ce dernier évitait de s’en prendre directement à Margot, visiblement peu enclin à se faire rembarrer une fois encore.

Nous avons finalement renoncé à débattre. J’ai cherché une solution pour éviter ça, l’idée d’en avertir les proviseurs m’a même vaguement effleuré. Nous en sommes arrivés à la conclusion que la meilleure manière était encore de saborder l’opération, en éliminant l’arme du crime. Pour cela, pas d’autre choix que de faire appel directement à l’équipe ennemie.

L’idée m’a bien sûr mis mal à l’aise : j’ai un peu eu l’impression de trahir mes amis pour nos ennemis de toujours, même si je suis persuadé qu’il s’agit de la meilleure solution pour tout le monde. Ce malaise ne s’est pas arrangé quand Margot m’a fait remarqué que le plus simple était encore d’en parler à Enzo en personne. Cela semble logique : il sera sur scène mercredi, il est la tête des Saint-Thomas, et en prime lui ne cherchera pas à envenimer ce conflit. Je n’ai donc pas d’argument logique à opposer à Margot.

- Il est là, va le voir.

Je vois bien qu’il est là, à l’autre bout du foyer, riant avec ses amis. L’ennui, c’est que, même si notre relation n’est plus ce qu’elle était il y a encore quelques semaines, je me vois mal aller le voir au milieu de tout le monde. Je prends une grande inspiration et me rapproche de la machine, à côté de leur coin. Je vois qu’il m’observe du coin de l’œil, mais je ne dis rien, ne souhaitant pas attirer l’attention de ses amis. J’attends patiemment que mon café coule, puis, alors que je me penche pour récupérer mon gobelet, je lui glisse :

- Suis-moi dehors.

Je fais demi-tour et sors. J’espère avoir parlé assez fort pour qu’il m’entende et que je n’ai pas seulement invité la machine à café à faire un tour. J’attends une minute dehors, suffisamment longtemps pour me demander s’il va venir, mais le voilà qui sort. Je remarque son regard interrogateur mais le conduit d’abord dans une salle vide (petit conseil : si vous voulez une salle pour être tranquille, tournez simplement la poignée de n’importe quelle salle de cours, vous avez une chance sur deux que la serrure soit cassée. C’était les petits tutos de Lucas, à bientôt pour un nouvel épisode). Il referme la porte derrière lui.

- J’avais besoin de te parler, dis-je.

- Ah ça me rassure, j’étais à deux doigts d’appeler ma mère pour lui dire qu’un type louche tentait de m’attirer dans une salle déserte.

Je lève les yeux au ciel.

- J’ai pensé que c’était mieux pour discuter qu’au beau milieu du foyer. Surtout pour ce que j’ai à te dire.

- Houlà, t’es bien sérieux, ça ne te ressemble pas. Qui êtes vous et qu’avez vous fait de Lucas ?

- Et toi, tu ne veux pas l’être deux minutes ?

Je tente de prendre un ton inquiet mais je ne peux empêcher un sourire de se former sur mes lèvres. Je n’ai pas parler à Enzo depuis l’après-midi passée chez moi mercredi, et je m’étonne de constater que cela m’avait manqué. Je continue :

- C’est à propos du spectacle. Je…

- Tu viens ? Me coupe-t-il.

- Oui.

Il me fait un grand sourire, qui pendant un instant chasse les pensées qui me tourmentent en ce moment.

- Mais c’est pas le soucis, je…

- Tu as trop peur de t’ennuyer ?

- Non, les chaises de l’amphi sont confortables, j’y serai à mon aise pour dormir. Maintenant arrête de me couper et écoute.

J’attends une seconde, mais il a l’air de bien vouloir obéir, donc je poursuis.

- Je ne sais pas si tu as remarqué, mais depuis une semaine les tensions sont revenues entre nous et vous.

Il hoche la tête.

- Depuis le match de lundi.

- Oui, c’est ça. Et ça ne c’est pas arrangé avec l’histoire du poil à gratter…

- C’était pas très malin de la part des gars du foot. Mais pour leur défense, si tu avais entendu les insultes que tes gars ont prononcées à la fin du match, tu….

Je lève les mains en signe d’apaisement.

- Stop ! On n’est pas là pour chercher qui a commencé. Dans tous les cas, certains sont vraiment remontés. J’ai essayé de les calmer, mais ça n’a pas été une franche réussite.

- Et ils veulent se venger mercredi soir, devine-t-il.

- C’est ça.

- Hum. Je trouvais ça bizarre aussi, qu’autant de Zola ait acheté une place.

- Oui, malheureusement beaucoup de personnes ont décidé d’y participer, et je ne pourrais pas en convaincre autant d’abandonner d’ici là.

Il soupire.

- On ne va pas pouvoir annuler pour autant, on bosse dessus depuis des mois…

- Je sais. C’est pour ça qu’on va empêcher ça ensemble.

La petite voix dans ma tête essaie de me faire remarquer que j’aime un peu trop comment ce « ensemble » sonne, mais je l’ignore. Enzo me regarde avec un regain d’intérêt.

- Ils ont prévu de laisser tout leur matériel – peinture etc — sous la réserve sous les gradins, personne n’y va jamais, c’est l’endroit idéal. Mais ils ne pourront pas entrer avec le soir, donc ils laisseront ça mercredi après-midi, en laissant quelqu’un pour surveiller. Si je distrais cette personne, il suffira que tu ailles chercher tout.

- Pas de peinture, et pas de vengeance. Ça me plaît.

- Et pas de punition par les proviseurs. Bien sûr, je ne veux pas que vous vous en serviez contre nous par la suite.

- Je te promets que je m’en débarrasserai personnellement, et que je ferai en sorte que les Saint-Thomas arrêtent les crasses – au moins jusqu’au voyage. Et je ne dirai pas que l’info vient de toi, bien sûr.

Ça me rassure un peu. Je n’ose pas imaginer comment mes amis le prendraient s’ils savaient ce que je suis en train de faire maintenant.

- Merci, dit-il. Tu n’avais pas à me le dire.

- Bah, un peu, sinon ça aurait gâché la soirée, les proviseurs nous seraient tombés dessus et puis…

- Non, ce que je veux dire c’est que tu aurais pu suivre tes camarades, ne rien me dire et ne pas prendre de risque. Pourquoi tu fais ça ?

Je hausse les épaules, dans une attitude que j’espère désinvolte.

- C’est la meilleure chose à faire pour tout le monde. On est à deux doigts d’avoir enfin notre voyage, les proviseurs nous lâchent un peu en ce moment, ce serait bête de tout gâcher.

Il hoche doucement la tête.

Dis-lui. Lance-toi. Je prends une grande inspiration et décide, une fois n’est pas coutume, de suivre ce que me dit ma petite voix.

- Et puis, j’ajoute d’une faible voix, je ne voulais pas que ça gâche ta soirée.

Il relève les yeux et me regarde si intensément que j’ai du mal à soutenir son regard. Mon cœur semble sur le point de lâcher.

- Tu as fait ça pour moi ?

Je hausse les épaules.

- Un peu. Beaucoup. Enfin, pour le voyage aussi, j’ajoute précipitamment, et pour les clubs aussi, et…

Je cesse quand je remarque que son regard a changé. Il se détache lentement du mur contre lequel il était adossé. Pour ma part, je suis perdu dans son regard, ne sachant pas si j’ai envie de rester là, les yeux dans les siens, ou si je veux partir en courant. Mon cœur bat si fort à mes oreilles qu’il doit l’entendre.

Il fait un pas vers moi.

La porte s’ouvre.

- J’ai un cours dans deux minutes, dehors les squatteurs ! Dit M. Diallo, le prof de philo.

Habituellement, j’aime beaucoup ce prof, mais là, j’aurais préféré ne pas le voir. Enzo détache finalement son regard du mien.

- On allait partir, monsieur.

Je le suis donc en-dehors de la salle, rejoignant le flot des élèves marchant vers leur salle. Enzo se tourne vers moi.

- Merci encore. Et, euh, si tu veux passer me voir en coulisse mercredi, n’hésite pas. J’aimerais bien.

Je ne suis pas encore sûr d’avoir retrouvé l’usage de la parole, alors je me contente de hocher la tête. Il me fait un dernier sourire, puis disparaît dans la masse. Je reste planté là un instant, attendant que mes jambes retrouvent leur motricité, puis me dirige vers mon cours de chimie.

En me voyant arriver, Margot prend un air soucieux, creusant la légère ride de son front.

- Ça va ? Tu es tout pâle , on dirait que tu as vu un mort.

- Non, ça va.

- Tu es sûr ? Ça c’est mal passé avec Enzo ?

- Non, ça s’est bien passé. Ne t’inquiète pas, ça va.

Elle continue de me regarder mais ne dit rien. Elle se contente de passer sa main dans la mienne, geste discret mais suffisant pour calmer un peu le flot de mes émotions. Je la presse légèrement, la remerciant silencieusement.

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