Chapitre 17

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La cloche sonne, nous libérant enfin de cet ignoble cours d’histoire. Cours dont je n’ai pas écouté grand-chose, d’ailleurs. Ce n’est même pas ma faute : Margot a passé les deux heures à m’interroger sur mon après-midi de la veille. J’ai eu beau lui répéter qu’il ne s’était rien passé de mémorable, elle a quand même passé son temps à me tirer les vers du nez, ponctuant mon bref récit de « hum », avant d’afficher une moue satisfaite.

Après quelques instants à patienter dans la queue, nous nous installons enfin à table, Margot à ma gauche. Voyant cela, Sarah prend un air pincé mais ne dit rien et s’installe à son opposé. Malgré les brillants conseils de mon frère, j’ai décidé de rester sur ma lancée et de ne pas m’interposer entre les deux filles, stratégie qui, si elle ne réglera pas le problème, sera à mon avis la plus à même de m’amener à mon objectif : éviter au maximum les engueulades envers ma personne.

Les gars s’installent également, puis nous sommes rejoints par d’autres élèves, quelques-uns de ma classe, d’autres des clubs de hand ou de foot. Particulièrement, je grimace en constatant que Valentin, un gars de l’équipe de foot, s’assoie à côté de Max, soit à deux places de moi – distance bien insuffisante pour couvrir sa voix insupportable de m’as-tu-vu. D’ailleurs, ça ne loupe pas, il se lance dans un résumé du match de lundi.

- Grands Dieux, c’était pas suffisant qu’on l’observe, on va avoir le droit au débrief, marmonne Margot à côté de moi.

Les gars nous offrent une rediffusion du match, ponctuée par les éclats de voix des joueurs, pour lesquels Max n’est pas en reste. L’issue du match, une défaite, a déçu de nombreux joueurs et rapidement, des soupçons de triche fleurissent – quand je vous disais que la mauvaise foi était un sport national chez nous.

- Je vous le dis, l’arbitre était avec eux ! Jure Max.

Je lève les yeux au ciel. Les gars continuent quelques minutes. D’un coup, les conversations cessent alors que la bande de Saint-Thomas va s’asseoir de l’autre côté de la salle, Enzo en tête. Je me retourne pour les observer (comme le reste de ma table, hein, je suis juste le mouvement). Voyant cela (qui ne remarquerait pas 20 ados retournés sur leurs chaises ?), les joueurs de foot, Simon notamment, sortent de sous leurs vêtements l’arme du crime : les médailles remises après leur victoire, et les brandissent bien haut. Sûrement du toc si vous voulez mon avis, mais mes amis voient ça comme un affront. Aussitôt, des insultes fusent, certains gars se lèvent même, faisant des gestes qu’il ne serait pas convenable que je décrive ici.

- Quand je te dis que la virilité est toxique, me glisse Margot en désignant Max et Valentin, debout sur leurs chaises. Ils seraient prêts à se battre pour un bout de ferraille estampillée de la signature de la proviseure.

- J’ai déjà vu Max se battre pour un bout de pizza, je grommelle.

Sombre histoire. Margot soupire tandis que j’essaie du mieux que je peux de calmer mes camarades. Toutefois, seule l’intervention du surveillant, qui se place à mi-distance entre les deux camps, permet d’apaiser un peu et de faire se rasseoir tout le monde.

- Qu’est ce qu’ils m’énervent, avec leur petit air satisfait, dit Max.

- Oui, il faudrait leur rabaisser leur caquet, rajoute Valentin.

- T’as raison, il faut qu’on trouve une vengeance.

Double stupéfaction pour moi. Déjà, je ne savais pas que des gens de moins de 50 ans utilisaient l’expression « rabaisser le caquet ». Ensuite, je m’étonne de voir la complicité entre Max et Valentin, alors que Max a toujours trouvé comme moi que ce-dernier avait une bien trop grande gueule. Je me demande quand ce rapprochement a eu lieu.

- Hé les gars, je tente de ma voix la plus apaisante, ce serait bien de ne pas s’emballer, ok ? Ce n’est qu’un match de foot, ça ne vaut pas le coup de repartir dans nos conneries.

Qu’est-ce que je n’ai pas dit là. Le reste de la tablée me regarde avec des yeux ronds.

- Non, mais c’est pas « juste un match » ! dit Max d’une voix scandalisée. C’est notre honneur ! T’as pas vu comme ils se moquaient de nous à la fin du match !

- D’accord, mais il reste une semaine avant les vacances, et on part en voyage à la rentrée ! Ça vaut le coup de tenir une petite semaine, non ?

- Non, Max a raison, fait Valentin. Peut-être que tu te fous de ton honneur mais il faut qu’on défende le notre.

Qu’est-ce que je n’aime pas ce type. Max n’a pas vraiment besoin d’encouragements pour être partant pour faire des conneries. Le reste de la table nous regarde comme à un match de ping-pong. Même la tablée de derrière s’est retournée.

- Ce n’est pas une bonne idée, je martèle cette fois d’une voix beaucoup plus froide. Les proviseurs nous surveillent et nous tomberont dessus à la moindre connerie.

- Dis-moi, j’ai peut-être raté un épisode, mais il ne me semble pas que tu sois notre chef. T’es juste représentant des élèves je te rappelle.

Pas de violence, pas de violence. Toutefois, si un morceau du plafond venait à tomber sur sa tête juste là, pas sûr que je me précipiterais pour le sauver.

- Tu as raison, j’ai juste été élu par la majorité des élèves pour les représenter, et c’est moi qui discute directement avec les proviseurs. Mais je t’en prie, ton point de vue là-dessus est sûrement plus éclairé que le mien.

On se regarde en silence. Manque de bol pour lui, j’ai une longue expérience des batailles de regard à table – merci Aloïs – et je soutiens fermement le sien.

Le silence est brisé par Margot, qui se lève bruyamment.

- Désolée tout le monde, mais ça pue la testostérone à cette table, ça ne réfléchit plus correctement. Je pense que chacun de sensé ici verra à quel point ces gamineries ne sont mêmes pas dignes d’un élève de 6e plutôt limité. Vous en déduirez ce que vous voulez pour un terminale.

Elle est comme ça Margot, passive-agressive, ou comment rallier les gens à son avis en les insultant.

- C’est ça, casse-toi, pétasse, dit Valentin.

Margot s’arrête aussi sec, et fait un pas en arrière en fixant Valentin.

- Pardon, comment m’as-tu appelée ?

Il soutient son regard un instant, puis baisse les yeux – j’essaie de ne pas me vexer devant cette démonstration d’autorité.

- Je t’ai demandé comment tu m’avais appelée.

- Pardon, marmonne-t-il.

- Réponds.

- Je t’ai appelée « pétasse ». Pardon.

- Des vrais excuses.

- Je te demande pardon !

Margot affiche alors un sourire angélique.

- C’est bien, bon toutou.

Quelques rires fusent. Valentin est rouge.

- Vise plus bas comme adversaire la prochaine fois.

Cette fois, un rire franc et général s’élève. Valentin quitte la table, les joues cramoisies. Les élèves se dispersent, retournant à leur assiette ou quittant le self. Je suis déçu en constatant que Max sort sans un regard pour nous, mais je le garde pour moi. En tout cas, plus personne ne parle de se venger, et j’espère que cela va durer. Je me lève et suit Margot au-dehors.

- Quelle autorité ! C’est toi qui aurait du être élue.

- C’est tout comme, mon cher, tu m’obéis au doigt et à l’oeil !

- Ah ah, ça c’est sûr, j’ai bien trop peur de toi !

Nous sommes rejoints par Thibaut, Malik et Sarah. On discute un peu, de ce qui s’est passé ce midi notamment. Encore une fois, je garde mes remarques sur le comportement de Max pour moi.

- Sinon, dis Sarah en se tournant vers moi, il y a le nouveau Marvel qui sort mercredi prochain ! On pourrait aller le voir ?

- C’est le spectacle mercredi prochain.

Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Je n’ai même pas encore réfléchi à si j’y allais ou pas.

- Et alors ? Demande Malik.

- La proviseure a demandé à ce que les représentants des élèves soient là, tu sais, comme un symbole, dit Margot.

Je n’étais même pas au courant. Sarah semble déçue, mais ne dit rien. Nous nous séparons pour aller vers nos salles respectives.

- Quand est-ce que la proviseure t’a dit ça ? Je lui demande, étonné qu’elle ne m’en ait pas parlé directement.

Margot éclate d’un rire cristallin.

- T’es bête, tu le sais ? J’ai inventé ça !

- Pourquoi ?

- Enzo t’a invité à venir le voir, non ? Eh bien on va y aller. Et comme ça, tu as même une excuse pour ta petite copine.

- Rappelle-moi de ne jamais être contre toi.

- Ça ne risque pas, ça !

Je souris.

- On fait un bon duo, toi et moi.

- C’est sûr ! Enfin, surtout grâce à moi.

Je souris, et nous nous dirigeons vers notre classe.

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