Chapitre 16

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Quand je reviens dans ma chambre, Enzo s’est installé à mon bureau, ordinateur ouvert. À ses pieds, Pantoufle le regarde amoureusement.

- Tu sais qu’elle ne me regarde jamais comme ça ? C’est à peine si elle remarque quand je rentre.

- Tu es jaloux ? Je te lancerai une balle si tu veux. Je te laisserai même te coucher à mes pieds si tu es sage.

- Tu rêves.

Il me remercie comme je lui tends sa tasse. Nous nous mettons à travailler.

Le temps passe rapidement, ponctué par les SMS de Margot, qui travaille en même temps que nous sur le Google Doc du groupe.

« Revoyez la deuxième partie ».

« Ajoutez une partie sur l’évolution pendant la guerre ».

« Concentre-toi sur ce que tu tapes plutôt que sur ton voisin, tu écris n’importe quoi ».

Je rougis particulièrement au dernier, et corrige la phrase truffée d’erreurs que j’étais en train de marquer, priant pour qu’Enzo n’ait rien remarqué.

À un moment, comme nous bloquons sur une partie, Enzo se redresse et déclare :

- Tu sais ce qu’il nous manque ?   

- Une énième tasse de café ?

- De la musique. On travaille toujours mieux en musique.

D’un geste, je lui montre mon lecteur de vinyles.

- Fais-toi plaisir.

Il se lève.

- Hum, monsieur est vieux jeu, à ce que je vois. Voyons-voir…

Il fouille pendant une minute parmi ma collection, essentiellement composée de rock des années 70 et 80, avant de tomber sur ce qui semble lui convenir.

- Ah ah ! s’exclame-t-il.

Il insère le vinyle sur le lecteur. Un léger crissement se fait entendre, puis les premières notes de Starman résonnent dans la pièce.

- David Bowie ? Je lui demande alors qu’il se rassoit. Je ne pensais pas que c’était ton genre.

- De qui David Bowie n’est-il pas le genre ? Je veux dire, regarde-le ! Écoute-le ! Si ce n’est pas la preuve que Dieu existe.

- Je te voyais plus avec de la vieille chanson française, genre morts du siècle dernier.

Il fait mine de se tenir le cœur.

- Aïe, touché.

- J’ai raison ?

Il réfléchit un instant.

- Je ne suis même pas sûr que la moyenne d’âge de mes CD soit en-dessous de 60 ans, et je crois que je peux chanter tout le répertoire d’Édith Piaf.

Je rigole.

- T’es vraiment un cliché !

- Comment ça ?

- Bah, le gars en L, très élégant, qui discute de « classiques de la littérature » et qui écoute de la vieille chanson française !

- Je suis très élégant ?

Je pique un fard en constatant ce que je viens de dire.

- C’est de ta faute, je marmonne, à force de me dire que je ressemble à rien.

Il rigole.

- Je ne crois pas avoir dit ça. Et j’ai noté l’effort de la chemise, hein ! Je suis flatté d’ailleurs.

Je rougis encore plus fort.

- Mais bref, désolé d’être trop prévisible.

- Oui, j’espérais un truc un peu plus honteux, genre du Maître Gims, du Colonel Reyel, du Keen’V quoi ! Fais-moi rêver un peu !

- Ah ah, je n’ai rien de ça désolé ! Si tu veux, j’ai le triple CD d’Indochine !

- Ça va, c’est cool ! Si tu regardes sous mon lit, j’ai un album de Dave, qu’il m’arrive de ressortir.

- Pas mal ! J’ai toujours les CD de comédies musicales, genre Mozart ou Dracula, que j’écoutais plus jeune, et des fois je les remets quand je suis seul.

- Ouh, ça c’est gênant ! J’ai encore mieux : j’ai téléchargé des chansons des Spice Girls.

Il éclate de rire.

- Ok, ça c’est imbattable !

Nous rions tous deux pendant quelques instants. Je note que j’aime bien son rire, franc, naturel, comme le moment que nous sommes en train de partager.

Nos rires se calment et nous nous regardons en silence pendant un instant. J’observe ses yeux clairs, d’un bleu presque gris.

Une vibration casse le silence.

- Ah, dit-il, on nous rappelle au travail ! On ferait mieux de s’y remettre si on veut épargner un ulcère à Margot.

Chose dite, chose faîte, nous recommençons à travailler, Absolute begginers ambiançant doucement la pièce.


Deux heures plus tard, nous arrêtons, plutôt fiers de nous, et savourons une nouvelle tasse de café. Enzo désigne une photo sur mon bureau, sur laquelle on nous voit, Aloïs et moi-même, en vacances à la plage.

- C’est fou ce que vous vous ressemblez.

- Ah bon ? Pourtant, on est vraiment différents.

- Non, je veux dire physiquement. Il est très beau ton frère.

Je manque m’étouffer avec mon café. J’essaie de tousser le plus discrètement possible, tandis qu’Enzo continue l’inspection de mes photos tranquillement.

- Ça fait longtemps que vous vous connaissez ? Demande-t-il en désignant une photo de moi avec Margot et les gars.

Je reste impressionné par sa capacité à sauter du coq à l’âne. J’essaie de ne pas trop rester focalisé sur sa précédente remarque.

- Depuis l’enfance avec les gars. Margot, depuis le début du lycée.

- C’est une chouette fille.

- Et pas les trois autres, c’est ça ?

Il rit.

- Non, c’est pas ça, mais je crois qu’ils sont beaucoup moins fans de moi.

- Et tes potes, tu veux qu’on en parle ? Je me souviens plutôt bien de la fois où Simon a volé tous nos vêtements dans les vestiaires.

Il se mord la joue pour ne pas rigoler.

- Bon, c’est vrai, il est parfois un peu con. Mais quand tu le connais mieux, c’est vraiment un gars génial.

- Et la fois où il a piégé nos casiers, hum ?

Cette fois, il rigole franchement.

- Ça c’était vraiment drôle. Ça va, ajoute-t-il devant mon regard courroucé, tes cheveux ont repoussés depuis.

Je secoue la tête. Sombre histoire.

- Et puis, vous n’étiez pas les derniers pour faire des crasses, pas vrai ?

- On ne va pas se remémorer tout, sinon on n’est pas sortis. D’ailleurs, c’est calme depuis un moment.

En effet, depuis l’annonce de voyage, les querelles semblent apaisées – en apparence, du moins.

- Oui, c’est presque trop beau pour être vrai. Je crois qu’on ne compte qu’une seule bagarre depuis plus d’un mois.

- C’était pas ta copine d’ailleurs ?

- Ce n’est plus ma copine.

- Ah. Désolé, je ne savais pas.

- Oh non, ce n’est pas grave. Il m’a juste fallu un peu de temps pour accepter que ça ne marcherait pas.

Je me sens étrangement joyeux à cette annonce. J’essaie de ne pas afficher un grand sourire, bien qu’Enzo ne semble pas particulièrement affecté.

Trois petits coups sont frappés à ma porte. Avant que je n’ai pu répondre, Sally entre dans ma chambre :

- Les parents te disent de te dépêcher pour être prêt dans 30 minutes si… Oh ! s’exclame-t-elle en voyant Enzo. Salut !

- Salut, dit-il en souriant.

- T’es un ami de Lucas ?

Il se tourne vers moi, attendant visiblement ma réponse. Qu’est ce que je peux dire ? Ami ne me semble pas approprié. Camarade de classe ? La petite voix dans ma tête en rigole.

- Oui. Oui, c’est un ami.

- Ok, fait Sally. Bah dépêche-toi quand même.

Elle ressort en trombe.

- C’était ma sœur.

- J’avais deviné. C’est le signal de départ, si je comprends bien.

Il se relève et rassemble ses affaires. Je le raccompagne en bas.

- On a bien bossé, en tout cas, dis-je, voulant le retenir encore un peu.

- Tu rigoles ? Mieux que ça, on a fini notre partie, il n’y a plus qu’à présenter tout ça et c’est fini !

Ce constat me serre un peu le cœur. Il ouvre la porte, puis se retourne sur le perron.

- On a monté un spectacle avec le club de théâtre et deux-trois autres clubs, pour mercredi soir prochain. Alors, je me doute bien que ça n’est pas adapté pour un idiot de sportif comme toi, mais ça me ferait plaisir que tu viennes.

Avant que je n’ai pu répondre, il se penche vers moi et me fait une bise sur la joue, avant de s’en aller tranquillement. Je le regarde un instant remonter l’allée, puis referme doucement la porte. Je me retourne et croise le regard d’Aloïs.

- Qu’est ce qui te prend de sourire comme un teubé ? Demande-t-il.

Je lui tire la langue et remonte à ma chambre.

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