Chapitre 15

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Mon portable vibre. Je m’empresse de regarder. Un énième message de Margot.

« Et n’oubliez pas aussi de revoir la mise en page du troisième paragraphe ».

C’est au moins le dixième que je reçois ce midi : à l’approche de la date butoir du projet, mon amie se transforme en inspectrice des travaux en cours, et me harcèle pour me rappeler ce que nous avons à faire cet après-midi.

Nouvelle vibration.

« Quand Enzo sera là, rappelle-lui aussi de mettre les sources qu’il a utilisées dans la biblio ».

Brrr.

« Rappelle-lui gentiment ». Je lève les yeux au ciel.

Brrr.

« Et met une chemise propre. »

« En quoi ça va nous aider ? »

« En rien mais ça fera plaisir à tout le monde. »

Je monte donc rapidement me changer – je suis comme ça moi, j’aime faire plaisir. Je redescends au salon.

- Ça va ? T’as reçu au moins dix milles messages pendant le repas.

Je vous présente mon frère, Aloïs, toujours très modéré.

- Oui, c’est Margot qui s’inquiète. On a un gros travail à rendre la semaine prochaine, et tu la connais.

Il hoche la tête.

- D’ac. On sortirait bien un peu tous les deux cet aprèm, non ?

Je rigole.

- T’es pas censé être en semaine de révision toi ? Je crois même que tu voulais qu’on mange ensembles pour, je cite, « passer un peu de temps ensemble sans perdre de temps sur ton planning », hum ?

Il hausse les épaules.

- Il me reste 4 jours avant les partiels, je suis large ! Et puis, si j’avais choisi d’aller en fac pour bosser, ça se saurait ! Allez, viens, on se fait un ciné ?

Je secoue la tête.

- Je ne peux pas, j’attends quelqu’un.

- Oh ! Tu veux que je te laisse la maison peut-être ?

- Ahah, très drôle. On doit bosser ensemble.

- Et elle est mignonne, la fille avec qui tu dois « bosser » ? Ça expliquerait pourquoi tu es tendu ce midi.

- Hey, je ne suis pas tendu ! Je m’offusque. Et c’est un mec de Saint-Thomas avec qui, je le répète, on doit bosser.

- Oh. Je suis déçu, je m’attendais à quelque chose de plus croustillant.

Trois coups sont cognés à la porte. Quand j’ouvre la porte, Enzo me fait un grand sourire qui me stupéfie un instant. Puis je m’écarte pour le laisser passer.

- T’es en avance, dis-je, voulant mettre fin au silence.

Il regarde sa montre.

- 13h59 ? Ça s’appelle être à l’heure, mais j’imagine que pour toi la nuance est difficile à percevoir.

Je rigole et m’aperçois que ses petites piques ne me mettent plus aussi mal à l’aise qu’avant. Au contraire même, je me surprends à apprécier son humour. Bizarre.

- On s’installe là ? Dit-il en désignant la table du salon envahie par le bazar d’Aloïs.

- Non, mon frère a déjà réquisitionné la table et c’est pas possible de travailler en sa présence.

- Mon pauvre frère a du mal à travailler en présence de quelqu’un de plus brillant et plus beau que lui, dit Aloïs depuis l’entrée de la cuisine.

Enzo sourit.

- Oui, j’avais remarqué qu’il avait l’attention d’un chiot.

- Le plus difficile, c’est quand il faut le sortir plusieurs fois par jour.

- Faîtes comme si j’étais pas là, hein.

Ils rigolent tous les deux. S’ils commencent à s’allier pour se moquer de moi, je ne suis pas sorti.

- Allez, monte au-lieu de dire des conneries, dis-je à Enzo en lui indiquant l’escalier.

Une fois arrivés en haut, nous rentrons dans ma chambre. Enzo dépose ses affaires en promenant son regard dans la pièce tandis que je reste, mal à l’aise, près de l’entrée. Encore une fois, lui semble parfaitement à sa place ici, dans ma chambre, alors que j’ai l’impression d’être l’invité. Je ne sais pas pourquoi cela me rend inconfortable de le voir là, au milieu de mes affaires.

Et si près de ton lit.

Je sursaute. Encore cette stupide voix. Je fais aussitôt abstraction de ce commentaire, refusant de m’attarder là-dessus.

- Tu veux un café ? Je lui propose.

- Avec plaisir, merci.

Je ressors avec empressement de la chambre et dévale l’escalier. Je retrouve mon frère dans la cuisine, visiblement pas pressé de se remettre au travail, et lance la cafetière en route.

- En fait, c’est peut-être un peu plus croustillant que ce à quoi je m’attendais, fait la voix d’Aloïs dans mon dos. Il est beau gosse. Et tu l’as déjà ramené dans ta chambre.

Je me retourne brusquement, tandis que mon cœur joue des maracas dans ma poitrine, menaçant d’en sortir.

- Quoi ? Mais je… Mais non ! Je…

- Eh, ça va, je plaisante, ne te met pas dans tous tes états !

Il rigole, visiblement fier de lui. Je me tourne de nouveau vers le plan de travail pour cacher mon trouble, que je ne sais pas trop m’expliquer. Ce n’est pas la première fois qu’Aloïs me chambre là-dessus. Pendant quasiment deux ans, il a même désigné Max uniquement comme « mon petit copain ».

Sauf que ce n’est pas Max.

Tais-toi, stupide voix.

- Faut bien que j’imagine des trucs, tu ne me racontes plus rien.

Je hausse les épaules.

- Je n’ai pas grand-chose à dire.

- Ça va avec ta copine ?

- Ça va. Enfin, je crois. Elle me fait un peu la tête parce que je ne l’ai pas défendue contre Margot.

- Quelle idée !

- Eh, je te signale que c’est toi qui m’a dit un jour : « Ne te met pas entre deux femmes ! »

- Vraiment ? Oublie-ça alors, et retiens : Prend toujours la défense de ta copine. Surtout face à une fille comme Margot.

- Pourquoi ?

- Bah, sans vouloir te vexer, Sarah est mignonne et sympa, mais Margot, ce n’est pas le même niveau. Elle est intelligente, charmante, physiquement c’est une bombe, elle est…

- Mineure, je lui rappelle.

- Oui, quelle pitié ! Mais bref, tu passes ton temps avec elle, ne t’étonne pas que ta copine sois jalouse.

- Mais c’est juste une amie !

- Elle est lesbienne ?

- Pas que je sache.

- Donc c’est une menace. Entre filles, c’est comme ça que ça se passe : sois t’es moche, soit t’es lesbienne, sois tu es une ennemie.

Pas sûr que Margot approuverait ce genre de discours. Je rigole.

- Tu es conseiller conjugal maintenant ? Toi qui a quitté ta copine pour pouvoir enchaîner librement les filles ?

- Et je vis ma meilleure vie ! Tu devrais y songer d’ailleurs. Franchement, ça ne te fait pas rêver, une fille différente toutes les semaines, les plus belles meufs dans ton lit ?

- Pas vraiment, non.

- Ah. Bon, bah une petite femme qui t’attend au retour du travail, deux marmots et une maison en banlieue alors. Remarque, tu as déjà le chien pour aller avec.

- Tu me vends du rêve là.

- Non, je sais ! Seul avec ton chien ! Avec plein de chiens même ! Tu seras la vieille folle à animaux du village, et tu terroriseras les enfants !

Je rigole.

- Pendant que toi, tu courras les jeunes filles à peine majeures dans ta voiture de sport, avec tes cheveux rabattus sur ton crâne pour cacher ta calvitie ! Les parents seront ravis !

On rigole tous les deux. Le silence retombe pendant que je verse le café. Je prends les tasses en main et m’apprête à remonter quand Aloïs me rappelle.

- Eh, Lucas ?

- Ouais ?

- Je rigole, mais en vrai si c’est la vie que tu veux fais-le.

- Laquelle ? La maison en banlieue ou la vingtaine de chiens ?

Il rigole.

- L’une ou l’autre. Les deux. Aucune. Fais comme tu le souhaites. Et ne te soucies pas des parents. De toute façon, j’ai fait une scolarité moyenne, je suis dans une fac de philosophie, j’enchaîne les filles, et je n’ai pas la moindre envie de reprendre l’entreprise familiale, alors je ne vois pas comment tu pourrais les décevoir plus.

Je souris. Il est vrai que mes parents se sont souvent arrachés les cheveux avec mon frère.

- Mais en tout cas, je te soutiendrai, peu importe ce que tu choisis de faire de ta vie.

Je suis étrangement ému. Aloïs est souvent insouciant, parfois futile, agaçant tout le temps, mais il y a des rares fois où il arrive à me surprendre.

- Merci, dis-je d’une voix étranglée.

Il se relève et tape dans ses mains.

- Allez, chiale-pas gamine. Et retourne bosser, ton copain t’attend.

Je souris et remonte l’escalier.

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