Chapitre 14

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- Allez, on se dépêche !

- T’inquiète pas, on devrait pas manquer de places… marmonne Margot .

Elle n’a pas tort mais elle me suit quand même vers le terrain de l’école sur lequel se tient en ce lundi midi la demi-finale du tournoi du lycée – ou un truc du genre, j’avoue ne pas avoir retenu tellement les explications de Max et Malik à ce sujet. J’ai simplement compris qu’ils tenaient à ce que nous les supportions, et c’est pourquoi nous nous apprêtons, Margot, Thibaut, Sarah et moi-même, à sacrifier notre repas de midi pour manger un mauvais sandwich en regardant des lycéens persuadés d’être la relève de l’équipe de France se passer une balle dans le froid de décembre. Si je ne reçois pas un trophée d’amitié après ça, je ne comprends plus rien.

Quand nous arrivons, je ne peux que constater que Margot avait raison : les tribunes sont quasiment vides, hormis quelques supporters de part et d’autres. Nous nous installons aux meilleures places, en bordure de terrain, juste derrière l’endroit depuis lequel les entraîneurs – aka les profs de sport – encouragent déjà leurs poulains, qui ne font pourtant que s’échauffer pour l’instant. Je repère Max et Malik, flamboyants dans le maillot vert de l’école, occupés à se faire des passes.

- Enzo fait du foot ? Demande Sarah.

Je promène mon regard sur l’équipe adverse, affublée d’horribles maillots d’un rouge criard, et effectivement, Enzo est là, discutant avec un des membres de son équipe.

- De ce que j’ai compris, répond Thibaut, ils manquaient de joueurs dans l’équipe de Saint-Thomas.

Enzo a beau être à l’autre bout du terrain, mon cœur a un raté quand il se tourne vers nous. Il regarde quelques instants dans notre direction, puis se détourne et part rejoindre son équipe. Bien malgré moi, je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de déception devant son manque de réaction.

À quoi tu t’attendais ? Fait la petite voix dans ma tête. À ce qu’il accoure vers toi ?

J’ai envie de me cogner la tête pour la faire taire, mais, pour le bien de ma réputation, je me retiens.

Le match commence. À côté de moi, Sarah et Thibaut sont à fond, encourageant notre équipe, hurlant quand un but est marqué. À ma gauche, Margot s’est désintéressée du jeu et mange tranquillement, le nez plongé dans son bouquin.

- C’est du foot, a-t-elle dit quand Sarah lui a fait remarquer, il suffira que je leur dise « C’était un super match ! » et « belle action à la deuxième mi-temps ! » pour que Max et Malik soient contents !

Quant à moi, je suis d’un œil distrait. J’aime beaucoup faire du sport, mais je ne trouve qu’un intérêt limité à en regarder – surtout, et ne le répétez jamais aux gars sous peine d’un conflit insolvable, avec des équipes au niveau plus que discutable. Mes yeux reviennent fréquemment sur Enzo, et je me surprends à suivre son jeu. Il a beau ne pas faire partie de l’équipe, il se débrouille plutôt bien, le bougre. Une fois encore, je suis impressionné par la grâce naturelle avec laquelle il évolue, par la douce fluidité avec laquelle il court. Il pourrait presque rendre supportable la vue d’un gars en short et chaussettes montantes de couleur – presque. Je me secoue en constatant après un but que je n’ai pas la moindre idée de quelle équipe a marqué. L’entraîneur échange alors ses joueurs, et Enzo est renvoyé sur la touche. Il se dirige vers le tas d’affaires près de nous, et se penche pour prendre une bouteille d’eau sans un regard vers nous. Derechef, je suis déçu. C’est bizarre comme sensation. Je ne sais pas si j’ai envie de partir en courant, ou de crier pour qu’il me regarde. D’un côté, au vu de ma réaction, je préfère autant qu’il ne s’occupe pas de moi.

- Bonjour, Enzo, dit Margot.

Traîtresse. Je fais taire l’étincelle d’allégresse qui s’allume en moi alors qu’Enzo se rapproche de nous.

- Salut ! Dit-il en s’appuyant contre la barrière. Vous n’aviez vraiment pas d’autre endroit où aller ce midi ou vous tentez un suicide par ennui ?

J’esquisse un sourire.

- Sympa pour tes coéquipiers !

- Soyons réalistes, c’est quand même pas la coupe du monde !

- Qu’est-ce-que tu fais là ? Demande Margot. Tu as été traîné de force ?

Il rigole.

- Presque, Simon m’a littéralement supplié, je n’ai pas pu refuser.

- Ça va aller ? Je demande. Pas trop peur de devenir un sportif idiot ?

- Si, beaucoup ! Je sens déjà que mon QI chute, je ne pense plus qu’à courir après une balle, c’est terrible. Bientôt, j’ai peur de m’inscrire dans un club de sport pour de bon et de commencer à mettre des T-shirts à motifs !

Je ne peux m’empêcher de sourire devant la pique.

- Ah ah, très drôle ! Tu feras attention, tu commences à te répéter.

- C’est parce qu’il y a matière à dire sur ce sujet, je crois que j’en ai encore pour un moment !

Je secoue la tête en souriant. Je croise le regard de Margot qui m’observe, lèvres pincées avec un léger sourire.

- Je vois que tu as trouvé une alternative pour ne pas avoir à suivre ! Dit Enzo en observant le livre de Margot.

- J’ai fait l’effort de venir, c’est déjà pas mal.

Il se penche pour lire la couverture.

- L’Iliade, bon choix, approuve-t-il. Un classique.

Margot hoche la tête.

- Oui, j’aime particulièrement le développement de certains personnages. Surtout Achille et Patrocle, qu’est-ce que tu en penses ?

Elle le regarde avec un sourire aux lèvres. Enzo écarquille les yeux et reste interdit pendant un instant, puis lui répond avec un grand sourire.

- J’aime beaucoup. Mais je crois que Patrocle n’est pas apprécié à sa juste valeur.

- Malheureusement, le caractère d’Achille gâche beaucoup de choses.

Il hoche la tête sans se départir de son sourire.

- Oui, Achille comprend tout trop tard.

- Hum. Mais je suis persuadée que si Thétis était intervenue un peu plus tôt, cela aurait tout changé, dit Margot avec un grand sourire.

Enzo la regarde d’un air ravi.

- Si seulement Thétis pouvait apporter son aide !

Ils se regardent en souriant pendant quelques instants. L’arbitre siffle la fin du match.

- Je dois y retourner, dit Enzo. Bonne après-midi ! À mercredi Lucas !

Il s’éloigne en trottinant.

- C’était quoi ça ? Demande Thibaut. Depuis quand vous êtes potes avec lui ?

- On n’est pas potes, on essaie d’être courtois, dis-je.

- Être courtois, c’est dire bonjour, pas rigoler pendant dix minutes ! Dit Sarah. Et pourquoi « à mercredi » ?

J’essaie de ne pas l’envoyer paître.

- Je te rappelle qu’on doit faire le projet ensembles. Ça implique forcément de se voir.

- Oui mais tu ne veux jamais sortir avec moi le mercredi à la place du hand !

- Désolé, mais c’est un peu plus important !

Elle accuse le coup.

- Enfin, on doit rendre ça dans une semaine, je rajoute pour adoucir mes propos.

- Et toi Margot, demande Thibaut, c’était quoi cette discussion d’intellos à la fin ?

Margot lui fait son sourire angélique, genre je-sais-un-truc-et-toi-non :

- Je confirmais quelque chose.

- Tu le draguais plutôt ! s’exclame Sarah.

Margot secoue la tête en soupirant bruyamment.

- Ma pauvre, ce que tu peux être bête et aveugle.

Un blanc s’installe.

- Lucas, tu la laisses me parler comme ça ? Dit Sarah d’une voix outrée.

J’essaie de me fondre avec le banc pour ne pas avoir à répondre, mais cela ne suffit visiblement pas. Je redoute ces moments où je me retrouve entre ma copine et ma meilleure amie – physiquement et de façon imagée.

- Euh… Je…

- T’inquiète pas, me coupe Margot. Quand ta copine saura se défendre toute seule, elle pourra venir me parler. En attendant, on doit aller en cours, viens.

Elle se relève et part.

- Euh… On se reparle plus tard, Ok ?

Je ramasse mes affaires et court vers l’échappatoire que m’offre Margot. SI j’ai bien horreur de quelque chose, c’est de devoir intervenir dans une engueulade, surtout quand celle-ci tourne autour de moi. Je la rejoins en quelques enjambées.

- Pas merci pour la scène que je vais devoir subir, lui dis-je.

Elle me lance un regard faussement désolé.

- Mais j’aimerais bien savoir aussi, c’était quoi cette discussion ?

Elle me regarde avec amusement.

- Il faut vraiment que tu lises plus, mon fils. C’est pas grave, tu comprendras plus tard.

Comme souvent en ce moment avec Margot, je ne comprends pas tout. Mais je n’insiste pas et lui fait confiance : je comprendrai bien un jour.

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