Chapitre 12

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Lundi midi, nous voilà au self. À ma gauche est assise Sarah, demandant des conseils sur son programme de français aux gars. Quand je suis rentré de mon jogging hier, elle était déjà beaucoup calmée par rapport à la veille, et je n’ai pas eu à faire beaucoup d’efforts pour qu’elle me pardonne. Je lui ai dit que je tenais à elle, et elle a eu l’air de s’en satisfaire. C’est la vérité, bien sûr : malgré nos disputes qui ont tendance à se multiplier dernièrement, j’apprécie toujours les moments qu’on passe ensembles. Je sais qu’un jour cela ne lui conviendra plus, mais pour l’instant les choses en restent là. Nous nous sommes même réconciliés sur l’oreiller, profitant que la maison était vide, ce qui a achevé de répondre aux attentes de Sarah. Je n’étais pas autant dans l’humeur qu’elle, l’esprit occupé par je ne sais trop quoi. Toujours est-il que les choses semblent redevenues normales entre nous.

À ma droite, Margot est inhabituellement calme, jouant avec ses petits pois du bout de sa fourchette. Elle regarde sa montre et se lève.

- Désolée les gens, mais certains bossent ici ! À plus tard !

Je la suis docilement, me maudissant une fois de plus d’avoir pris l’option latin m’obligeant à rogner mes temps de midi.

- Ça va ? Je lui demande alors que nous faisons la queue pour poser nos plateaux. Tu n’as quasi rien dit du repas.

Elle hausse les épaules – ce qui, en tenant d’une main son sac, de l’autre un plateau sur lequel le verre menace de se suicider, me laisse plutôt admiratif.

- Bah, ta copine parle bien assez pour nous tous. Mais je fais des efforts, hein ! Ajoute-t-elle devant mon regard contrarié.

- Oui, et je t’en remercie beaucoup.

- Mais il n’y a pas que moi qu’elle soûle, de toute évidence.

Je prends un air étonné.

- Je te connais, se moque-t-elle, je vois bien quand quelqu’un t’agace !

Je soupire.

- Elle ne me soûle pas -regard moqueur– c’est juste qu’on a passé quasi trois jours ensembles, et parfois un peu de distance ça fait pas de mal.

- C’est pas la première fois que vous passez autant de temps ensembles, si je ne m’abuse. Vous êtes même partis en vacances ensembles.

- Bah, ça a été un peu compliqué ce week-end. Disons qu’elle aimerait bien que l’on soit plus « couple », à faire des choses ensembles tout le temps, etc. Mais dernièrement, j’ai du mal à supporter ses défauts. Ses tous petits défauts, noyés sous des milliers de qualités ! j’ajoute, ne souhaitant pas donner du grain à moudre à la langue de vipère qui me sert d’amie.

Elle rigole.

- Bien cachées, les qualités !

- Dis-donc, ce n’est pas plutôt toi qui aurais un problème avec elle ? Je rêve ou la grande féministe que tu es, qui me rabâche les oreilles à grands renforts de sororité, ne supporte pas une concurrence féminine ? dis-je avec un sourire. Aïe !

J’esquive habilement un deuxième coup de sac.

- Ne dis pas de bêtise. C’est juste que tu es l’un des rares mecs que j’ai rencontré qui se comporte décemment et qui en plus a quelques qualités – une ou deux, t’emballe pas – et tu arrives à sortir avec une des rares filles qui soit moins intéressante qu’un cours de chimie à 17 heures. Excuse-moi de penser que tu pourrais valoir mieux que ça.

Étrangement, ça me touche.

- Écoute, je sais que je suis intelligent, avec un humour et un physique remarquables, mais même si tu n’es pas trop mal, je décline cette proposition : je ne veux pas sortir avec toi.

Elle rigole en levant les yeux au ciel.

- Mince, mon cœur est brisé.

On continue à avancer tranquillement dans la queue.

- Toujours est-il que tu devrais y réfléchir. Ne reste pas avec elle alors que tu pourrais avoir mieux.

- Je te vois venir, je ne veux pas que tu recommences à te prendre pour une agence matrimoniale !

- Oh non, j’ai renoncé à te présenter des filles.

Notre tour de débarrasser notre plateau est arrivé, et l’on se tait en retirant docilement nos couverts. Je suis occupé à vider mon bol quand une voix me surprend.

- Salut.

Je sursaute et contemple, penaud, la poubelle dans laquelle je viens de lâcher mon bol. Margot rigole en voyant ma réaction mais visiblement mieux éduquée que moi, elle engage la conversation :

- Bonjour, Enzo ! Comment vas-tu ?

- Bien, et toi ?

- Très bien, je te remercie. Que nous vaut le plaisir ?

- J’avais quelque chose à demander à Lucas.

- Moi ?

Ils me regardent tous les deux d’un air blasé. Comme si c’était de ma faute si ma bouche sort constamment des choses stupides.

- Oui, toi. Il faut qu’on se voit.

Mon cœur rate un battement.

- Pourquoi ?

Oui, je suis d’une éloquence rare aujourd’hui.

- Pour le projet. Tu sais, le projet. Ce petit travail de groupe. Les proviseurs ont du en parler je crois.

Je grommelle. Je savais qu’on allait devoir travailler ensembles, mais j’avais espéré repousser ça jusqu’à ce que je meurs d’une crise cardiaque précoce. Margot renchérit :

- C’est vrai que vous n’êtes pas en avance sur votre partie, il serait temps de vous y mettre.

- Voilà, dit Enzo. Mercredi ?

- Mercredi, c’est bien, acquiesce Margot.

Je proteste :

- Hé ! Non, pas mercredi, j’ai hand !

Margot hausse les sourcils.

- Tu as hand trois fois par semaine, ils peuvent se passer de toi une fois !

- Bah je suis quand même capitaine et…

- Et moi, je suis capitaine de ce projet et je dit que tu n’as pas le choix. Voilà Enzo, il est tout à toi !

Je reste bouche bée devant ce culot. Je comprends désormais comment Margot obtient tout ce qu’elle veut. Enzo sourit :

- Tu m’en vois ravi ! Je voulais te demander hier, mais tu es parti trop vite. Enfin bref ! À mercredi !

Il nous fait un bref signe de la main puis part. Margot me regarde, sourcils levés.

- « Hier » ?

Elle dit ça d’une voix étrange, un peu suave.

- Non, pas « hier ». Hier. Point. Comme dans « on s’est croisés hier dans le parc ».

- Vous vous donnez rendez-vous dans le parc ?

- Non ! Il était là avec ses potes, et Pantoufle est allée les voir, c’est tout.

- Et tu ne m’as rien dit ?

- J’ai pas jugé ça utile.

- Alors j’ai le droit au récit des aventures de ta chienne chaque fois qu’elle court après un moineau, mais elle t’amène vers le gars le plus canon du lycée et toi tu ne me dis rien ?

- Mais non ! Je… Non !

- Ça va, je te charrie, rougis pas comme ça !

Je porte les mains à mes joues en espérant qu’elle exagère.

- En tout cas, si j’avais su que ta chienne avait le pouvoir de dénicher les mecs sexys, je l’aurais beaucoup plus promenée ! Mais pour te rattraper, t’as intérêt à tout me raconter mercredi !

- Que veux-tu qu’il se passe ?

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