Chapitre 11

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Je suis à peine dehors que je me fait sauter dessus et reçois un baiser mouillé dont je me serais bien passé. Je m’essuie la bouche pendant que Pantoufle, berger allemand de son état, saute tout autour de moi, visiblement prête pour sa balade matinale. Pantoufle, c’est mon caprice de mes 15 ans, quand j’ai demandé à mes parents pendant des semaines un chien, et qu’ils ont fini par céder, arguant que je ne tiendrai pas deux semaines avant de ne plus m’en occuper. Bonne stratégie de leur part, puisque, aujourd’hui encore, je la sors même sous la pluie rien que pour leur prouver qu’ils avaient tort.

Je met ma musique en route, Thunderstruck hurlant dans mes oreilles, et nous voilà partis pour notre jogging.

Arrivés au parc, je détache Pantoufle et lui lance 2-3 fois sa balle, avant qu’elle ne se désintéresse de moi et parte faire sa vie à la recherche de lapins. Je poursuit ma route en essayant de me vider l’esprit, en vain. La dispute avec Sarah me laisse un goût amer en bouche. Il est vrai que je n’ai jamais été quelqu’un de très passionné en couple, mais ça me semblait plutôt clair depuis le début. D'ailleurs, ça nous correspondait très bien à tous les deux. Nos premiers mois ensembles étaient vraiment cools, on se marrait bien et on ne se prenait jamais la tête. Mais dernièrement, j'ai l'impression que nos attentes concernant notre couple divergent totalement. Ce qui m’agace surtout, c’est sa remarque comme quoi j’aurais changé récemment. J’ai beau chercher, je ne vois pas ce qui aurait pu me faire changer. Étrangement, cela me ramène à ma conversation avec Margot il y a quelques jours. Là aussi, je suis dans le flou, j’ignore ce que celle-ci a voulu me dire. J’ai régulièrement l’impression que Margot a une longueur d’avance sur mes propres pensées – je nierai fermement si vous lui répétez cela.

Je m’arrête en constatant que Pantoufle a une nouvelle fois déserté la plaine. Je ne m’inquiète pas pour autant : ce chien a le don pour choisir un itinéraire toujours différent du mien. En soupirant, je fais demi-tour pour repasser par les endroits où elle s’arrête habituellement.

Après 10 minutes à tourner, je la repère enfin, reniflant les poubelles près des tables de pique-nique occupées par quelques personnes. La connaissant, je décide d’aller la chercher pour ne pas avoir à poireauter comme un con en attendant que madame accepte de revenir. En me rapprochant, je jure en découvrant qui est attablé là : un groupe de Saint-Thomas. Qu’est-ce qu’un groupe de jeune fait à traîner dans un parc un dimanche matin de novembre, mystère. Le drame du manque d’occupation dans les petites villes, si vous voulez mon avis. Au centre se trouve Enzo, bien sûr. J’hésite un instant, mais je n’ai pas trop le choix, je continue pour aller rechercher Pantoufle – j’espère qu’elle est consciente de ce que je suis prêt à faire pour elle.

Comme je me rapproche, ils me remarquent et quelques quolibets fusent, parmi lesquels « tocard » occupe une place de choix. Enzo lui ne dit rien, et son regard accroche le mien. Je me stoppe net, et siffle mon chien, ne souhaitant pas me rapprocher outre mesure. Bien sûr, telle la tête de mule qu’elle a toujours été, Pantoufle se dirige en sens inverse, se rapprochant de leurs tables.

Traîtresse. D’autres rires fusent devant mon absence d’autorité. Pantoufle s’est tournée vers moi, et je profite de ce qu’elle me regarde pour lui faire un signe discret : j’ouvre et je referme la main. Heureusement pour moi, elle est cette fois-ci disposée à obéir – les heures passées dans le jardin à lui apprendre des ordres n’étaient finalement pas inutiles. Elle se retourne vers les Saint-Thomas et se met à aboyer dans leur direction. Je souris en observant leur réaction effrayée : certains se reculent, d’autres sont même montés sur la table.

Enzo a une réaction opposée à celle qu’on attendrait d’un être sensé quand 30 kg de berger allemand vous aboie dessus : il tend la main vers elle en s’accroupissant. Cette vile créature cesse aussitôt d’aboyer pour aller le rejoindre en se dandinant.

- C’est une bonne Pantoufle, ça !

Surpris, je lui demande :

- Tu connais mon chien ?
Il rive son regard sur moi et mon cœur manque un battement (faîtes-moi penser aussi à voir un cardiologue).

- Son nom est marqué sur son collier. Mais je trouve assez drôle que tu puisses penser que je connais ton chien sans que tu sois au courant.

Il me sourit en disant cela, du sourire que l’on donne aux enfants qui disent des choses mignonnes mais idiotes, et je m‘empourpre. Soudain, je repense aux derniers mots qu’il m’a dit au lycée et je pique un fard plus grand encore. Est-ce qu’il pense encore cela ? Je me fustige intérieurement. Déjà, parce que, même si j’aimerais beaucoup dire que je ressemble à Usain Bolt après l’effort, je suis plutôt persuadé que, dans mon short trop grand et mes chaussettes montantes, je tiens plus de Jean-Claude Dusse. Et surtout, je me fiche de ce qu’il pense, me dis-je avec fermeté.

Pendant mon monologue intérieur, il a gardé son sourire, et j’ai l’horrible impression qu’il sait à quoi je pense. Quand je vous dit que ce gars aime à jouer avec mes nerfs.

Agacé, je siffle derechef, et cette fois Pantoufle a le bon goût de revenir. Je fais demi-tour et reprend ma course, quand une voix m’interpelle.

- Lucas !

Je me retourne. Enzo me montre la balle pleine de terre et de bave que Pantoufle a abandonnée. D’un geste souple, il se relève et vient à ma rencontre. Je tends la main et il dépose la balle dedans. Cela ne dure qu’une seconde, mais j’ai l’impression que le temps se suspend et je sens distinctement sa peau, douce et agréablement tiède, frotter contre la mienne, alors que son regard ne lâche pas le mien.

- Bon, bébé, tu viens ?

Quelle voix nasillarde. Aussitôt, je déteste cette fille, dont je ne connais pourtant même pas le prénom. Bébé, franchement ? Qui donne des surnoms pareils ?

- À plus tard, me glisse Enzo.

Puis il fait demi-tour. Je me secoue en réalisant que je suis en train de le regarder marcher, et me fustige une nouvelle fois.

Je reprends ma course, Pantoufle trottinant joyeusement à mes côtés.

- Tu peux sautiller, toi, traîtresse.

Elle ne répond pas, mais je jurerais la voir très satisfaite d’elle-même.

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