Chapitre 10

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Je me retourne dans mon sommeil et une énième fois pour cette nuit me prend le dossier du canapé. Je grogne : j’ai mal dormi et mon dos me fait mal. Je regarde le réveil et soupire : 7h37. Je reste encore quelques minutes à me retourner, encore et encore, puis abandonne et finit par me lever sans bruit. Dans le lit, Sarah dort à poings fermés. Facile, quand on a un vrai matelas. Mes parents l’ont invitée à passer le week-end chez nous, ce qui l’a ravie : elle adore que l’on fasse tous ces trucs « de couple ». Le début du week-end s’est plutôt bien passé, mais on s’est engueulés hier soir. Je ne sais même pas vraiment comment ça a commencé : j’ai remarqué qu’elle commençait à faire la tête en début d’après-midi, et j’ai fait l’erreur de lui demander pourquoi après le dîner.

- Ah, tu remarques enfin quelque chose, a-t-elle dit d’un ton acerbe.

J’aurais dû comprendre que c’était un signal d’alerte, et que je devais m’excuser sans chercher à savoir pourquoi, mais, idiot que je suis, je lui ai demandé :

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

Elle a soupiré.

- Il se passe que tu as passé toute l’après-midi à travailler, et que j’aurais tout aussi bien pu ne pas venir.

- C’est faux, ai-je protesté, on a passé presque deux heures à jouer !

- À jouer avec ta sœur ! Moi je voulais qu’on passe du temps ensembles, tous les deux.

Note pour moi-même : apparemment, jouer aux Playmobil avec une petite fille de 10 ans ne constitue pas une activité de couple digne de ce nom (pourtant, je trouvais que la ferme qu’on avait construite valait vraiment le détour, mais bon.).

- Bah, on en passe du temps ensembles. On passe même tout le week-end ensembles.

- Moi, je voudrais qu’on fasse des trucs ensembles ! Le problème, c’est que tu ne proposes jamais quoi que ce soit !

Sa voix a commencé à monter dans les aigus, signe que je ne devais plus dire de conneries si je ne voulais pas qu’elle parte dans des grandes remontrances à une fréquence bien trop élevée pour mes oreilles délicates.

- Et même ce que je propose, tu le refuses !

- Tu m’en veux parce que j’ai dit que je ne voulais pas aller faire un brunch ? Ce n’est pas contre toi, mais l’idée même, franchement : c’est un petit déjeuner, c’est un déjeuner, on ne sait pas, et on se retrouve à manger des croissants avec du pâté, ou alors il faut décider de…

- Tais-toi !

Je me suis tu.

- Même quand on fait un truc ensemble, t’es là, mais sans plus, tu serais ailleurs que ça ne te ferait ni chaud ni froid !

- Tu veux quoi, que je sois plus démonstratif ? Que je mette des bougies sur les meubles et des pétales de rose sur ton chemin ?

Seconde note pour moi-même : ne pas utiliser le sarcasme dans une dispute, ça ne fait pas avancer la discussion, mais ça énerve l’autre. Beaucoup.

- Je n’en demande pas tant, figure-toi ! T’étais pas très romantique quand on s’est connus, mais depuis quelques semaines c’est encore pire, j’ai l’impression d’être transparente ! Qu’est-ce qu’il se passe en ce moment ?

Je ne voyais pas ce dont elle parlait, et, avant que je n’ai pu répondre, elle a lâché :

- Tu m’aimes ?

Gros blanc. La question m’a pris au dépourvu. Il y a deux ou trois mois, Sarah m’avait fait comprendre qu’elle avait vraiment des sentiments pour moi, et j’avais subtilement éludé la question, dont je pensais m’être débarrassé. Là, je ne savais pas quoi répondre, je n’avais jamais dit « je t’aime » à une fille : cela me semblait inutile, et puis cela compliquait toujours les choses. J’ai ouvert la bouche pour parler, mais aucun son n’en est sorti.

- Je vois, a-t-elle dit.

Le dernier mot qu’elle a prononcé de la soirée, avant d’aller se coucher en me tournant ostensiblement le dos. Voilà comment je me suis retrouvé à dormir sur le canapé en lui laissant le lit – mon lit.


Et je me retrouve donc, un dimanche matin à même pas 8 heures, à descendre les escaliers de ma maison pour rejoindre la cuisine. Là, j’y retrouve une partie de ma famille. Mon frère, qui est à l’université maintenant et ne rentre que le week-end, n’est pas là, signe qu’il décuve probablement chez un de ses amis

Je prends un bol dans le placard et vais m’asseoir à côté de ma petite sœur Sally. J’embrasse sa masse de boucles blondes désordonnées mais elle ne réagit pas, occupée à regarder ses céréales d’un œil maussade. Apparemment, se faire réveiller aux aurores un dimanche matin pour aller faire de l’équitation n’est toujours une chose qu’elle apprécie. Elle a déjà essayé plusieurs fois de faire comprendre à ma mère que cela ne l’intéressait pas, mais celle-ci avait été formelle, toute jeune fille digne de ce nom se doit de pratiquer un sport noble comme l’équitation – personnellement, je ne vois pas en quoi rester assis sur un cheval constitue un sport, mais bon.

Ma mère d’ailleurs est debout, s’affairant à ranger la vaisselle. En face de moi, mon père baisse son journal alors que je m’assois.

- Bonjour, fils. Tu as une sale mine, ce matin. Rude nuit ?

- J’ai mal dormi, je réponds évasivement – les sous-entendus de mon père sont suffisamment gênants pour que je ne l’encourage pas.

Je me verse un verre de jus d’orange quand ma mère me demande :

- Sarah ne vient pas déjeuner avec nous ?

- Elle dort encore, elle descendra plus tard.

- Je vous ai entendu parler hier soir…

- Tu nous a espionnés, plutôt.

- … et j’ai cru comprendre que vous vous disputiez.

Je lève les yeux au ciel.

- C’est rien de très important.

- Je l’aime bien cette petite, déclare mon père, elle est mignonne, discrète, c’est très bien.

- Et l’on apprécie beaucoup ses parents, ajoute ma mère.

Tu m’étonnes. Le père de Sarah dirige l’entreprise principale partenaire de celle de mes parents. Autant dire que, même s’ils ne le disent pas ouvertement, mes parents caressent l’idée de me voir épouser sa fille pour « entretenir le patrimoine familial ».

- Et puis, continue-t-elle d’une voix pincée, elle a une bien meilleure éducation que cette jeune insolente que tu ramènes à la maison.

- Elle s’appelle Margot, et c’est ma meilleure amie.

- Moi, intervient Sally, j’aime bien Margot.

Je souris. Sally profite généralement du moindre passage de Margot à la maison pour me coller aux basques. Moi, trouver cela mignon ? Vous n’avez pas de preuves.

Ma mère en revanche, est beaucoup moins fan. Une fois, elle a dit à Margot que « son allure lui donnait un air, excusez-moi l’expression, de fille de peu de vertu », ce à quoi ma charmante amie a répondu avec un grand sourire : « Ne vous excusez pas, c’est on ne peut plus vrai ! ». Depuis, étrangement, l’ambiance s’est un peu refroidie entre les deux.

Mon père rigole :

- Laisse-le Carla, il est jeune ! C’est un homme à femme, comme son père !

Je me lève sans répondre et dépose mon bol dans l’évier.

- Je vais courir, j’annonce à la cantonade.

Je me dirige vers la porte d’entrée, fuyant l’intrusivité de mes parents.

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