La Colline

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 Morte était la colline. Des gouffres ouvraient la terre, nuages noirs s’élevant des rocheuses entrailles. Ses enfants étaient morts, les grandes Paronnes, arbustes centenaires, racines vigoureuses et graines fertiles, ne poussaient plus ; le sol était malade ; la colline était morte. Les vivants immuables l’avaient quitté. Seul un mouvant s’agrippait encore à son cadavre. Fuyait, peau de fontes cachant une peau fondue. Souffle rauque, d’inconstants actes de vie accompagnant ses mouvements erratiques. Il se frayait un chemin dans la suie. Au bas de la butte, une cicatrice courait le sol, son fond garnis d’armures vidées de leurs vies, ses parois vivement suçait les vigueurs violentées. La terre, voracement, se gorgeait de viscères. Quatre mille plastrons gisaient dans les mâchoires du pays. Les tambours avaient cessés leurs martèlements. Le soldat avait atteint la crête.

 Derrière, le village de Kannésgall avait péri avec la 5éme division de Pararo. Biaro, l’astre bleu qui illuminait les cieux ne parvenait pas à pénétrer les nués d’obsides qui couvraient le monde. La cage noir se voyait tantôt percée par quelques lances, parfois un javelot du soleil ; la belle volonté de l’Astre défendant l’enfant de ses flambeaux. La cage se refermait rapidement. Puis s’ouvrait pour permettre au vaisseau-monde Charronce de bombarder un continent ou le globe en sa totalité. Et les cendres se jetaient dans le vent, retombant ruisseler sur le dernier vivant ; une pluie de monde.

 Le soldat marchait à pas fébriles, manquant de trébucher à chaque mètre sur la caillasse dentelés qui ornaient le pinacle, le seul chemin que son esprit engourdi pouvait suivre. Celui-ci menait au dernier bâtiment encore debout : une tour. Apparue il y a de cela quarante ans, nul n’y était jamais entré, nul ne le pouvait. Elle était restée, ombrant les plaines au dessous selon le jeu de Biaro et le village s’en était contenté. Ils avaient appris à vivre en ses ténèbres passantes. En ces quarante ans, la tour avait été au centre de nombreuses aventures et passions enfantines, de dangereux récits s’y étaient conduits, quelques mythes y furent vécues, l’épique, le joviale, la vie l’intégra, un nom fut donné et une légende attribuée. Mais ces récits n’existent plus, la colline les tient. Pour Charronce, elle n’était qu’une ruine de plus dans son voyage.

 L’esprit du soldat s’était perdu dans ce chemin à la direction unique. Il ne percevait plus ses mouvements. Ses bras et jambes ne répondaient plus aux directives d’un esprit sensé mais aux hurlements d’un instinct traqué. Vous auriez bien vu qu’il ne marchait point. Plutôt, il se jetait en avant de toute son inertie. Son corps n’avait que faire de la destination, il devait bouger, remuer, secouer la chair pour obéir à une loi sauvage : Le mouvement est une vie qui ne vie que par le mouvement. Le transcendant esprit se plie à cette loi indomptée sous l’œil des vautours effroyables.

 Arrivé à un précipice où la colline trouvait son terme dans une cascade minéral, le soldat tomba au sol devant une ombre enveloppante. La carapace vivante qui couvrait sa peau lui interdisait tout contact avec l’humus rouge de sa planète. Il ne sentait plus rien, rien de la terre qui l’avait vu naitre, rien des vents qui avaient bercés les milliards de ce monde antique. Il était seul. Il en était convaincu. Il le savait, d’un savoir qui pendait un à un ses certitudes, n’en laissant qu’un intacte : il était seul et bientôt il serait mort avec son monde et cette colline.

 Le soldat sombrait dans la terre. Les rouges ombres de la maison lui faisaient lentement un tombeau. L’esprit dormait paisiblement au crépuscule des ténèbres et l’aurore pourpre se levait devant ses yeux. Mais le corps ne se voulait mort et, sans demander permission au capitaine de ce navire naufragé, s’agrippa à la terre ayant porté un peuple et lui demanda de maintenant porter rien qu’un peu de chair brulée.

 Rempli d’instinct, l’organisme s’approcha de la tour. La seule entrée qu’il pouvait percevoir dans ce titan de pierre obsidiennes aux reflets argentine était une grille de métal nacrée de flammes et de voix hurlantes se tenant en travers d’un gouffre béant, une cavité avalant la lumière et l’esprit des curieux, où les trous noirs sont de flamboyants brasiers. A mesure qu’il s’avançait, les voix se démenaient, devenant des braillements aux émotions imperceptibles. Dans l’air résonnait des langues impossibles et le vocable d’une jeune femme qui observait d’un regard haineux la venue de ce nouvel invité. Après un dernier mot que seul le cœur du soldat entendit, la voix disparue du tumulte et des bramements.

 « Amonantzias. »

 Les pensées du soldat, éparpillé dans les bombardements de Charronce, furent arrachées à leurs tombeaux. Son esprit se réveilla de sa torpeur mortuaire. Il n’eu le temps de prendre conscience du lieu, une voix l’avait appelée de l’abysse et ses nerfs souffrait de ne l’entendre. Il se précipita entre les barreaux hurlants et se fondit dans les ténèbres derrières. Le soldat disparu de l’existence, sa seule trace sur son pays était maintenant une strie rouge.

 Le soldat escaladait les marches sans en distinguer les détails, sautant de pierre en pierre. Le choc de chaque enjambée secouait son corps, ouvrant ses plaies et brisant ses os malformés. L’avancée faisait acte de marteau, cassant et fracturant l’organisme, tuant la chair pour accomplir la dernière volonté de l’esprit. En arrivant en haut de l’escalier, l’armure du soldat contenait une forme broyée, des muscles déchirés activant des membres disloqués. Le sang avait envahies le système respiratoire de sa carapace, privant le soldat de son oxygène mais celui-ci avait depuis peu arrêté d’expirer ; il en avait oublié l’acte.

 Il entra dans une salle baignée d’une lumière naturelle provenant de quatre sphères accrochées aux murs. Des lumières bleues s’y mouvaient d’un bord à l’autre. Ils touchaient le verre et aussitôt allaient toucher l’autre, bondissant comme de gais petits lutins. Les étoiles prisonnières sont des farfadets, dit-on.

 Le soldat s’arrêta au milieu de la salle, contemplant son architecture avec le but d’y déceler le son ayant happé son esprit. Ses yeux passaient le long des veines. Peut-être y avait-il des cordes vocales à cette tour ? Son corps tournait avec son regard. Les fêlures continuaient à s’élargir le long de ses os. Au fond de la salle, une créature apparut de derrière un trône.

 « Cherchez-vous une pelle ? »

 Le soldat se tourna et découvrit un homme à la barbe argentée.

 « Vous n’êtes pas la voix. Celle des barreaux. »

 Les mots du soldat trahissaient une déception que l’on ne pouvait lire sur son visage, imperceptible sous le casque métallique. Il s’avança vers cet homme, cette apparition qui s’était manifestée dans les airs. Il était attiré par sa gorge. Il y voyait les veines, le sang contenues dans ces tuyaux fragiles.

 « Qui êtes-vous ? » Le soldat marchait d’un pas erratique, s’arrêtant à chaque foulée d’une marche impossible. Son allure était maintenant accompagnée du son d’os broyés s’entrechoquant dans leur prison de chairs. Les fractures étaient sonores. Le timbre sinistre résonnait contre les murs de la salle, des craquèlements envahissant l’air de leurs tonalités angoissantes.

 L’homme se rapprocha soudainement, s’arrêtant à quelques centimètres du soldat. Le corps est mort, se dit-il. Où est l’esprit ? Il murmura :

 « Une pelle, une pelle pour vos amis ?

 - Votre nom ? On m’a donnée un nom. On m’a donnée un nom et une haine. Votre nom ? J’en ai besoin. J’en ai besoin.

 - Déjà mort, brisé, cassé d’esprit et de corps. Il y bien peu de cœur en vous que je puisse extraire. Et puis cette folie, elle vous a enveloppée dans un mauvais linceul. »

 L’homme tournait maintenant autour du soldat, observant les détails de sa forme, calculant la mesure de son esprit, analysant la profondeur de ses émotions. La conclusion qu’il en tira semblait lui déplaire et, se tenant dans son dos, il plaça ses deux mains sur les épaules du soldat, rapprochant son visage du sien.

 « Dans votre état, il n’y aura pas assez. C’est douloureux, tu aurais pu être le cœur que je cherchais. Tant de ton âme est déjà tombé dans le tombeau de tes frères combattant, et le reste, le reste. Le reste est traumatisme et envoûtement. »

 Passant ses deux mains au dessus des épaules du soldat, l’homme les enroula à la base du cou avant de placer sa main sur le visage.

 « Qu’importe, le temps se raccourcit et l’arbre se meurt. Il me faut ton cœur, soldat. »

 La main de l’homme se resserrait à la tombée de ses mots et des fissures lézardaient le casque. Tremblant, le soldat avait porté ses doigts engourdis aux bras de l’homme et tentait de les arracher. Il n’en avait pas la force. Ses mains se brisaient en tirant.

 « Tu voulais un nom, c’est bien ça ? Mon nom ? Est-ce la condition qu’elle t’a imposée ? Va tuer celui qui porte ce nom ? »

 Les bras de l’homme étaient immuables, écrasant le soldat dans leur étreinte serpentine.

 « Ah, elle essaie, elle expérimente. Je reconnais son esprit. Si proche du mien. Elle n’abandonne pas. Elle ne laissera pas ma douleur passer. Mais ses fins, je ne les comprends pas. Pourquoi t’envoyer ? Pourquoi me délivrer le cœur dont j’ai besoin ? »

 D’un fracas sinistre, l’index et le pouce s’introduisirent dans le casque.

 L’homme scrutait son reflet dans l’armure, espérant que celui-ci lui octroie les réponses à ses questions. Sur le caparaçon, seule l’ignorance lui était miroitée. Ce silence lui était familier. Ainsi les astres riaient aux braillements des astrologues, ainsi le cimetière aux pleurs des abandonnés, ainsi était le silence d’une aimée face à sa douleur. Et il haïssait ce silence, ce refus d’attention à un être que l’on n’ignore pas, il en souffrait de son âme royale et de son esprit savant. D’un geste vif, il retira ses doigts des orifices qu’il avait forés. De ces trous sortit un soupir accompagné d’un mot et la Haine.

 « Voila ta libération. »

 Prenant les épaules du soldat dont le corps semblait s’être éteint, il le tourna pour lui faire face. Sa main gauche s’éleva et lui agrippa l’arrière du crâne avant de le rapprocher du sien. Un fracas retenti. Le casque se fissura. L’Homme et le soldat se regardait dans les yeux.

 « Et voila ton réveil. Mon nom est Amonantzias, le roi sans cœur, pose tes questions et donne moi ce qui reste du tien. »

 L’hurlement du soldat fit éclater son sternum. S’écroulant au sol, il convulsa sur les dalles de bronze. Ses membres supérieurs griffaient le parterre mais le soldat ne pouvait plus maitriser des appendices devenues des charniers d’os broyés, taillant et tranchant des muscles morcelés, rompus par l’effort, se mêlant à la bouillie de sangs, d’organes et de chairs. Sa carcasse tentait de fuir sa douleur, de se fuir elle-même. La clameur du soldat s’estompait à mesure que ses poumons se détérioraient sous l’assaut de sa cage thoracique, maintenant une mer d’ivoire ébréché qui sectionnaient le thorax à chaque respiration.

 « Peut-être pense-t-elle que tu n’as plus de temps. Moi non-plus. »

 Amonantzias se pencha au dessus de la forme se tordant sur son sol avant d’en faire le tour, ne la quittant jamais des yeux. Il le considérait avec attention mais il ne fit nul mouvement pour l’aider, le laissant déboiter son squelette et disloquer ses nerfs. Amonantzias cessa sa marche et s’assit proche du soldat.

 « D’abord les questions, la mort après. »

 A ces mots, le barbu porta ses yeux vers une alcôve obscure, construite au dessus de l’Horloge des cœurs qui dominait l’entrée, et prononça un nom.

 « Carilia. »

 Seize chaines de bronzes émergèrent silencieusement de la niche, agrippant les murs aux alentours pour en extraire le corps principal, un amas de rouages dentelés et de fil d’airains, de longs boyaux répandant une vapeur ocre dans l’atmosphère, de chair et d’os coagulant un métal sanglant et fondue. La créature biomécanique suintait de sève pourpre dans lequel flottaient des écrous et des clavettes, des cheveux et des goupilles. Les cliquetis et les grincements machinaux se fondaient en un râle métallique, une voix d’acier s’apparentant au souffle rauque des pestiférés. Ses chaînes s’accrochaient au plafond avec des griffes, serres simulacres. La créature s’y pendait, avançant vers son maître d’une démarche arachnide, se tirant en avant par la force de ses chaînes. L’être au nom de Carilia vint s’accrocher au dessus d’un corps hurlant. Une fusion de viande et de fonte, imprégné d’une douleur pérenne. Une horreur que le cauchemar aurait rejetée de sa tanière et qui hante aujourd’hui les enfers individuels de ceux qu’elle épie.

 Carilia souleva une chaîne aux anneaux rouillés, un appendice qu’elle avait tenu enroulé autour de sa forme et qui gouttait de funestes sucs. Celle-ci fut levait dans les airs par la volonté d’une pensée endormi et le mécanisme organique d’un androïde avant de s’abattre sur le torse du soldat, perçant l’armure pour en forer le corps à l’intérieur. Il cessa de bouger et ses cris laissèrent place au silence. Dans la salle, seule la plainte abjecte de l’abomination métallique pouvait être entendue. La fausse quiétude qui s’y était installé était celle d’un esclave sous l’œil du maître. Amonantzias commandait la sérénité en ce lieu, il y dominait les passions et les pensées, altérant les êtres et trafiquent sa personne pour obtenir son due. En cette salle, il était monarque divin, tel qu’il l’avait toujours été à chaque âge de sa vie et à chaque ère de son éternel quête. L’armure et son contenant étaient enfermés dans sa danse, la valse du roi sans cœur dont il était l’exclusif meneur. Et comme telle était sa volonté, le soldat se mit à respirer.

 « Hhaahh »

 Il exhalait avec énergie et inspirait avec autant de fougue. Son esprit l’avait cru mort, la vie lui semblait être un miracle et il voulait en profiter sans savoir qu’il respirait une illusion. Mais il se mit rapidement à grogner, la panique gagnant ce qui restait de sa raison.

 « Qui est-là ? Sergent ? Sergent ? C’est vous ? Je- J’arrive pas à bouger. J’arrive- J’y arrive pas. Mes mains ? Mes mains ?! Sergent ? Sergent, c’est vous ?

 -Soldat, ton corps va bien. Ne t’en fais pas, tu respires, tu respires et il n’y a plus de douleur. Te souviens-tu de la douleur, soldat ?

 -La douleur ? Dans la tranchée, la douleur ! Dans la tranchée... Les autres. Les autres ?! »

 Amonantzias prit une fiole de sa ceinture et observa le vide qu’elle contenait se faire remplir de quelques pauvres gouttes écarlates exsudant de la verrerie.

 « Si peu. » Le monarque à la barbe argenté se pencha vers le soldat tout en posant la fiole au sol. « Poses tes questions soldat, il t’en faudra plusieurs pour remplir ne serais-ce qu’un quart de ce flacon et le temps s’échappe.

 - Questions ? De quo- Des questions ? Pourquoi- Pourquoi des questions ? Où sont mes yeux ? Où sont mes mains ? Où- Où est-ce que je suis ?

 - Tes yeux, tes mains, tu es dans ma tour. Quoique, tout n’est pas à sa place. Que veux-tu savoir, soldat ? Ici tu peux poser tes questions, ici ta curiosité sera un plaisir, ici tu n’obéis ni aux commandants ni aux commandements. Alors donne-moi tes inquisitions les plus obscures, donne moi les mystères que tu veux élucider, donne-moi une question soldat, c’est un ordre.

 - Comment- Je- »

 Le soldat inspira, du moins il le cru.

 « Que c’est-il passé ?

 - Votre division a été bombardée. Le Paradis à ouvert ses écluses et l’Enfer ses portes. »

 Amonantzias porta de nouveau le flacon à ses yeux et soupira devant la petite flaque qui tapissait le fond.

 « Et mes amis ?

 - Morts.

 - Et moi ?

 - Avec tes amis.

 - Mais vous m’avez dit-

 - J’ai dit que tu respirais. La respiration est l’acte des vivants mais elle ne fait pas acte de vie. Ton souffle est limité, chaque mot l’épuise. Rationne. Rationne comme le sergent te l’a appris. Rationne. C’est ton dernier jour dans les terres éveillés. Pose une question, une question du cœur, c’est un ordre, soldat. Ce sera ton dernier ordre. »

 Le monarque attendit dans le silence, il aurait sa question. On entendait plus le souffle du soldat mais Amonantzias le savait vivant. Il cogitait et méditait. L’argenté n’avait besoin que d’une question, une question qui vienne des tripes de l’âme, qui s’aventure dans les champs ouverts de l’instinct, et sur le siège de la raison s’assoir avant de s’agenouiller devant l’autel du cœur en chacun, et en aucun était le même. Si le soldat trouvait la bonne, le flacon serait rempli. Sinon…

 Le temps fuyait peu à peu, ce furent des minutes, des heures, des jours qui se transformèrent en semaines et de semaines en mois jusqu’à se transfigurer en années qui devinrent décennies puis centenaires avant de s’édifier en millénaires de mutisme et de paix que seule brisaient le tintement des chaînes. Enfin, le soldat parla.

 « Que faisions-nous sur la colline ? »

 Amonantzias n’osa pas regarder la fiole.

 « Ce sera suffisant. »

 Il joignit les mains et y posa la partie inférieure de son visage.

 « Cette question ne me plaît pas, je n’y vois rien de ton filon. Une mine, je demande une mine et tu me donne un caillou, que veux-tu que j’y gratte sinon des grammes ? Une telle question n’a rien de ton cœur.

 -Tu m’as promis une curiosité satisfaite. Je ne te soupçonne pas encore menteur. Ma réponse.

 - Très bien, pour ces quelques soupçons de cœur, je te verrais satisfait. Ta planète s’est trouvée assailli par un être dont le but reste inconnu, un Quêteur du nom de Charronce. Il est apparu derrière Biaro il y a plus de quarante ans et a traversé votre soleil pour mettre fin. Vous aviez de si belles épopées. Et sur les dernières pages, le mot « fin » était si bien écrit, toujours. Et voilà que s’inscrivait sur vos murs, sur vôtres précieuses peaux, voilà que venait dans vos rêves le dernier mot. Et vous n’avez pas cessez de tourner les pages, à espérer d’une suite à votre conte d’enfant. Vous avez connu le rituel des brasiers mais vous n’avez pas perdu espoir. Le vaisseau-monde à saccagé vos continent et sinistré vos civilisations, et pourtant, vous avez refusé la fatalité. Tandis que brulaient vos océans, vous avez œuvrés à sauvés, à préserver. Des refuges ont été bâties, des chaloupes construites et catapultés dans l’espace avec, dans leurs ventres, les restes d’une espèce, à jamais exilés dans le néant. Et vous, vous les soldats, vous êtes restés. Vos cieux étaient devenus des vagues de fusion, des ondes flambantes, des caléidoscopes ardents qui se faisaient étendards de la ruine et drapeaux de la désolation. C’étaient des belles lumières qui brulaient la sentience de vos esprits et y plaçaient le combustible de la folie. Il ne restait qu’à l’allumer. Ils furent milliards à perdre la raison devant l’éblouissant jeu de Charronce. Et puis silence, et puis froid, et puis ténèbres. Mer d’obsides effaçant mers de nuages, et un océan de nuit vint illuminer le monde d’une dernière couleur. Les monstres si familiers se sont rués sur ceux qui avaient su garder la tête haute et les yeux baissés. Et vous, la 5éme division de Pararo, on vous a demandé de les défendre. Alors vous avez creusés une tranchée au bas d’une colline et vous vous êtes terrés au fond, avec vos armures et vos fusils. Magnifique tombeau.

 - Tu te fous de moi ! Je connais tout ça ! Moi je veux savoir pourquoi ! Pourquoi !? Pourquoi on est mort ? Ça à servi à quoi ? A quoi !?

 -Vous avez défendu la colline, et derrière la colline, il y avait des enfants. Voilà pourquoi vous êtes morts. »

 Amonantzias se leva, ramassant la fiole, il s’avança vers son trône.

 « On est mort pour des gens. On est mort pour des gens.

 - Satisfait ?

 - Non. Pour quoi je meurs, moi ? Pour rien, je meurs pour rien.

 - Et pour quoi as-tu vécu ? Passe tes derniers instants avec un sourire. Fais-moi confiance, on n’obtient que deux chances pour bien partir.

 - J’ai vécu pour mourir. C’est ce qu’on m’a appris. On m’a appris que la vie, c’était ça. Trouver une raison de mourir. C’est la seule gloire qu’on trouve à Pararo. Mourir pour quelque chose, parce que nous, les soldats, on vit pour rien. On n’était même pas censé vivre. »

 A chaque propos, le soldat laissait filer son existence. Mais il cessa de parler à quelques phrases de la mort. Un silence s’installa, un calme morbide, et les étoiles et les réalités s’étaient tues, écoutant les derniers souffles du soldat, attendant ses ultimes mots. Avec la voix brisée, il parla.

 « J’ai peur.

 -Je comprends, elle aussi, elle avait peur.

 -Qui ?

 - Une question, mais pas celle-là.

 - Je n’ai plus de questions, je n’ai plus rien.

 - Ne tarde pas alors. »

 Amonantzias s’assit sur son trône d’airain et considéra la fiole.

 « J’ai perdu. »

Soupir, vieillard, soupir.

 Comme malade, Amonantzias se plia.

Regardez comme le vieillard soupir. Bientôt il va s’assoupir. Comme nous. Mais pas de rêve pour toi. Cauchemars seulement.

 Le flacon tomba de ses mains.

Cauchemars de ce qui aurait pu être. Si seulement un autre avait un tel cœur de soldat, un autre parmi les infinités d’autres. Mais tu as perdu le seul, je t’ai fait perdre le seul. Ton horloge à jamais incomplète. Avoir touché le rêvé d’un doigt. Et n’avoir pas pu s’agripper.

 « Petite. »

 Amonantzias étendit sa main et caressa l’air comme les cheveux d’une enfant.

 « Petite. Chut. J’ai à faire. J’ai à faire. Chut. »

 D’un doux mouvement, il fit disparaître l’ombre dans le bronze. Il ramassa la fiole et s’approcha du soldat.

 Amonantzias avait été soyeux, une dentelle avait couvert ses mots. Quand il parla à nouveau, sa voix était une gifle et un tonnerre. C’était Dieu qui faisait éclater l’Arche de Noé sur une montagne.

 « Enfants. Petits enfants. Sans soldats. Sans parents. Soldat, où sont-ils à présent ? »

 Le souffle s’accéléra.

 « Soldat, où sont-ils ?

 - Non.

 - Dit-le.

 - Non.

 -Charronce.

 -Non. Non, non tu mens ! Tu mens, tes mots sont- Non ! »

 Dans la fiole, la verrerie se mit à dégouliner. Souriant, Amonantzias s’accroupit à cotés du soldat et rapprocha son visage du sien.

 « Les enfants étaient petits. Ils couraient dans les rues. Ils couraient, couraient petits d’hommes, trop petit pour courir bien loin. Quand ils ont dépassés le musée, ils étaient huit. Arrivés rue Kosgell, ils étaient sept. Sur les dalles du centre aéré, on pouvait voir six ombres fuir. Dans le parc de Marasta résonnaient cinq voix, puis quatre à la manufacture. Derrière la statue de Liron Doï, ils étaient trois à se cacher. Dans les champs, on comptait deux empreintes. Quand la rivière était passé, il n’y en avait plus qu’un et bientôt, il n’y avait plus rien. Il n’y a rien parce que rien ne les a défendus. Il n’y a rien parce qu’il n’y avait plus de soldat.

 -On était mort ! On nous a tués ! Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? On-

 - Tu es resté dans ta tranché avec les tiens, à rire, à boire, à mourir et pour quoi ? Ils sont morts à cause de vous et vous êtes morts pour rien.

 -Non ! NON ! »

 Le fluide contenu dans le flacon avait atteint les trois-quarts. L’Argenté savait comment la remplir. Mettant sa bouche devant l’un des orifices que ses doigts avaient creusés, il lui murmura ses dernières paroles.

 « Vous vous êtes terrés et enterrés dans la terreau de votre planète, creusant le tombeau de vos êtres et le caveau de vos enfants. Vous vous êtes mutilés, éborgnés et bornés à mourir dans la bombarde d’un caboteur millénaire, vous êtes mort pour la gloire, pas pour les bambins. Eux ont perdu pères, mères, et les parents leurs poupons. Vous avez fourvoyez la vie mais la vie n’a rien égaré, ni substance, ni fantôme. Vivant, vous n’étiez rien, mort, vous n’êtes guère plus qu’atomes. »

 Le dernier silence du soldat tomba sur la salle, celui-ci serait sans fin. La fiole était pleine. Amonantzias se leva. Sans regarder l’armure qui ne contenait plus de corps, celui-ci ayant dépéri depuis des milliers d’années, il donna un dernier ordre à sa servante.

 « Carilia, nettoie la tour. »

 L’immonde créature enroula le soldat dans ses chaines et quitta la tour.

 Sortant dans un paysage qui avait souffert le passage de Charronce il y a de cela des millénaires, Carilia s’empressa de porter sa charge à sa destination. Les lances de Biaro étaient revenues. Elles s’étaient émoussées, tristement rouillés sans enfants pour les décrire. Carilia se dirigea vers les ruines de Kannésgall. Trois bâtisses de roches grisâtres croulant sous leur poids marquaient l’ancien emplacement du village. Sur la terre, les racines vigoureuses étaient des fossiles, les graines infertiles. Même les minuscules Orchises ne parlaient plus à Biaro.

 La servante observa le monde qui l’entourait, épia l’antre de son maître et ne bougeât tant qu’elle ne fut rassurer que nul ne la regardait. Elle se mit à déblayer une section du terrain. Huit chaînes à griffes acérées grattèrent le sol, égalisant et accommodant la poussière et la ruine. Quand le tout fut plat et présentable, Carilia y disposa l’armure. Elle ajusta délicatement le corps, alignant bras et jambes pour donner l’illusion du repos. Carilia inscrivit le nom de l’être à ses pieds, dans le rouge de sa planète. La créature s’inclina devant le soldat avant de mettre sa forme au travail, modifiant la terre, coupant les pierres et brisant ce qui restait de l’ancienne civilisation. La roche des bâtisses furent convertis en blocs qu’elle disposa autour de l’armure, les racolant avec un concentré de silicate et d’aluminates de calcium, ingrédients pour lesquels elle alla forer les montagnes au nord. Après plusieurs jours de labeur, un mausolée se tenait autour de l’armure. Le monument fait de ruine et de dévastation était la dernière architecture que l’on pouvait trouver en cette galaxie. Charronce avait mis bas au reste. Saluant le soldat une dernière fois, Carilia s’en retourna vers son maitre.

 A son entrée dans la tour, un ouragan se format dans le ciel. Un vortex coupant l’air qui emportait les montagnes dans son passage, ouvrant les continents et vidant les mers. La tour s’y engouffra, quittant cette réalité pour en explorer une autre. La colline fut arrachée à sa terre natale et se retrouva éparpillée sur la surface du globe. Au milieu de cette fureur, le monde s’était fait désert. Les montagnes et les profondeurs avaient laissés place à la plaine éternelle ; le planisphère était lisse, une sphère qui semblait irréprochable. Et dans un désert autrefois nommé Kannésgall, un mausolée défiait la perfection. Une bâtisse de ciment et de pierre qui avait tenu tête aux vents et aux temps.

 Des milliards d’années coulèrent le long des murs polis du tombeau. Oublié de l’Univers, il tint ses fondations devant le silence des étoiles. Son portail, une large pierre de trente toises, avait était déplacé. Partant de l’entrée, des empreintes se profilaient sur le sable, se perdant dans le désert mondial.

 Et sur une terre encore rouge, était inscrit un nom : soldat.

Ainsi vit Le Rat en passant.

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