L'esprit émeraude

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Après le bruyant carillonnement de l'horloge, un étrange silence régnait dans la demeure. Lizzy tremblait comme une feuille, sachant que ce calme apparent n'était qu'un leurre. Bien qu'elle soit déserte, il règnait dans la chambre une ambiance oppressante. Dissimulé dans les ombres, on l'observait. Telle une biche craintive qui dresse les oreilles au plus profond de la forêt, elle ne voyait pas son prédateur mais pouvait sentir sa présence.

Sur la commode, sa boîte à musique émit un déclic. La fillette jeta un coup d'œil par dessus la couverture et observa avec horreur le couvercle se soulever lentement. La minuscule ballerine s'éleva de la boîte avec grâce, son tutu rose brillant à la lumière des chandelle. Une douce musique retentit dans la chambre tandis que la chair de poule recouvrait les bras de Lizzy.

Apeurée, la fillette s'empressa de se cacher sous la chaleur des draps. Elle joignit ses mains et se mit à prier frénétiquement.

"Le Seigneur est mon berger,
je ne manque de rien. "

Dans la pièce, la température chuta brutalement. Sur les vitres des fenêtres, le gel déployait ses ailes glacées en craquant sinistrement. Dans l'âtre, le feu suffoquait et faiblissait. Après quelques instants, il ne fut plus qu'un faible rougeoiement.

"Il me conduit par le juste chemin,
pour l’honneur de son nom."

Les lattes du plancher craquèrent. Néanmoins, ce n'était ni les pattes légères du vieux chat de la maison, ni les pas pressés de la gouvernante. C'était le raclement de quelque chose qui se traînait lourdement sur le plancher. Lizzy ferma les yeux aussi fort qu'elle le pouvait, ignorant ces bruits suspects.

"Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal."

Lizzy plissa le nez avec dégoût car il y avait à présent une odeur épouvantable. Jamais elle n'avait senti quelque chose d'aussi répugnant. Lizzy imagina de la viande rongée par les asticots, oubliée sous un tas de feuilles mortes. En complément, un entêtant parfum tellement amer, qu'il lui piquait le nez. L'émanation était de plus en plus forte et Lizzy du retenir un haut-le-cœur. Elle se plaqua une main sur la bouche et continua sa supplique.

"J’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours."

Alors que Lizzy tentait désespérément de se rappeller un autre psaume, une respiration laborieuse se fit entendre. La fillette ne put garder les yeux fermés plus longtemps et sortit la tête des couvertures pour jeter un regard craintif aux alentours. Le duvet qui couvrait ses bras et sa nuque était dressé par l'angoisse. Elle resta tétanisé, incapable de bouger ou d'emettre le moindre son. La puanteur de viande pourrie était toujours présente et la petite musique résonnait dans la pièce avec innocence. Au centre de la pièce, plusieurs papillons de nuit voletaient, formant un gracieux ballet.

Une respiration laborieuse se fit entendre. L'enfant se crispa lorqu'une nuée d'insectes s'extirpa des draps de soie sous le regard horrifié de Lizzy. Ver de terre, mille-pattes et araignée jaillisaient d'on ne sait où, gesticulant et ondulant sur la literie de soie. La fillette ramena ses jambes sous elle avec effroi et se plaqua contre le mur. Au dessus d'elle, un mouvement attira son regard.

La tête en bas, Virginia était assisse en tailleur au plafond, ses longs cheveux pendant vers le sol, sales et emmêlés. Elle portait la jolie robe blanche qu'on lui avait mis pour son enterrement, bien que le tissu était jonché de terre noire et de feuilles mortes.

— Bonsoir, grande sœur.

Sa voix était terrible, bien plus rauque que de son vivant. Deux visages se superposaient en même temps sur la figure de l'esprit. Parfois, Lizzy pouvait reconnaître une Ginny à l'aspect maladif de ses derniers jours. Et puis, lorsqu'elle bougeait la tête, un crâne se superposait aux traits de la fillette. Ses yeux étaient immenses dans sa pâle figure et regardaient sans vraiment voir. Une étrange lueur verdâtre se dégageait de Ginny, illuminant faiblement le plafond. L'enfant spectre pencha la tête sur le côté, comme elle le faisait parfois de son vivant.

— Je n'ai pas le droit d'être ici, tu sais.

Le dos contre la froideur du mur, Lizzy déglutit avec difficultée. Elle était complètement paralysée par cette macabre vision. Cela faisait des mois que sa défunte sœur venait lui rendre visite. Au début, elle ne pouvait la voir. Ginny se contentait d'ouvrir et de fermer la porte ou les tiroirs. Ou bien d'éteindre la lumière des chandelles. Puis au fur et à mesure, une forme indistincte s'était révélée au plus noir de la nuit, rampant sous le lit et dans les coins. Mais jamais elle ne lui avait adressé la parole. L'enfant prit son courage a deux mains et s'adressa au fantôme, la voix tremblante.

— Pourquoi tu me fais ça, Ginny ? Pourquoi tu me hantes tous les soirs ?

Le spectre hocha doucement la tête.

— Pardon, Lizzy. Mais j'ai besoin de ta peur pour exister.

Dans un sinistre craquement, Virginia se mit à quatres pattes et sauta sur le mur pour ramper vers sa sœur avec lenteur.

— Les morts ne doivent pas interférer auprès des vivants. C'est la règle.

Défiant la gravité, la fillette spectrale descendait le long de la paroi. À chacun de ses déplacements, son corps émettait des craquements sinistres.

— Ils veulent que je t'abandonne à ton sort. Mais c'est hors de question !

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Ma mort n'était pas naturelle, grande sœur.

Lizzy resta bouche bée devant une telle déclaration. Ginny sauta sur le matelas de plumes et s'assit face à elle. Sa cadette était si près que si Lizzy tendait le bras, elle pourrait la toucher. Mais pour rien au monde, elle ne l'aurait fait. De loin, le fantôme était inquiètant néanmoins ce n'était rien vu de près. Ses cheveux bruns grouillaient d'araignées aussi grosses que son poings. L'odeur qu'elle dégageait prenait à la gorge et Lizzy devait se couvrir la bouche pour calmer ses haut-le-cœur.

Une longue fissure se propagea au coin de la mâchoire de Ginny mais elle n'en parut pas affectée. Elle ne bougea pas et se contenta de fixer son aînée, avec une lueur d'envie dans son regard mort.

— J'aimerais tant être vivante.

Elle caressa le devant de sa robe avec lenteur.

— Mon cœur n'est plus q'une pierre dans ma poitrine. Je ne ressens plus rien. Ni joie, ni colère.

Beaucoup aurait donné cher pour pouvoir converser avec un esprit, pourtant Lizzy n'avait qu'une question à lui poser.

— Ginny... Tu as dit que ta mort n'était pas naturelle ?

Le fantôme hocha lentement la tête comme si la perspective de sa propre mort lui importait peu.

— J'ai été assassinée. Par quelqu'un que tu connais.

Le pâle visage de Virginia se craquela de plus en plus et les nombreux fragments planèrent vers le plafond. Ses mains se fissurèrent également et la lueur qui se dégageait d'elle se résorba de plus en plus.

— Prends... garde... Lizzy... tu... es... la... prochaine.

— Ginny attends !

La fillette tendit la main et voulu attraper celle de sa jeune sœur mais ses doigts n'éffleurèrent qu'une pâle fumée. L'esprit s'était volatilisé, laissant Lizzy seule avec ses questions, ses draps grouillant d'insectes. 

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