Bêtise

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C'était palpable, plus qu'un souvenir à dire vrai. Elle avait l'impression que si elle tendait la main, elle pourrait la toucher et c'est la raison pour laquelle elle ne le faisait pas. Trop peur de la faire fuir, trop peur de la dissoudre, trop peur de passer au travers.

Trop effrayée de la détruire.

Encore.

C'était un nouveau départ, une opportunité de modifier le cours des choses.

C'était une sorte de rêve qui se déployait et qu'elle regardait avec l'envie de plus en plus forte d'en faire partie. Malgré tout elle restait à une distance de sécurité de toutes ces jolies choses et de ces merveilleuses histoires qui se jouaient devant elle, que sa seule présence pouvait faire s'effondrer. Elle retenait presque sa respiration, mais ses souvenirs l'entraînaient toujours plus loin, et toujours plus près, tant et si bien qu'elle finit rapidement par sentir ses cheveux parfumés. Ses doigts enfin touchèrent la chair de l'autre, tandis qu'elle enserrait son bras. Elle ne pouvait pas s'en empêcher.

* * *


Et soudain, je la pousse.

Ma petite sœur dégringole les marches. Mais je ne crie pas. Je n'ai pas peur. C'est juste un jeu, non ? Et je rigole, c'est tellement hilarant ! Badaboum, badaboum, badaboum !

J'allais me jeter à mon tour dans l'escalier quand nos parents accourent vers ma petite sœur arrivée au bas des marches. Et ils ont l'air si effrayés que je me calme aussitôt. Je n'ai plus envie de rire, plus envie de les rejoindre en bas en roulant dans l'escalier.

Car elle pleure.

Et je suis déchirée, car je ne comprends pas pourquoi, ça avait l'air si amusant ! Nos parents essaient de la consoler, ce n'est qu'une égratignure.

Mais leur regard sur moi est ce qui me fait le plus souffrir.

Car à cet instant je n'ai vraiment pas le sentiment d'être leur fille. Ils me regardent comme si je venais de faire quelque chose de très grave. Papa commence à monter en criant. Mon cœur cogne si fort dans ma poitrine que je ne peux même pas bouger.

Je devrais.

J'aurais dû.

Car au moment où il arrive près de moi, la gifle est si forte qu'elle fait valser tout mon monde. Il hurle maintenant. J'essaie d'expliquer que je ne voulais pas lui faire de mal, que je voulais juste m'amuser... Il n'écoute pas. Et il hurle, encore. J'essaie de crier plus fort que lui mais c'est inutile : jamais il ne parviendra à comprendre.

Au fond, je le sens : jamais ils ne me pardonneront.


C'est douloureux, de se rendre compte que l'on vit à côté de personnes sans plus interagir avec elles. De les voir chaque jour, de croiser leur regard qui se dérobe, de poser la main sur la leur mais de toujours rencontrer, au lieu de la chair, la surface froide d'une vitre qui s'est formée et refuse de disparaître.

Rien ne va plus. C'est compréhensible. On aurait pu pardonner à une enfant qui n'aurait pas su, qui se serait mise à pleurer en constatant immédiatement que ce qu'elle venait de faire était mal. On aurait excusé une petite fille qui avait fait tomber sa sœur sans le vouloir à un seul moment. Or ce n'était pas involontaire. J'ai commis une erreur qui ne sera jamais oubliée.

La vérité je le sens, est que je leur ai fait peur. Ils m'ont bien expliqué ma bêtise, le danger de mon ignorance, mais le rire qui s'est échappé de ma bouche doit les hanter la nuit. Je m'en veux terriblement. Car on m'a frappée pour cela, grondée pour cela, ignorée pour cela. Pour autant, ils ne sont plus les mêmes depuis cet épisode. Et quand je suis auprès d'eux, je dois me battre pour me faire une place dans l'évidence d'autrefois.

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