10. En soirée

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Nous avons ainsi passé le reste de la journée à siroter des bières et à discuter de tout et de rien. Le tout, affaler dans mon bon vieux canapé. De quoi nous faire passer pour deux petits papis. Mais nous avons oublié ou plutôt digéré l’histoire des bonbons, effacé l’image de Lina pour laisser place à l’humour décalé d’Alex.

Sa meilleure blague de la journée a été quand il m’a incité à replonger dans les bras de Sophie. Avant de me suggérer de m’échapper un moment dans un coin sombre avec Laurie qui, d’après ses dires, n’attend que ça depuis sa séparation avec Vincent. Blague à part, avec ses distractions, nous n’avons pas vu les heures s’écouler et à présent, nous sommes en retard.

Enfin… Ce détail ne dérange que moi.

— Va te changer, je vais accueillir tes invités, me surprends Alex alors que mes yeux font des allers-retours récurant entre ma montre et l’horloge de la cuisine.

Obsessionnel ? Oui.

Depuis qu’elle est partie, j’essaie de tout contrôler, le moindre détail est important, et je ne peux pas me laisser distraire, pas même une seconde sinon mes pensées auront assez de répit pour divaguer et foncer vers elle. Une tape dans le dos me ramène à la surface, et je file me changer. Une chemise et un jean suffisent à me sentir mieux.

Pourtant dans un geste automatique, je me tourne vers mon bureau et attrape ce flacon tombé dans l’oubli depuis dix ans, et j'en presse le bouton trois à quatre fois à des points stratégiques. Ma nuque, mes poignets et ma chemise. Ce n’est qu’en déposant l’objet sur le bois que je me rends compte de mes mouvements.

Ce flacon, ce liquide ambré visible à travers sa cage de verre, c’est elle qui me l’a offert.

Un frisson remonte le long de ma nuque, je soupire, essaie de reprendre mon souffle et sursaute à l’entente de la sonnette, celle qui annonce l’arrivée de mon premier invité. Je soupire un, « reprends-toi », affiche un sourire faux sur mon visage, passe une main dans mes cheveux avant de tourner le dos à mon bureau, à ce parfum, et de descendre rejoindre mes amis.

En arrivant au pied de l’escalier, je ne suis pas étonné de voir, Simon et Ethan pantouflards dans mon sofa. Génial ! Je sens qu’on va bien s’amuser dit dont ! Un point positif tout de même, ils ont apporté des boissons et des gâteaux apéritifs. Alex à la tête dans le réfrigérateur, alors je m’installe sur un des tabourets près du comptoir.

— Les filles ne sont pas là ? Demandé-je plus par politesse que par intérêt.

— Elles sont parties chercher Mathieu, il est déjà bien touché.

— Mathieu ? Vous êtes sérieux ? Vous avez cru que le passé devait revenir au goût du jour ce soir ? Je croyais qu’on devait l’éviter ?

— Calme-toi. Il reste notre ami, me réprimande Ethan en se levant pour venir s’installer près de moi.

Je secoue la tête, je suis encore tombé dans un guet-apens. Mathieu et moi, sommes en guerre froide depuis quelques années maintenant, depuis qu’il a appris pour Lina en vérité. Il est le seul à n’avoir rien à se reprocher. Mais quand on le regarde, c’est celui qui à l’air le plus déchiré et en morceaux du groupe. De quoi casser l’ambiance…

Mon appréhension me prend aux tripes, elle ne se calme pas avant d’avoir vu le visage de mon ancien meilleur ami. Il venait compléter notre duo, ainsi nous formions un trio inséparable, parfois accompagné d’une blondinette au sourire étincelant. Les filles, Mathilde, Sophie et Laurie, font leur entrée vingt minutes plus tard.

Cependant ce sont les yeux de Mathieu qui s’accrochent aux miens que je remarque. Il hausse les épaules comme pour me signifier qu’il ne comprend pas bien pourquoi il est présent. Mais ce n’est pas tout à fait ce qui me préoccupe le plus. Et il doit s’en apercevoir... En effet, il se retourne suivant le trajet de mon regard. En revanche, il ne trouve rien derrière lui.

Ma déception transpire par mes pores alors qu’il pose à nouveau ses pupilles sur moi, en fronçant les sourcils. La réponse est oui… Je m’attendais à la voir apparaître, tel un fantôme, une revenante du passé, d’un souvenir lointain et surtout avec ce sourire que j’appréciais tant. Sauf qu’il n’en est rien. Et c’est tant mieux, sinon elle aurait eu un accueil des plus horribles à cause de la présence de Sophie et Laurie.

Elles pensent connaître notre histoire, celle de Lina, mais ce qu’elles en savent n’est que le film que nous avons bien voulu leur faire croire. Je me demande encore pourquoi c’est si simple pour une jeune femme de penser qu’une fille est fautive sans savoir les détails de son histoire… Sans savoir si l’homme n’était au final pas le maître du jeu.

Lina l’a appris à ses dépens, alors que ces deux filles, n’ont pas eu le temps de découvrir mon autre facette. Celle dont j’ai honte, celle qui me fait frémir à chaque fois que je plonge dans la noirceur de mes souvenirs. Pourtant, elles l’ont compris… Chacune d’elles transporte un quelque chose de Lina.

Laurie est têtue, toujours à chercher à me contrer tout en me laissant une porte ouverte vers son cœur. Elle a aussi ses cheveux d’or, ceux qui brillent et qui reflètent les rayons du soleil l’été. Mais ce qu’elle n’a pas, c’est la douceur et l’innocence de Lina. Sophie quant à elle… Elle est vivace et transpire l'intelligence, celle-là même qui m’a permis d’avancer en tant qu’homme. Elle pousse les gens à voir le côté positif de leur vie, cependant, elle n’a pas la fraîcheur et le sens d’esprit de Lina.

Ce sont leur chevelure blonde qui leur a fait gagner mon attention.

Et je reste persuadé que ce sont leurs points communs avec Lina qui ont sonné la fin de notre relation.

Peu importe. Elles ne sont pas Lina et ne le seront jamais de toute façon. Je dois arrêter de me torturer avec ça. Et puis, si elles ont un problème avec moi, elles savent où se trouve la porte. D’ailleurs, je pense que tous mes invités sont là. Je les observe, je suis dans l’entrée de ma salle de séjour. Examinant les acteurs d’une scène dont je fais partie. Ils sont ma famille, une famille étrange mais qui est toujours présente. Malgré beaucoup de secret au fond des placards…

Une heure s’écoule dans les rires, les discussions, le bruit des verres qui s’entrechoquent et la musique au volume le plus bas pour nous donner une mince ambiance de chaleur. Je suis accompagné d’Alex qui a le droit à des baisers de sa belle Mathilde de temps en temps. L’annonce de mon nouveau contrat a été bien accueillie avec un verre en mon honneur, mais je sens comme un vide.

Un manque inexplicable dans cette atmosphère pourtant conviviale.

Un léger sourire a pris place sur mes lèvres depuis quelques minutes. Je me sens apaisé, mais c’est de courte durée. J’aurais dû m’y attendre… Il y a toujours un moment, un instant de bonheur, de paix dans les films avant que tout ne basculer vers l’obscurité. Et cette ombre se propage vite, trop rapidement pour que je puisse l’arrêter.

Surtout quand j’entends ses frappements si familiers de l’autre côté de ma porte d’entrée.

Au fond du couloir.

Toc. Toc. Toc, Toc, Toc. Toc.

Je reconnais ce son, ce bruit si particulier qui lui appartient. Notre code, ce mot de passe dont nous étions les seuls maîtres. Les autres ont dû l’entendre aussi, leurs regards sont fixés sur moi, dans l’attente. Sauf que je ne bouge. Je ne veux pas croire ce que ma tête me dit, et ce que mon cœur me crie. « C’est elle. » Pourtant, c’est faux et je le sais.

Peu à peu le silence envahi la pièce, les discussions ont cessé et un poids de plus en plus lourd se fait sentir sur mes épaules. Mon regard, quant à lui est bloqué sur le couloir, ce sombre et étroit vestibule qui se termine sur la porte close. J’hésite, fait un pas vers l’entrée puis m’arrête me disant qu’au final se devait, être une erreur.

Mais alors que je me retourne vers Alex, dans un haussement d’épaules, un nouveau fracas se produit. Cette fois, il est plus fort, comme pour marquer sa présence. Comme pour me dire, « je suis là, ouvre-moi… », comme si elle savait que j’avais besoin d’elle, besoin de savoir qu’elle est encore présente dans ma vie. Même si je sais très bien que c’est le contraire. Dans une forte inspiration, je me décide. Il faut que je voie, que je sache qui est derrière cette porte.

J’avance, mes pas sont lents, mes mains tremblent, elles sont prises de fourmillements, d’une hésitation que je ne connais pas. Un, deux, trois pas vers mon sombre couloir. Je frissonne dans l’obscurité qui mène à ma porte. Je pourrais allumer la lumière mais je n’en fais rien, préférant observer l’interstice entre la poste et le sol.

Toc. Toc. Toc, toc, toc. Toc.

À nouveau ce son si singulier et si similaire au sien. Au même moment, je distingue un voile sous la porte, une silhouette, je crois reconnaître des pieds. Il y a bien quelqu’un. Ce n’est pas seulement mon imagination. Mais plus je m’enfonce dans ce coin sombre plus mes doigts tremblent, comme s’ils sentaient sa présence.

Dans mon dos, je sens encore le regard de Sophie, tout est calme. Trop calme alors que ma respiration se saccade, s’entrecoupe. Je retiens mon souffle, m’arrête face à la structure de bois qui me sépare d’elle. Ou de ce que je me persuade, être Lina. Cependant, et je le sais, elle ne peut pas être présente. Surtout ce soir, surtout après…

Je secoue la tête, essaie de reprendre mes esprits.

— Tu peux le faire, tout va bien, respire, me soufflé-je.

Enfin face à cette porte, qui me semble être celle des ténèbres ce soir, je prends une inspiration avant de poser mes doigts tremblant sur la poignée. Je n’ai pas le temps de la baisser que déjà des nouveaux coups se font entendre. Pris d’un sursaut, je recule de deux pas. Derrière moi, c’est le calme plat.

Tous attendent de voir ce qui se cachait de l’autre côté de la paroi.

Moi, le premier.

Avançant pour réduire l’espace entre mon entrée et mon corps, je soupire, essayant de réguler ma respiration, ainsi que mon rythme cardiaque affolé par le bruit qui résonne encore en moi. Cette fois, je suis assuré ou presque… Je ne me laisse pas déconcentrer par le souffle fort qui se dégage de devant mon appartement.

Une. Deux. Trois !

La poignée baissée, la porte grande ouverte, la bouche ouverte.

Je suis abasourdi par la vision qui s’offre à moi. Je ferme, ouvre et referme la bouche à plusieurs reprises, avant de cligner des yeux et de passer une main dans mes cheveux pour être sûr que je ne rêve pas. Impossible ! Ses cheveux, cette silhouette, cette odeur sucrée telle un bonbon à la cerise, je les reconnaîtrais entre mille.

Pourtant quand nos regards se croisent, je sais, ce n’est pas elle.

C’est son clone, son double, son sosie.

Mia.

— Ce n’est pas trop tôt ! J’ai cru que je ne frappais pas à la bonne porte, dit-elle d’une voix douce qui se veut joueuse.

Mes tremblements me quittent, et c’est une boule qui se creuse au fond de mon ventre. Elle pèse, et prend du volume plus je la regarde, plus je l’inspecte, cherchant les points communs qu’elle a avec Lina. Observant, et voulant retrouver un peu de ma lumière, de cette étincelle qui s’est éteinte, en cette jeune femme qui lui ressemble.

Sauf que je ne vois rien, ne retrouve rien de cette jeune fille innocente dont avec qui il était si facile de parler. Une Lina qui n’est plus là. Mia, face à moi, perd peu à peu son sourire en voyant que je ne me décale pas de l’ouverture. Sceptique, elle se dandine d’un pied à l’autre, et elle finit par toussoter de gêne.

— C’est Ethan qui m’a invité, m’annonce-t-elle pour justifier de sa présence.

Suspicieux, je hausse les épaules et me déplace pour lui laisser la place de passer. Par réflexe, ou comme une habitude, elle trouve l’interrupteur, et illumine le couloir. Surpris, je suis obligé de fermer les yeux pour m’adapter à l’intensité de la lumière subite. Alors qu’elle avance vers le séjour, j’entends un marmonnement imperceptible.

Comme un chuchotis, un murmure, un reproche que je connais par cœur.

« Allume, s’il te plaît, ton entrée me donne des frissons… »

À moi aussi, il provoque des frissons à cet instant, Lina. À moi aussi.

Perdu dans mes pensées, je suis vite ramené sur terre quand un cri, un coup de tonnerre résonne dans le salon. Bientôt suivi par une résonance bien singulière. Une répercussion que j’ai déjà entendue auparavant. Une peau contre une autre. Affolé, je referme la porte avant de foncer dans mon salon, sans oublier d’éteindre la lumière que « Mademoiselle » a laissée allumer.

— Tu n’as rien à faire là ! Hurle Sophie en fusillant la nouvelle venue du regard.

Quand je m’approche de la petite blonde, Ethan est à ses côtés scrutant son visage. Mes sourcils se froncent et posant une main sur l’épaule de Mia, je la retourne avec force. Mes yeux s’agrandissent en remarquant une marque rougeâtre sur sa joue gauche. Il ne me faut qu’un moment à mon sang pour faire un tour.

Mon visage se fixe sur celui de Sophie, qui est comme en transe, telle une furie, elle hurle sur quiconque la regarde. Mais elle n’ose pas encore me faire de reproches, pas directement. Elle cherche du secours auprès de Laurie mais, celle-ci reste en dehors du problème, secouant même la tête pour lui signifier qu’elle ne comprend pas sa réaction.

Mais moi, si.

Je comprends. Elle a fait la même erreur que moi.

— Ce n’est pas Lina, grogné-je pour la furie dont les nerfs n’ont pas l’air de se calmer.

— Bien sûr que si !

— Non !

Mon ton est froid, glacial. Il tombe sur moi, faisant parcourir un frison le long de ma colonne. Sophie baisse enfin le regard, non pas sans un souffle de dégoût. Je l’observe sans un mot. Mon ancienne petite amie, nous scrute les uns après les autres, et fini sa course sur Mia. L’analysant point par point, et ce qu’elle y trouve ne doit pas lui plaire. Au contraire, elle tourne les talons, fonce vers le couloir, et quitte la soirée en claquant la porte.

— J’adore l’ambiance chez toi, ironise Mia en me donnant un coup de coup pour essayer de me dérider.

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