Épilogue : Deux mondes.

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“Quoi de plus beau qu’un feu d’artifice ?”

***

Depuis des beaux jours, la musique le portant dans une de ses oreilles, le souvenir d’Ulys montait les larges briques grises qui servaient d’escaliers au Lycée Gordon. Sa tignasse blonde retombait devant ses yeux qui ne portaient même plus attention aux matériaux abandonnés. Les travaux dans l’école n’avaient jamais été finis, un chantier se dessinant plus on grimpait dans les étages.

Des nuages de poussières se soulevaient au quatrième. La surface grise, sans carrelage, sans peinture aux murs, se voyait délimitée par des banderoles noires à partir de la plus haute marche.

Le blond les souleva avec facilité comme s’il passait le pas de sa maison. Des rires sourds s’échappaient depuis l’arrière de l’épaisse double porte dans le petit hall.

Sa jeune main sur la poignée où pendouillait une chaîne massive se stoppa quand il entendit un tumulte dans son dos.

Benjamin, le petit blond tout bouclé de la bande, se rattrapa à une marche de ses deux mains, puis fit de gros yeux à la jeune fille à côté : Chen. Un pot de peinture aussi rouge que ses cheveux à bout de bras, cette dernière l’aida à se relever en souriant.

“C’était moins une... ”, lâcha le tout jeune garçon qui se vit coller un autre pot rempli de rose dans les bras. Il le serra contre son torse juvénile comme s’il s’agissait d’un doudou, sans se soucier des taches atterrissant sur ses vêtements.

“Clip” - “Clap”

Ses bonds jusqu’à la porte résonnaient comme des gouttes d’eau s’écrasant au sol : “Tu ne rentres pas ?” demanda-t-il à Ulys pendant que Chen disparaissait entre les deux portes.

“Snake, attends… !"

Les plus jeunes ne manquaient pas d’énergie, ouvrant la vue sur un nouveau monde. Ulys y pénétra. Des grandes bâches en plastiques s’étalaient sur le sol et l’odeur de la peinture prenait à la gorge.

Chen jeta sur les murs des gros coups de pinceaux, un serpent vert et bordeaux y sifflant. Il cherchait la fresque d’en face où un lapin jaune se reposait sur un fond rose pâle. Il ne manquait que quelques retouches que Benjamin ajustait depuis son repose-pied en plastique.

Scène suivante. Zoom.

Dans ses yeux caméras, il vit deux filles assises l’une à côté de l’autre, quelques pas plus loin, elles aussi des pinceaux en mains. Silka et Kennedy. La première, aux cheveux noirs mal coupés, avait des traits noirs sous ses yeux translucides. La deuxième avait de la couleur partout dans ses deux longues couettes, émettant des gloussements féminins.

“Hey, t’en penses quoi de mon King-Kong ?”, lança-t-elle au blond quand il passa et détailla l’énorme singe montrant ses muscles. Celui-ci leva son pouce en l’air, mais le sanglier à côté avait l’air bien plus féroce.

Il zigzagua entre le matériel s’étalant en longueur et se laissa tomber entre Mike et Nadeije, s’accrochant à leurs épaules. Ils peignaient un ciel nocturne, des oiseaux s’y échappant et un chien tout brun essayant de les attraper sur ses deux pattes.

“Cool.”

Mais pas autant que la jungle noire dont les feuilles tombaient sur un tigre étendu de tout son long. Capuche noire sur la tête, les cheveux blonds en sortant, le dos écrasé contre le banc, le garçon bête ronronnait en paix, fixé par une paire d’yeux oranges inspirant ceux d’un chat.

“Où sont… ?" ; "Chut.”

La tête à l’envers, Tiger avait déposé un doigt sur ses lèvres sèches. Il lança un regard sur la continuation du couloir, océan de blanc et de rouge. Au coin, il découvrit Leroy, minuscule et recroquevillé sur lui-même adossé au pied d’un fauteuil, la tête enfouie entre ses genoux où s’accrochait désespérément ses mains. Sur le gros coussin, Kimi était blottie, la moitié de son visage cachée par sa capuche noire à cornes, dans une position peu confortable.

“Ils dorment.”

***

Kimi ouvrit les yeux, les paupières lourdes. Son plafond blanc l’appelait.

Dix minutes de plus passèrent avant qu’elle se décide à sortir de son lit. Les grasses matinées du week-end étaient les meilleures. Elle tituba jusqu’à la fenêtre d’où un vent frais vint la rafraîchir et doucement caresser sa chevelure blonde en bataille. Elle passa ses deux mains de part et d’autre de son cou, l’étirant, puis inspirant profondément, en les glissant jusqu’au-dessus de sa poitrine.

C’était un doux samedi matin d’avril. Le premier du mois. Sur l’écran de son téléphone apparaissaient déjà des messages de poisson d’avril. Elle rit en secouant la tête. Le temps était parfait pour une promenade. Gros sweat et jeans seraient suffisant.

À son passage dans le couloir, la moquette grattait sous ses pieds. Elle s’arrêta pour regarder Leroy dormir dans sa chambre. Il laissait toujours la porte ouverte.

De manière inhabituelle, Dossan était assis au piano devant la baie vitrée, titillant les noires et blanches. Ce dernier remonta sa paire de lunettes sur son nez, à moitié retourné sur le siège en longueur et lui renvoya un air tendre quand elle le prévint de sa sortie.

Une règle, une seule : ne jamais se balader sans ses écouteurs. Les mains rassemblées dans la poche commune de son pull, Kimi marchait en rythme. Il n’y avait personne dans les rues, et de toute manière, qu’est-ce que ça pouvait faire ? Elle tournoya sur elle-même, balança sa petite tête de droite à gauche. Elle était à la maison. L’air était bon. “Hum-hum-hum”, elle chantonnait comme si le quartier lui appartenait.

Parfois, il était bon d’être seule, et parfois, ce genre moments ne rendaient les rencontres fortuites que plus agréables.

Tout en souriant, Kimi retira un de ses écouteurs et trottina jusqu’à sa copine Silka. Elle sauta sur le muret où elle était assise, les jambes croisées, mains aplaties de part et d’autre, son regard bleu transparent planté dans le vide. Toute vêtue de noire, la jeune fille esquissa à peine un sourire de ses lèvres charnues. Il était pourtant sincère.

  • Tu es seule ? lui demanda Kimi, de bonne humeur.
  • Ouais, souffla-t-elle de sa voix cassée.

Elle ne l’avait jamais récupérée des étranglements passés.

  • On se balade ? lui proposa-t-elle ensuite en lui donnant sa main.

Il n’y eut pas une hésitation dans son geste, se laissant porter par les doigts accrochés aux siens. Les copines marchèrent dans le calme, en rythme de la musique, cette fois en haut-parleur, pour ne pas changer.

Le petit caillou dans lequel Kimi jeta un coup de pied atterrit jusqu’au milieu de la cour grise. Instinctivement, elles se retrouvaient maintenant devant son ancien lycée. Le vieux bâtiment tenait toujours debout malgré les années, comme leur amitié.

Les filles s’assirent sur le tarmac, face à l’entrée, en indien, sans rien dire. Le silence régnait, bien qu’une petite musique hantait son esprit :

“Do”, Leroy était appuyé contre l’épaule de Silka.

“Ré”, Mike était venu s’asseoir à côté de Kimi.

“Mi”, Nadeije de l’autre côté, main dans la sienne.

“Fa”, Kennedy, accroupie, titubait, menaçant de se retrouver le nez contre le sol.

“Sol", Benjamin sautait d’un pied à l’autre.

“La”, Chen observait le ciel d’un air ennuyé.

“Si”, Tiger chipotait à l’intérieur de sa caméra d’un visage passible.

Do”, Ulys apparut derrière ses amis en ligne, une paire de lunette de soleil sur le nez.

  • Qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-il, ventilant sa veste en cuir, en abaissant ses verres pour jeter un œil à l’école.

Kimi n’aurait su répondre, mais elle souriait de tout son cœur.

  • Et dire…

Chacun de ses amis lui porta de l’attention.

  • Que j’avais promis de ne jamais quitter “I don’t Care”, enchaîna-t-elle, nostalgique. Mais… finalement, le fait que je sois partie ne change rien… dit-elle avec un peu de tristesse. J’aime toujours autant cet endroit.

Son éclat de rire arracha des sourires pour la plupart mi-cachés de ses anciens camarades. Ils ne pouvaient être que d’accord.

  • Une petite soirée, ça vous dit ? proposa Mike en replaçant sa casquette sur sa tête, jouant avec un caillou entre ses baskets.

La proposition acceptée par tout le monde, Kimi baissa un peu la tête, puis elle reprit du poil de la bête.

  • Les Richess viennent à la maison ce soir... Oh ! s’étonna-t-elle toute seule. Je ne pensais pas dire ça un jour dans ma vie, rit-elle ensuite de bon cœur. Mes amis, sourit-elle encore plus niaisement et d’un air plus que doux, seront là ce soir.
  • Eh bien, fit Ulys, conciliant, tout comme les autres, si vous avez envie de passer une tête...

“La porte est ouverte.”

***

Dans le hall d’entrée, Faye et Laure apparurent, pimpées, chacune une bouteille d’alcool en main et tirant la langue. Entre leurs longues jambes, Nice avait abaissé sa tête comme pour regarder sous leurs jupes, mais pour sourire à Kimi à la place. La petite avait un soft entre ses paumes. La blonde remonta son nez, les mains sur ses côtes, rigolant à pleins poumons et fit avancer ses copines jusqu’au salon. Du moins, c’était son but.

Selim apparut soudainement et entama une danse de la joie en caressant son ventre rembourré. Le groupe éclata de rire. Davantage quand Alex se mit à genou pour embrasser le gros bidon qui s’échappait du dessous de son pull :

  • J’ai perdu les eaux ! s’exclama-t-il en appuyant dessus quand les tissus tombèrent au sol.
  • Remédions à ça, déclara Loyd au pas de la porte, les jambes écartées et en retirant ses lunettes d’un geste vif. Préparez la salle d’accouchement.
  • Faut pas me le dire deux fois, fit Sky qui faisait son entrée en étalant son bras en longueur le long de la porte d’un air dragueur.

Lui et Alex choppèrent le petit Richess par les bras et les jambes sous les ordres de Loyd. Les filles roulaient des yeux et Kimi ferma la porte dans la précipitation en élargissant ses orbites tout en se prêtant au jeu.

Quand ils débarquèrent dans le salon pour plaquer Selim en train de hurler sur la large table, Dossan, un café en main cligna des yeux plusieurs fois depuis le bar qui traversait le salon.

  • Puis-je ? lui demanda Laure immédiatement en pointant le siège à côté de lui.
  • Bien évidemment.
  • Aaaah, bientôt grand-mère, souffla-t-elle en ouvrant sa bouteille d’alcool pour se verser un verre, puis en montrant toutes ses dents à Dossan. Santé ! s’exclama-t-elle en venant taper sa boisson contre sa tasse, ignorant son air ébahi.

En reconnaissant la provocation des Ibiss, le papa poule préféra monter à l’étage pour leur laisser l’intimité qu’ils méritaient. Sur son passage, il constata que Sky riait bien aux côtés de sa fille. Ses yeux verts le frappèrent ensuite. Il ferma les siens un temps et les laissa assister à cet heureux événement.

***

Le groupe d’amis passait un moment si agréable au-delà de toutes les lois, sans avoir à demander la permission à qui que ce soit, qu’ils ne virent pas les heures passer. Tous assis autour de la table où Selim avait précédemment donné naissance, ils se poilaient à ne plus pouvoir respirer.

Trois mois s’étaient écoulés depuis le voyage au ski. Trois mois de douceur en suivant la vague du nouveau couple, mais jamais de calme, grâce à leurs côtés tumultueux. Ils ne s’ennuyaient jamais, une péripétie venant toujours toquer à la porte en temps voulu.

La tête dans les étoiles, à côté de Sky qui sentait bon dans sa chemise à carreaux rouges, Kimi l’éblouissait de ses sourires à ne jamais en finir.

Elle leva un petit sourcil en voyant son téléphone s’illuminer et tapa son code avec ses lèvres en cul de poule, éméchée.

  • C’est qui ? se pencha le beau brun sur l’écran.
  • Ah ! C’est Nadeije ! Je vous ai dit qu’ils faisaient une fête, si vous voulez, on peut les rejoindre… Elle a essayé de m’appeler…

Pas contre l’idée, le groupe la regarda porter son téléphone à son oreille quand ils firent tous interpellé par l’agitation dans le hall. Il y avait du bruit comme si un ours s’échappait d’une forêt. La porte du salon s’ouvrit en grand, craquant contre le mur derrière.

À l’autre bout du téléphone, Nadeije répondit. Selim se redressa en entendant la voix criarde et le cœur de Laure devint tambour en voyant les pupilles de sa meilleure amie devenir toutes petites.

Elle pleurait : “Kimi… ! L’école…”, de gros sanglots l’étranglant. La dite, se retourna tout doucement, et vit Leroy, la respiration lourde, en sueur. Son téléphone glissa de sa paume quand elle se releva en se soutenant à la table. La grimace de son frère se transféra sur le sien. À sa hauteur, elle n’arriva à sortir aucun son, cherchant dans son expression une once de poisson d’avril.

  • Kimi, que se passe-t-il ? l’appela Nice qui ne craquait pas sous le stress.

La main sur la porte du salon, elle y poussa ses doigts pour partir en flèche. Leroy déboula derrière elle tandis que les Richess sautèrent tous de leurs chaises, paniqués.

Dans les ruelles, le noir de la nuit tapant sur sa tête, les cheveux de Kimi s’envolaient derrière elle alors qu’il n’y avait pas une once de vent. L’air était pourtant si bon le matin même. À mesure qu’elle tirait sur ses jambes, il devenait irrespirable.

Leroy n’arrivait pas à la suivre, rejoint par de nombreux pas de ses amis abandonnés. Elle ne réfléchissait plus à rien. Sa tête était vide, mais de plus en plus chaude.

Proche de l’école, elle s’arrêta en trouvant le ciel plus sombre que jamais. Son cœur tomba de sa poitrine et ses jambes devinrent molles. Quand bien même, suivie, elle traîna les pieds jusqu’à l’entrée. Un petit caillou se propulsa de sa chaussure jusqu’au milieu de la cour. Au milieu, devant les flammes dansantes qui prenaient le Lycée Gordon, Nadeije ne bougeait plus, son téléphone serré entre ses mains portées sur son cœur.

  • Non…

Kimi porta la sienne sur sa poitrine qu’elle serra, envahie par des trainées de larmes et aucun son ne sortant de sa gorge. Ses sept amis eurent un recul en voyant le feu gronder, Laure lâchant une exclamation d’horreur.

Devant eux, Leroy était devenu un pilier rigide. Les poings serrés, le menton renfoncé, il sortit de sa torpeur quand Dossan apparut sous ses yeux. Il chercha immédiatement son visage, posant ses mains fraîches sur ses joues. Il savait.

  • Regarde-moi, Leroy… Regarde…

Mais sous ses cils perlés de larmes et ses lèvres tremblantes, il ne faisait que fixer Kimi.

Dossan fut désemparé. Il savait à quel point cet endroit était important pour elle.

Comme un zombie, perdant son souffla, Kimi rejoint Nadeije et attrapa son épaule entre ses doigts. Celle-ci tremblait de tout ses membres, rejoint par Mike et expressément par Ulys qui vint tout de suite attraper Kimi par la taille.

  • Qu’est-ce qu’il… était prêt à s’énerver Sky.

Le cri de douleur qu’elle poussa lui glaça le sang. A lui et au groupe qui ne savait pas comment réagir. Le grand blond rattrapait ses bras et ses mains qui se tendaient vers l’école. En vain, elle cherchait à s’accrocher désespérément à un morceau, les larmes coulant de ses joues jusque dans son cou.

Kennedy au loin faillit tomber sous le choc et tourna la tête pour voir Silka planté devant l’école, pleurant en silence. Le tigre de la bande faisait la même, la caméra au niveau de l’œil. Brisés.

Ils étaient tous aussi brisés que les morceaux de toit qui tombaient. Retenu dans les bras de Dossan, Leroy pleurant dans de gros hoquets. Laure, Faye et Nice avaient les larmes aux yeux. Les garçons montraient aussi beaucoup de compassion pour ses ados meurtris devant l’école qui se consumait.

Seul Sky restait dur. Il ne comprenait pas tout.

Pourquoi est-ce qu’ils pleurent… ?”, face à l’image de Kimi qui hurlait et se débattait avec force des amis qui l’entouraient tous, il n’osa pas réellement poste cette question.

  • Non… !

Ce fut tout ce qu’elle arriva à sortir, retenue. Un garçon de chaque côté, elle finit par se laisser aller entre leurs mains, sa tête tombant en avant. Ils la retinrent tandis que ses genoux atteignaient le sol.

“Pas ça…”.

La peine qui la traversait la brûlait autant que les murs du lycée cédaient et les pleurs étouffés de ses amis lui firent pousser de longues plaintes. Ses doigts agrippés au tarmac chaud, ils saignaient, mais pas autant que les giclées dans sa tête. Tout s’effondrait, sous ses yeux..

Impuissante, elle déposa sa tête contre le sol où elle cracha des pleurs pitoyables. Leur maison s’effondrait. Le seul foyer qui les avait, pendant toutes ces années, protégés. Leur foyer.

***

“... l’artificier, débutant ou professionnel, ne souhaitera qu’illuminer vos yeux, alors que le pyromane décidera d’enflammer vos baraques.”

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