Chapitre 42 : Sous tension.

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De retour à Saint-Clair, les étudiants grelottaient assis sur leurs chaises de bureau en attendant que la magie des radiateurs opère. Faye avait refusé de retirer sa veste tant qu’elle n’aurait pas plus chaud. À côté, Nice prenait sur elle en se tenant les bras. Depuis sa table, en compagnie d’Alex qui somnolait encore, comme chaque début de journée, Selim aurait bien voulu la réchauffer.

De ce fait, les filles n’arrivaient pas à se concentrer sur les premiers mots de leur professeur de chimie, qui de surcroît donnait peu de vie à son cours.

Collée à l’épaule de sa copine, Faye remarqua que sa voisine semblait préoccupée. Nice qui était toujours très soigneuse de ses affaires, griffonnait sur le bas de page d’une de ses feuilles de cours. Lorsque la rousse l’interpella, elle ne réagit même pas, plongée dans ses pensées.

***

  • Comment les as-tu connus ? lui avait demandé Nice une fois seule avec son père, intéressée par son passé avec les parents de Kimi.

Ce dernier avait eu une appréhension à répondre. Il prit pourtant une inspiration en appuyant ses paumes au meuble derrière lui pour lui expliquer. Michael avait récupéré son doux visage pour un instant.

  • Alicia, tout comme Dossan, sont arrivés à Saint-Clair lors de notre troisième année. Louis celle d’après, en quatrième. Je n’étais pas dans leur classe, mais… Hum, réfléchit-il, nous avions cours de sport ensemble, enfin les garçons.
  • Nous ? s’étonna-t-elle.
  • C’était une année spéciale, parce que… Pour les cours groupés, comme la gym, tous les Richess faisaient partie de la même classe. Les garçons ensemble et les filles aussi, du coup. Dossan… s’entendait bien avec Chuck Ibiss, ils étaient copains, ce qui fait que j’ai pu côtoyer ce dernier dans de bons termes.
  • Je ne savais pas… lâcha-t-elle, un doigt sur ses lèvres, car ses méninges chauffaient à toute allure.
  • Comment aurais-tu savoir en même temps ?

Les joues rougies de Nice l’interpellèrent.

  • Euh, tu te souviens que l’année passée pour les fêtes, j’étais allée chez une copine…
  • Et elle s’appelait Kimi, se souvint-il.
  • Oui, j’ai donc… pu parler à son père, enfin à Dossan, et il ne m’a rien dit de tout ça…
  • Je crois qu’il y a beaucoup de choses qu’il n’a pas dit, répondit-il d’un ton de reproche qu’il se força à contenir. Mais c’est normal, du temps a passé et nous ne sommes pas restés en contact. Cela dit, c’est étonnant qu’il ne l’ait pas au moins évoqué, ajouta-t-il, baissant légèrement la tête.
  • Est-ce que… ça te rend triste ? devina Nice qui cherchait à comprendre son père de plus en plus.

Il marqua un temps de réflexion.

  • Pas vraiment, c’est simplement dur de se rendre compte que le temps efface certaines choses, et notamment, l’amitié, répondit-il durement. Alicia et Louis ont leur vécu. En apprenant ce qu’il s’était passé, je me suis demandé ce que deviendrait leur fille. Qu’elle soit avec Dossan n’est pas très étonnant, car ils étaient tous les trois très proches, mais qu’il ne l’ai jamais dit… J’imagine que c’est à cause de la distance, dit-il, alors qu’il pensait tout autre chose, pour ne pas trop en dévoiler. Vu que je les appréciais, j’aurais aimé savoir, voilà tout. Et qu’il ne te parle pas de moi, alors que nous avons passé du temps ensemble…
  • C’est comme si… tu n’avais jamais existé ? finit-elle sa phrase à sa place d’une voix délicate.

Une grimace s’empara du visage de Michael qui n’arrivait pas à cacher son désarroi. Nice le plaignait de tout son cœur, mais dans sa tête, des liens commençaient à se former. De comment il avait parlé d’Eglantine au moment du gala, de sa visite pour la mère de Faye, et sa manière d’assurer qu’Elliot Fast n’était pas quelqu’un de méchant. Sans compter la façon dont il avait tenu tête à sa mère lorsqu’elle était devenue médisante à leurs égards. De ce qu’elle venait d’apprendre sur son amitié avec les parents biologiques de Kimi, mais surtout, du silence de Dossan. Lui, qui lui avait apparu si honnête et gentil, elle trouva étrange qu’il n’ait même pas pris la peine de lui confier : “Au fait, du temps de mon adolescence, j’ai côtoyé ton père”. Qu’est-ce qui l’en aurait empêché ? Serait-ce un oubli spontané du fait de se retrouver avec tous les Richess de cette génération dans son salon, ou bien, un oubli volontaire ? En tant que père, n’aurait-il pas apprécié raconter à sa fille chérie qu’il avait été copain avec le père d’une de ses amies proches ?

Tristement, Nice partagea un regard navré avec Michael, pensant qu’il ne fallait jamais se fier aux personnes que l’on connaissait à peine.

***

Dans l’autre classe des Richess, Loyd profita de la fin du cours pour faire une annonce. Nice devait être occupée à faire la même, comme tous les délégués de classe à ce moment même.

Debout devant ses camarades, le tableau noir dans son dos, il tenait en main un bout de papier avec des notes dont il n’avait en réalité plus besoin. Il le mit de côté, l’ayant mémorisé. Le silence se créa petit à petit quand Kimi lança de longs “chut” face aux élèves trop bruyants. Loyd la remercia d’un clin d’œil qui rendit autant Sky anxieux que Laure jalouse. Aucun des deux ne montra ses sentiments, prêts à l’écouter attentivement.

  • Je commence, déclara Loyd en gagnant davantage l’attention de la classe. Alors, comme vous le savez, les examens approchent à grands pas. L’année dernière, pour des raisons financières, l’école n’a pu offrir, comme elle le faisait habituellement, des vacances bien méritées après cette période difficile.

Buvant ses mots, les étudiants se mirent à trépigner d’impatience sur leur siège.

  • Donc, oui, comme vous vous en doutez, dit-il en brandissant sa feuille vers eux, d’un regard plus que sérieux et excité, cette année, grâce à tous les efforts fournis par notre conseil de délégué, nous avons pu prévoir un voyage…

À peine eut-il le temps de finir sa phrase qu’une exclamation générale se fit entendre jusque dans le couloir. Trop excité, Loyd sourit, à la fois flatté et satisfait, des applaudissements accordés par ses camarades.

  • Et où part-on ?! s’exclama Kimi, de bonne humeur.

En lui accordant un regard, Loyd croisa ensuite celui de Laure. Elle appréciait de le voir ainsi, calme et sans prétention. Tout deux évitèrent les yeux de l’autre, gênés. Cette simple interaction donna au président de quoi planer, cachant difficilement son sourire qui s’agrandissait. Laure contrôla le sien, gardant une facette hostile, mais le petit coup de coude de Kimi lui arracha tout de même un rictus.

  • N’essaie pas de me charrier, j’ai de quoi aussi, lui murmura-t-elle à l’oreille en lançant un mouvement de tête vers Sky, ce qui la fit immédiatement rougir.

Ce dernier avait senti qu’on parlait de lui, des frissons parcourant son dos. Face aux deux filles le dévisageant, un sentiment de fierté le gagna. Il provoqua Kimi d’un petit coup de sourcil levé et d’une grimace.

  • Hum, je reprends, fis Loyd en se raclant la gorge. Où partons-nous ? J’espère que certains ne seront pas déçus, mais nous prévoyons un séjour de quatre jours dans une station de ski, annonça-t-il au grand contentement de la classe. Nous devons encore regarder les hôtels, voir les possibilités, et pour les dates également, mais le voyage se déroulera forcément après les examens. Quoi qu’il en soit, nous ferons de notre mieux pour vous offrir quatre jours de qualité !

Encore une fois, tout le monde l’applaudit, heureux de la bonne nouvelle. Les bras derrière le dos, Loyd resta debout, le temps que chacun pose ses questions ou donne son avis. Très attentivement, il écoutait chacun avec bienveillance et respect.

Dans son coin, Laure gardait les yeux rivés sur ses feuilles de cours, contente qu’il soit redevenu doux, sans perdre de sa prestance.

***

Après les trois premières heures de la journée, tandis que les élèves de la classe D sortaient pour la récréation, Laure et Kimi furent coupées dans leur conversation par Loyd qui s’interposa.

  • Ouiii, c’est pourquoi ? le taquina la blonde en lui mettant coup dans sa basket de son pied.
  • Hum, rit-il un court instant, Laure…

Cette dernière attendit qu’il poursuive, mi-attentive, mi sur la réserve.

  • Tu peux m’accorder un peu de ton temps ? demanda-t-il en la regardant d’une paire d’yeux brillants et tout aussi prudents.

Kimi pinça les lèvres, ses pommettes se relevant, enflammée par la situation. Elle le fut moins quand Laure accepta silencieusement et qu’elle se retrouva seul avec Sky le temps de rejoindre les autres dans la cour.

Un peu gêné de ce mutisme, le beau brun, mains dans les poches, fit mine de s’emmêler les pieds pour taper son épaule contre la sienne.

  • Hey… bascula-t-elle, en se rattrapant au mur. Tu fais ch…

L’insulte qu’elle s’apprêtait à lui envoyer resta coincée dans sa gorge, fébrile de ses yeux verts coquins. Elle lui rendit la pareille, le poussant à son tour, déterminée à le faire chanceler. Le petit semblant de bagarre finit par le bras de Sky autour de l’épaule de Kimi qui lui écrasa le pied instantanément pour cacher sa gêne.

  • Aïe, enfoirée ! s’écria-t-il en lui poussant doucement l’épaule, s’approchant à grands pas, alors qu’elle reculait, sautillant d’une converse à l’autre.
  • Fais gaffe, la dernière fois qu’on s’est retrouvés seuls dans ce couloir, je t’ai mis à terre !
  • Bouh, j’ai peur ! s’exclama-t-il en mimant des griffes avec ses deux mains. Je te mets à terre quand je veux, s’approcha-t-il dangereusement, pour passer un doigt sous son menton, pourléchant ses lèvres d’un regard dragueur.
  • Ah ! Comme si !
  • Tu veux t’y tenter ? continua-t-il de son air charmeur.
  • Qu’est-ce que t’es con quand même, souffla-t-elle entre ses dents. Viens me chercher, fit-elle, accompagné d’un signe de main.

Débutant une course, Sky se mordit les lèvres, déboulant dans le couloir à toute vitesse. Pour pouvoir la rattraper, il dut pousser de toutes ses forces sur ses jambes. Elle était bien trop rapide. Sans même trop s’en rendre compte, Kimi ralentit, le laissant se saisir de son poignet. Les mains sur ses avants-bras, il la fit tournoyer, chacun exerçant une force semblable. Elle se retrouva acculée contre le mur, Sky amenant son visage près du sien.

  • Bah alors ? On est coincée ? la taquina-t-il en attrapant ses deux mains alors qu'elle se débattait. Tu n’étais pas censée me faire la misère cette année ? Pas très concluant, hein ? À la place, tu me fais du charme…

Il recula lorsque lui fit les yeux doux, prenant une moue adorable. Ce fut son erreur, avant de recevoir un coup de genou dans l'entrejambe. Le temps qu'il se plie en deux pour tâter les dégâts, Kimi réussit à se sauver, l'envoyer chier avec un grand sourire.

  • Sale garce, marmonna Sky qui se laissa tomber au sol, assis, les deux bras coincés entre ses jambes.

Et pendant que Kimi arrivait près de Faye, les joues en feux, cette dernière remarqua une certaine animosité dans ses yeux pétillants.

  • La drogue, c’est mal, fit-elle en se moquant d'elle-même, l’index levé.
  • Je te le fais pas dire, rigola-t-elle nerveusement.

L’apparition de Sky, boitant d’une mine renfrognée, eut bon de faire rire la galerie, mais aussi de leur faire remarquer la complicité qui renaissait entre leurs deux amis.

***

Durant ce temps, dans une ambiance un peu plus pesante, Loyd guida Laure jusqu’à un endroit tranquille. Il était bien plus nerveux que lorsqu’il avait présenté ses excuses, successivement à Sky, Selim, puis à Nice.

La conversation qu’il eut avec cette dernière lui avait donné de l’énergie pour affronter celle dont il avait le plus peur, mais surtout celle dont il avait le plus besoin de son pardon.

Laure, sublime, dans une robe, malgré l’hiver s’installant, le regardait par coups d’œils, attendant qu’il prenne les devants. Au fond, le voir angoissé lui plaisait. Elle savait qu’elle lui faisait de l’effet, mais Loyd avait appris de ses erreurs et il ne comptait pas la laisser prendre le dessus. Elle cherchait un homme et c’est ce qu’il souhaitait devenir.

  • Il y a plusieurs choses que je voudrais te dire, débuta-t-il en se tenant droit dans la tenue assez formelle qu’il avait choisie pour ce jour.

Depuis qu’il était revenu d’Égypte, le petit Loyd, frêle, aux yeux bleus mignons et aux cheveux d’ange, était devenu plus masculin. Laure laissa ses yeux vagabonder sur le col de sa chemise, légèrement trop large pour son cou. “Depuis quand ?”, se demanda-t-elle avec force dans son esprit.

Depuis quand lui faisait-il autant d’effet, lui aussi ? Des bribes du gala de sa mère, tout deux serrés dans la limousine, lui revinrent à l’esprit. Elle ne le montra pas, mais elle, qui pouvait parfois paraître froide, avait un gros coup de chaud. Elle croisa les bras pour l’écouter.

  • Vas-y, dis-moi, répondit-elle du petit air supérieur qu’elle prenait pour se protéger le cœur.
  • C’est à propos du voyage au ski… Est-ce que ça te dirait de le préparer avec moi ? lui proposa-t-il, sûr de lui.
  • Le voyage ? s’étonna Laure. N’est-ce pas quelque chose que tu es censée faire avec la sous-présidente ? Avec Nice ?
  • Exact, mais… C’est la période où elle va commencer à beaucoup étudier, j’en ai discuté avec elle et ça ne la dérange pas que tu m’accompagnes dans les recherches.
  • Ah, je vois. Tu as déjà tout prévu, en fait, fit-elle en dégageant sa crinière d’un geste d’un ton piquant. Tu ne serais pas en train d’essayer de m’acheter pour que je te pardonne tout ce que tu m’as fait ? Tu me prends la place que je convoitais et puis tu me la rends en partie, pour que ça passe mieux ?

Loyd fit non de la tête, très calme en comparaison de son adversaire. Il s’approcha un peu plus, plongeant ses yeux dans les siens.

  • Je te le demande parce que je veux passer du temps avec toi. Ce n’est qu’un prétexte pour… être seul à seul, dit-il d’une voix un peu plus chaude.
  • Et… pourquoi voudrais-tu te retrouver seul avec une fille comme moi ? demanda-t-elle, un peu mauvaise, détournant son visage.
  • Je veux aussi me faire pardonner. Je préfère le faire en te montrant des actes plutôt que des paroles, bien que… Pour tout ce que je t’ai fait… Je n’ai pas les mots. Mais je m’excuse quand même. Désolé, Laure. Regarde-moi, s’il te plaît.

Un peu fâchée, elle s’exécuta, loupant un battement en le trouvant sincère.

  • Je veux bien, mais… s’arrêta-t-elle en le voyant s’égayer légèrement. Ne penses-pas qu’il suffira de choisir un hôtel ensemble pour que je te pardonne. Tu m’as fait du mal et même si je t’en ai fait aussi, sans le vouloir, je…
  • Tu n’as pas à t’excuser pour ça, la coupa-t-il en déposant le bout de ses doigts contre le mur pour l’encadrer.

Ils étaient très proches. Laure jouait de son orgueil, mais au fond d’elle, elle voulait lui sourire.

  • Je veux que nous reformions notre équipe…
  • Tu es le seul à l’avoir cassée…
  • Raison de plus, dit-il en abaissant ses yeux sur ses cils maquillés, puis en glissant un doigt dans sa main qui se referma machinalement dessus.
  • Tu pousses ta chance, Loyd.
  • Tu m’as dit de continuer à t’aimer. Je ne compte pas m’arrêter là, répondit-il, brûlant.
  • … Il faut le mériter, dit-elle en déposant une main sur son épaule pour l’empêcher d’aller plus loin.
  • Je le sais.
  • Donc, tu ne m’embrasseras pas aujourd’hui… conclut-elle en laissant sa tête tomber un peu en arrière.
  • Non, pas aujourd’hui, déclara-t-il dans une expression douloureuse, parce qu’il se retenait de ne pas le faire.

Laure rigola enfin, laissant s’échapper un petit gloussement.

  • Tu es un petit peu maso, toi quand même, lui répondit-elle en le regardant dans les yeux, de cet air espiègle qu’il le rendait complétement fou.
  • Disons, commença-t-il en collant son front au sien pour ensuite prendre du recul, joueur, que je sais ce que je dois faire et où se situe ma place. Alors si ça te dit, commençons par préparer ce voyage ensemble, d’accord ?
  • Hum, pouffa-t-elle, très bien. Je t’accorde au moins ça, enchaîna-t-elle en tapant sur son torse de son index avant de se lancer dans une marche, fière et pimpante d’avoir été courtisée.

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