Chapitre 31 : Numéro trois.

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D'un pas lourd, piétinant sur ses grosses baskets, Selim traversait les couloirs de l'internat, d'une expression fermée et décidée. Les quelques survivants de la soirée le virent passé en flèche de bon matin, les poings serrés.

"Bam ! Bam ! Bam !"

La porte qui s'ouvrit en grand fit apparaître Kyle, en pyjama rayé, les cheveux en pétard. Il eut à peine le temps de frotter ses yeux fatigués que Selim s'invita dans sa chambre.

  • Vas-y, fais comme chez toi, lâcha-t-il dans un bâillement.
  • Ah, Steve, tu es là aussi. Parfait, toi, je te fais pas assez confiance, pointa-t-il Kyle du doigt à qui il décrocha un sourire.

Étendu comme à son habitude sur un petit matelas au pied du lit du blondinet, il se releva durement, vêtu uniquement d'un large boxer.

  • J'ai besoin de votre aide, suivez-moi, déclara-t-il alors que les deux garçons se regardèrent encore à moitié endormis.
  • Et on peut savoir où on va ? lâcha Kyle, agréablement surpris de le voir aussi remonté.
  • J’ai le temps de m’habiller ? demanda ensuite Steve qui basculait d’un pied à l’autre, dans les vapes.
  • Pas le temps, non. C’est pas votre truc les plans farfelus de base ? Alors go, ah… Et je prends ça aussi, annonça-t-il la couleur en attrapant la paire de menottes de Kyle du déguisement de la veille.

Soudainement surexcités à l’idée de faire partie de cette quête, le duo de l’enfer le suivi sans rechigner, l’un dans ses vêtements de nuit, l’autre à moitié à poil.

Selim grondait à contrario des deux malades qui jubilaient derrière son dos, se remémorant sans cesse le visage de Nice au moment où elle lui avait annoncé que Loyd l’avait embrassée. Il se nourrissait de cette rage, prêt à tout pour prendre sa vengeance quant à cet acte qui l’avait fait pleurer une heure plus tôt.

***

Debout dans la chambre, Selim n’écoutait plus les explications de Nice qui osait à peine se raccrocher au bras de son amoureux.

  • Je sais que tu m’avais dit de ne pas le suivre, mais je ne regrette pas parce qu’il avait besoin que quelqu’un soit près de lui à ce moment-là. Je regrette, par contre… qu’il… Je reconnais que tu avais raison.

Se plantant dans un coin, il garda la tête baissée et gonfla ses joues, tandis qu’il y essuya une grosse larme. À le voir souffrir, Nice n’eut plus envie de se justifier. Selim n’arrivait pas à se contenir, les gouttes tombant en silence une à une pour s’écraser contre le sol. Il se sentit extrêmement seul jusqu’à ce que son adorable petite copine craque à son tour. Ne sachant comment le consoler, un gros hoquet sortit de sa gorge, arrachant le même à Selim. Tout en pointant le long de son bras et son index sur un Loyd imaginaire, il s’énerva :

  • Je sais que… que tu ne voulais pas l’embrasser, déglutit-il difficilement, mais je t’avais prévenue ! Et tu me fais ça à moi…
  • Ce n’est pas moi ! s’exclama-t-elle dans un déchirement. Je voulais juste le… le réconforter… Il n’était pas lui-même, tu ne peux pas lui en vouloir ! Et je ne voulais pas ça…
  • JE SAIS !!

Se laissant tomber sur le lit, il agrippa violemment sa tête entre ses mains et remonta ses jambes vers son nombril pour ensuite taper ses pieds contre le sol. Il n’avait jamais été aussi triste, déçu, frustré, mais aussi jaloux.

  • Lui, il va payer… déclara-t-il d’une voix plus sombre.

Alarmée, Nice vint tout de suite s’agenouiller devant lui pour confronter son visage au sien. Selim détourna les yeux, sensible à sa bouille rougie par les pleurs.

  • Tu ne peux pas te venger pour quelque chose qu’il ne voulait pas faire…
  • Tu parles ! Il attendait que ça… Je l’ai bien vu se rapprocher de toi, faut pas me prendre pour un con !
  • Mais non ! Ce n’est même pas moi qu’il…
  • Quoi ? lâcha Selim quand elle s’arrêta.
  • Je peux te promettre qu’il n’a pas fait ça parce qu’il a des sentiments pour moi ou que ce soit d’autre. Il était saoul, il venait de se bagarrer avec Laure… Kyle l’a poussé à bout.
  • Eh bien, qu’il embrasse Laure, mais pas toi ! Tu es MA copine ! Je peux pas croire que… Sous-prétexte qu’il allait mal, tu acceptes qu’il t’ait embrassée ? Et quoi, s’il avait voulu faire plus, tu aurais aussi dit : “Ah, mais il était saoul.”
  • Comment tu peux dire quelque chose d’aussi horrible, se plaignit-elle en prenant du recul.
  • Mais c’est ça qui me rend dingue, Nice ! D’accord, il va mal, d’accord, il avait bu, mais c’est pas une raison ! S’il a des problèmes qu’il les règle avec les concernés ! Moi, depuis qu’on est ensemble… Je te respecte, je prends mon temps, je… je fais en sorte que tu te sentes bien dans mes bras, de prendre soin de toi, parce que je sais que depuis cet accident tu… Et lui, il te fait pratiquement la même chose ?! À l’idée qu’il ait pu déposer ses mains sur toi, je…

Selim se mangeait presque le poing, enragé. Les pleurs reprirent de plus belle. Nice prit sur elle pour le rassurer, contentant ses larmes.

  • Il ne m’a pas touchée… et il ne m’a pas fait peur… J’avais de la peine pour lui, c’est tout. Et je n’accepte pas qu’il m’ait embrassée. Je regrette que ce soit arrivé et je… je ne sais pas quoi dire pour que… Je suis sincèrement désolée que ça se soit passé de cette manière. Je… Je t’aime tout simplement, je ne veux pas que tu me détestes ou que…
  • Si tu crois que je peux arrêter de t’aimer, lâcha-t-il très rapidement avant de l’embrasser à pleine bouche.

Tant Nice que lui revivaient grâce à ce baiser passionné.

  • Tu es à moi… À moi... fit-il en appuyant sur ses lèvres avant que Nice lui saute dans les bras. Je le déteste pour t’avoir volé un baiser…
  • Je t’en prie, ne lui en veux pas trop, le supplia-t-elle presque, d’un regard brillant et amoureux. C’est ton ami et ce bisou ne voulait rien dire,autant pour moi que pour lui.
  • Il faut que je réfléchisse… répondit-il après un temps.

***

Tout bien réfléchi, il méritait d’avoir la monnaie de sa pièce. Alors que Steve déstabilisait la dame à l’accueil de l’internat par sa nudité et que Kyle lui parlait en continu à propos de sa relation cachée avec un parent d’étudiant, Selim arriva à choper le double des clés de la chambre de Loyd.

Quelques minutes plus tard, il regarda le duo immobiliser sur le lit son soi-disant “ami”, toujours dans la tenue de la veille, devinant qu’il avait encore clairement de l’alcool dans le sang. Se réveillant complètement lorsqu’il fut parfaitement menotté et gentiment déposé au sol de manière à ce qu’il soit contre son lit, Loyd peina à ouvrir les yeux.

Selim fit sortir les deux fous d’un signe.

  • Et appelez-moi Alex, j’ai besoin de soutien mental.
  • Je te rapporte un fouet, le taquina Steve.

Roulant des yeux, il observa Loyd revenir tout doucement à ses esprits. Quand ce dernier sentit qu’il avait les mains attachées dans le dos, il se redressa tant bien que mal et paniqua.

  • … C’est quoi… Selim ?! Oh, Selim ! C’est quoi ça ?! s’énerva-t-il immédiatement.
  • Salut, mon pote, s’accroupit-il à sa hauteur et en appuyant son index sur son front.

Abasourdi, il eut l’impression d’être en plein cauchemar, mais le mal de tête qui le frappa le convainquit du contraire. Il se pencha légèrement en avant pour essayer de calmer la douleur.

  • Bah alors, mal en point ? le nargua Selim, une joue écrasée contre sa paume.
  • Détache-moi...
  • Alors là, sûrement pas !
  • Mais… putain, c’est quoi ton problème ?! s’écria-t-il, souffrant alors encore plus le martyre. Bordel, ma tête…
  • Oh, tu as mal à la tête ? répéta Selim d’un air innocent tout en se relevant, observant alors la pièce dans son ensemble. Hum, une petite poubelle en acier, c’est cool ça, l’ouvrit-il avec son pied pour laisser ensuite résonner le couvercle quand il retomba. Ah ouais, j’adore la résonance ! s’exclama-t-il en l’attrapant entre ses deux jambes, une fois rassis, pour jouer du tam-tam dessus.

De douleur, les yeux de Loyd tournèrent dans leur orbite, les veines de son cou commençant à ressortir tellement il devenait en colère. La respiration saccadée, la pression grimpant, il essaya de se calmer, malgré le mal de ventre qui vint s’ajouter.

  • Selim… Ça suffit, dis-moi pourquoi tu fais ça… Je t’ai fait quoi pour que tu m’attaches et… Dis-moi, perdit-il patience en le voyant s’amuser à taper comme un enfant sur la poubelle.
  • Huuuuum, c’est pas beau de boire ! Tu vas me jouer la carte du trou de mémoire, vraiment ? fit-il, niaisement.
  • … J’ai fait quelque chose… ? demanda-t-il après un temps.
  • Ennuyant ce son-là, mit-il de côté son premier jouet. Aaaaah, ça, j’aime bien ! Les contrôles à rendre pour lundi ! fit-il en attrapant les copies sur le bureau pour les déchirer ensuite devant son nez. Tu te rappelles pas avoir embrassé ma copine par hasard ?

Le regard noir qu’il lui lança entre les deux bouts déchirés l’empêcha de lui en vouloir de les avoir réduits en miettes. Il avait embrassé… Nice ? Vraiment ? Cherchant à se rappeler, il resta bouche bée lorsque des images lui revinrent à l’esprit.

  • Ah. Tu te rappelles. Parfait, tu vas pouvoir me dire pourquoi t’as fait ça, maintenant ? Je t’écoute, déclara-t-il, s’installant en tailleur pour le regarder droit dans les yeux.
  • Je… Je ne sais pas…

Le visage dont se pourvut Loyd apaisa quelque peu Selim même s’il lui en voulait à mourir. Il put y voir de la panique, liée aux réminiscences, et une vive culpabilité qui s’ajouta à une profonde tristesse. En plus de s’en vouloir, Loyd avait honte, n’arrivant plus à regarder son “pote” dans les yeux.

  • Je ne voulais pas…
  • Mais tu l’as fait, lui coupa-t-il l'herbe sous le pied.

Vulnérable, Loyd se trouvait en position de faiblesse, attaché, et en quelque sorte, au pied du mur. Il devint fiévreux à cause de sa gueule de bois, mais surtout par le trop grand stress engendré, une particularité dont il avait hérité de sa mère et qui le poussait continuellement à prévoir toutes les possibilités. Il n'avait évidemment pas imaginé celle-ci, dans laquelle il devrait se confronter à ses propres actes.

Ce que Sky lui avait fait subir en embrassant Laure et qui lui procurait tant de souffrance, il venait de l'infliger à Selim et de l'imposer à Nice. Quelle pourriture. Tandis que des larmes brûlantes coulaient sur ses joues pour se rejoindre au niveau de son menton, il enferma un sanglot dans ses lèvres serrées. Il se sentait plus bas que terre. Comme le pire monstre au monde, face à ses démons qu'il avait jusqu'ici tenté de réprimer. Il en voulait à Sky, mais il avait aussi peur de le perdre. Le sentiment de haine restait pourtant réel. Comment son meilleur ami avait-il pu le trahir de cette manière ? Mais il venait de faire bien pire.

Il en voulait à Laure, ou plutôt à lui-même, de l'avoir mis sur un piédestal, d'avoir cru qu'il ne se passerait jamais rien entre eux deux. D'avoir voulu tout lui céder alors qu'elle n'avait rien demandé, par amour, parce qu'il l'aimait trop au point de toujours vouloir la voir sourire. Ce baiser lui avait donné envie d'écraser sa joie, de la briser, parce qu'il se maudissait d'aimer quelqu'un qui pouvait lui faire autant de mal. Rien, dans son raisonnement, ne tenait la route. Il s'était juste perdu entre les sentiments d'amour, d'amitié et de haine.

Face à autant de désarroi, Selim, qui l'observait pleurer pitoyablement, leva un sourcil, puis passa une main dans sa nuque. Pourquoi tant de souffrances ? Il n'en avait aucune idée. Cependant, ce châtiment lui allait.

  • Mec… Pourquoi tu l'as embrassée ? demanda-t-il un peu mal à l’aise d’être en position dominante.
  • Je ne… Je pensais à… Laure, lâcha-t-il en rêvant de pouvoir s'essuyer les yeux et le nez, levant alors sa tête au plafond pour se retenir.
  • J'aimerais bien comprendre, soupira-t-il. L'année passée, tu nous as dis que tu l'aimais. Cette année, tu arrives comme un beau gosse, je me disais que t'étais vachement déterminé, genre trop la classe ! Et puis là, tu as commencé à faire des trucs de fou furieux, à défier Laure, lui prendre sa place de présidente, mais pas en la consultant, nan t'as juste tout pris…
  • Hum, acquiesça-t-il épris d'une couleur cinglante au niveau de sa poitrine.
  • Sérieux… Tu crois que ça me plaît de te voir chialer comme ça ? Tu crois que je suis insensible à ça ? C'est pas juste ! Je voulais te casser la gueule ! s’exclama-t-il, les yeux légèrement mouillés.
  • Eh bien frappe-moi ! J'en ai marre !! cria-t-il en se débattant de ses chaînes quand il le vit s'adoucir. C'est bon, fais-le !
  • Pourquoi je te frapperai… lâcha-t-il, peiné.
  • Parce que je suis un connard !!! Ouais, j’ai toujours voulu être président, mais elle aussi ! Et ça me faisait plaisir de la voir… Sauf que… “Sa” place, je l’ai pris parce que je ne savais pas comment attirer son attention !! Je voulais tellement…

Il s'étrangla dans son discours, avalant sa salive de travers.

  • Un mec comme moi… Un pauvre mec comme moi ! s'écria-t-il en tapant l'arrière de sa tête contre le pied de son lit. Pourquoi elle voudrait de moi, hein ? Gentil, attentionné, à son écoute, toujours à ses côtés pour qu'au final, elle ne voit que Sky ! Sky… Toujours Sky !! Le numéro un des Richess, le plus grand, le plus beau, le plus fort, le plus puissant !! Mais moi je ne suis que le numéro trois !!! Sauf qu'un putain de numéro trois, on le regarde pas. Laure ne regarde jamais en arrière, qu’est-ce qu’elle en aurait à foutre… de moi ? Je suis juste le bon copain, le mec qu’on prend pour un larbin, trop organisé, trop serviable !! À côté, je…

À nouveau, il toussa. Selim aplatit ses mains dans le vide pour tenter de le calmer, abasourdi. Il commençait à saisir l'ampleur de sa douleur.

  • Donc, si je comprends bien… Le problème vient de Sky ? J’ai pas l’impression qu’il ait mérité que…

Mordant sa lèvre à sang, Loyd eut la sensation de devenir fou, forçant sur les menottes au point d'abîmer ses poignets.

  • Parce qu'il l'a embrassée !! Parce qu'il … l'a…

Éclatant, les sanglots s'échappèrent de manière incontrôlée depuis sa gorge arrachée. Il avait l'impression qu'on lui enfonçait un poignard entre les deux poumons.

  • Il l'a embrassée… répéta-t-il alors que sa respiration se soulevait.
  • Sky et Laure ? essaya de comprendre le petit Selim qui ne le répéta pas une deuxième fois en sentant le corps de Loyd se crisper sous la main qu'il avait déposé sur son épaule. Mais ils ne sont pas ensemble aujourd'hui, pourquoi tu ne leur as pas demandé...
  • Parce que ! Je… ! Et si… La vérité, non, secoua-t-il la tête, désemparé. Je ne veux pas savoir.
  • Je vois, fit-il en tapotant cette fois son genou. Je vais chercher Sky.
  • Quoi ? lâcha-t-il, les yeux arrondis. Non ! Selim ! Hey, Selim !! s’écria-t-il en le voyant se boucher les oreilles en se dirigeant vers la porte.
  • Lalala, chantonna-t-il, je ne t’écoute pas.
  • Putain… S’il te plaît, pas comme ça, pas maintenant...

La main sur la poignée, Selim le regarda un instant de sa petite taille et se sentit soudainement très grand. Il n’aurait pu trouver meilleure vengeance. Avec l’esprit plus léger, il lui fit un grand sourire et lui lança un signe “peace” :

  • À tout à l’heuuuure !

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