Chapitre 12 : Outsider.

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Katerina avait insisté auprès de leur chauffeur habituel pour reconduire son fils le dimanche soir à sa place. Ce dernier prenait sa tâche à cœur, mais elle souhaitait à tout prix remplir ses responsabilités de mère.

Avec un père sans cesse en voyage, elle remarquait bien le manque d’affection que subissait Selim malgré lui. Et après un week-end mouvementé d’un départ, d’une dispute et de révélations, ça la prenait aux tripes de ne pas pouvoir passer plus de temps avec lui.

Sans compter que toute excuse devenait valable pour faire ronronner le moteur de son petit bijou. En tant que fille de propriétaires automobiles, elle avait hérité du goût des voitures de luxe et était montée à la tête de la firme de ses parents. Après sa passion pour la danse qu’elle n’avait pu poursuivre, il s’agissait de son nouveau domaine de prédilection et aussi de son péché mignon.

“Elle est le parfait combo entre la femme cool et la femme fatale”. Selim avait raison. Elle ne s’en rendait pas compte, mais ses penchants pour la mécanique et les belles bagnoles plaisaient à beaucoup d’hommes.

Tout comme son fils, Katerina avait la tête remplie de préoccupations, notamment par le travail, mais surtout au sujet de la bague qui entourait son annulaire. Elle repensait de manière incandescente à ce baiser partagé avec Elliot. Au plus profond d’elle-même, elle s’obligeait à chasser les papillons qui batifolaient dans son ventre en se remémorant la scène.

Quand elle rêvait éveillée de son amour de jeunesse, comment en vouloir à Selim qui vivait ses toutes premières expériences ? Le gamin assis à sa droite avait déjà bien grandi.

Alors qu’il se battait avec sa crinière qui prenait le vent, elle retrouva un peu le sourire de son mari dans sa gaieté du soir. Ils passaient un bon moment dans la décapotable :

  • Je décrète vouloir rentrer tous les dimanches avec cette voiture ! s’exclama Selim qui levait les yeux sur le ciel noir.
  • Je dois devenir ta chauffeuse personnelle ? Mélane serait triste de l’apprendre, plaisanta-t-elle.
  • Ouaip ! Je l’aime bien, mais il nous conduit déjà partout…

Le regard de Selim pétillait. Les moments en voiture avec sa mère étaient les meilleurs. Il l’adorait. Pour sa “mama”, il ferait n’importe quoi et en repensant à la trahison de son père son cœur se serrait. Il essayait tout de même de se mettre à sa place, en s’imaginant tromper Nice… Après réflexion, il comprenait qu’il ne pouvait pas la tromper, car il l’aimait de tout son cœur. Et si l’amour s’estompait ? Était-ce une raison pour trahir l'autre ? Il cherchait un moyen de pardonner à son paternel, mais en vain.

En arrivant devant l’internat, il s’étonna que sa mère retire sa ceinture de sécurité :

  • Je t’accompagne ? proposa-t-elle, un sourire en coin.

La valise en main, le bras de sa mère autour de son épaule, Selim s’appuya contre la sienne. Ils ressemblaient parfois à deux bons copains.

À l’accueil, la dame à laquelle les élèves remettaient leurs clés le vendredi s’impressionna de voir Katerina Hodaïbi en personne et en traversant les couloirs, la nostalgie vint chatouiller cette dernière. Elle se revoyait courir vers les chambres de ses amies et le cœur battant jusqu’à celle d’Elliot. Cette nostalgie était un peu malvenue. Elle la chassa en faisant un gros bisou à Selim.

Ce dernier lui rendit la pareille et s’enferma dans sa chambre après avoir pris soin de lui adresser des au revoirs chaleureux depuis l’autre bout du couloir. Il avait de la peine de penser qu’elle rentrait dans une maison vide, sans amour, et que son père l’avait abandonnée pour vagabonder.

Comme à son habitude, il fit rouler sa valise indéfaite dans un coin de la pièce d’un bon coup de pied, puis se laissa tomber comme une masse dans son lit. La moitié de son corps s’étendait en dehors de celui-ci quand il attrapa son téléphone entre ses mains hâlées. Face aux nombreuses notifications, il se redressa d’un bon et s’assit pour lire ses messages. À peine eut-il le temps de se poser des questions qu’il entendit toquer à sa porte. Sa mère aurait-elle oublié de lui dire quelque chose ou s’agissait-il de…

  • Faye ? s’étonna-t-il en tombant sur la rousse qui semblait quelque peu nerveuse. Je viens tout juste de voir tes messages, ajouta-t-il en montrant son téléphone.
  • Ah tant mieux ! Je te dis pas par contre, j’ai failli tomber sur ta mère ! Je me suis directement cachée… expliqua-t-elle tandis qu’il la faisait rentrer.
  • C’est vrai ? Après, c’est pas si grave, je lui ai dit qu’on était amis, expliqua-t-il en passant ses mains dans les poches de son large jeans.
  • Ah bon ?! Quand ça ? lui fit-elle face, très surprise.
  • Ah…

Selim se souvint qu’il n’avait pas été jusqu’à révéler cet élément au conseil qui avait eu lieu après le Gala d'Eglantine Akitorishi.

  • Euh… chercha-t-il ses mots en regardant partout dans la pièce. Tu te souviens quand je vous ai expliqué que ma mère avait pleuré en voyant… Ta mère ?

Il se sentait un peu mal à l’aise d’évoquer Alice. Depuis sa mort, Selim avait bien évidemment apporté du réconfort à sa meilleure copine, mais il n’avait jamais parlé directement de sa mère. À côté de ça, Faye n'abordait pas le sujet non plus. Derrière les sourires qui renaissaient petit à petit, l’énorme peine et le manque ne disparaissaient pas. Au fond, le mystère autour de leurs parents lui permettait de se centrer sur une seule et même pensée : “Pourquoi se sont-ils embrassés ?”. Le restant viendrait plus tard.

Elle fut prise d'une illumination. Katerina Hodaïbi avait dit être amie avec sa maman, mais était-ce vrai ? Ne s’agissait-il pas d’une quelconque excuse ? Tout se bousculait dans sa tête et la peur montait.

  • Et du coup ? Tu as dit que tu voulais me voir ? lui demanda Selim en laissant tomber son postérieur sur le matelas.
  • Oui… Je dois te parler d’un truc…

Elle craignait sa réaction. Après tout, comment raconter une telle scène à son ami ? Comment lui avouer qu’elle avait surpris son père et sa mère en train de s’embrasser ? Elle avait tant peur qu'il ne la croit pas ou qu'il se fâche, mais elle ne pouvait pas mentir à son meilleur pote.

***

L'aube se levait sur Genève, jetant ses tout premiers rayons de soleil sur la ville qui venaient se loger à travers les fenêtres de l'internat de Saint-Clair.

Kyle qui dormait pourtant toujours très peu, roupillait encore, en étoile de mer sur son lit qui faisait office de deuxième bureau. Ses documents ou plutôt ses informations s'étalaient tout autour de lui. Juste à côté de sa main demeurait une petite fiche sur laquelle il avait dessiné des animaux : un tigre, un chat et un chien. Une petite flèche pointait ce dernier avec un nom inscrit juste au-dessus. Il questionnait son identité d'un "Mike ?". Il y avait d'autres gribouillis sur le côté, seulement lisibles par la personne qui les avait dessinés.

Au pied du lit, un fin matelas avait pris place sur le sol. Steve s'étirait en ouvrant les yeux petit à petit. Habituellement, il était toujours le deuxième à se réveiller, mais la nuit avait été longue par les recherches. Comme tous les matins, il parcourut les réseaux sur son téléphone : "Toujours se tenir au courant".

Les premières nouvelles l'obligèrent à réveiller le blondinet. Montant à quatre pattes pour le rejoindre, il le secoua et écrasa presque l’appareil sur son visage. Dérangé par la luminosité, Kyle se frotta le visage et grogna en peinant à ouvrir ses yeux tout collés.

  • Tu fais chier le bridé ! J’espère que ça vaut la peine… marmonna-t-il en essuyant un filet de bave puis en attrapant le téléphone. Oh, sympa… sourit-il ensuite en découvrant la photo.
  • Qu'est-ce qu'on fait de ça alors ? demanda Steve en passant une main dans ses cheveux ébouriffés par l’oreiller.
  • Partage-le avec le compte anonyme sur les différents groupes Facebook de l’école et dans les conversations aussi… Après, le travail se fera tout seul. Sacré Alex quand même, je l’avais pas vu venir celle-là, souffla-t-il en levant ses yeux plein de sarcasmes au plafond, baillant, avant de redonner son bien à l’asiatique.

En bon partenaire, Steve s’exécuta et envoya ce qui s’apprêtait à faire parler la cour de Saint-Clair. Pour être tout à fait exact, le bouche-à-oreille et le partage de la photo en question étaient déjà enclenchées. Pour une fois, Kyle n’eut pas à fournir d’efforts. Il s’assura simplement que la machine tournait correctement. Les têtes s’apprêtaient à faire de même en découvrant Alex Stein, en train de poser, la chemise ouverte, en compagnie d’un mannequin aussi blond que lui : Ulys Dartan. Les deux garçons, très proches et séduisants, avaient été choisis en égérie pour la toute première campagne masculine de Marry Stein.

***

Absolument conscient que des affiches de lui seraient bientôt placardées dans le centre-ville aux alentours de Saint-Clair, Alex avait demandé à sa mère de ne pas le prévenir quand elles se dérouleraient sur les façades. Les panneaux annonçaient la sortie de la collection Stein et se déclinaient en une invitation pour assister à l’inauguration de la boutique principale. Un duo de posters était sorti pour l’occasion : l’une à l’effigie des adolescentes, avec deux superbes mannequins, aussi espiègles que le génie qui résidait derrière ses vêtements à la fois élégant et surprenant, et son parfait opposé où apparaissait son fils. Marry avait décidé de viser les jeunes en premier, d’où le choix de son emplacement pour un magasin de luxe. Il restait que, pour la qualité de ses produits, elle avait insisté pour que les prix restent abordables à un niveau mondain.

Pour Alex, il s’agissait de sa petite vengeance personnelle. Pour ses secrets, comme cette fameuse robe qu’il avait essayé de négocier lors de leur voyage en Russie ou encore ce qu’elle avait deviné de sa relation avec Faye Fast. Et puis, il était si beau, qu’il n’y avait pas plus parfait qu’un Stein pour représenter sa marque.

Le concerné arrivait seul à l’école puisque sa petite amie ne lui avait pas fait honneur. Il n’avait pas trop compris pourquoi elle avait décidé de passer la nuit seule, mais si tel était son choix… Il essaya de se persuader qu’un couple, c'était aussi ça. Alors un peu bougon, il était loin de se douter qu’il verrait sa figure accrochée sur l’affiche d’un arrêt de bus. Il sortit son téléphone et constata qu’il avait reçu une masse de messages de la part de Faye et des autres du groupe : l’enfer pouvait commencer.

En arrivant dans la cour, tous les regards le pointaient, entre rires et admiration. Il aurait pu mourir de honte, mais il garda son air imperturbable le temps de rejoindre ses amis. Ce fut seulement en voyant leur sourire qu’il ne put s’empêcher d’en esquisser un à son tour. Dans les yeux de ses potes, il vit taquineries, et dans ceux des filles, surprise. Personne ne s’y attendait et encore moins sa dulcinée à la crinière enflammée :

  • Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?! réclama-t-elle des explications en lui montrant la photo de l’affiche qui avait tourné sur tous les réseaux.

Il avait tant redouté sa réaction et prévu tellement d’explications pour ce moment, mais rien ne lui venait. La rousse ne se fit pas prier pour le charrier. Très amusée, elle se permit de chatouiller un peu son égo en détaillant toute l’image.

  • Et ce regard… Mon homme tu es trop sexy ! exagéra-t-elle en se pinçant les lèvres.
  • Toi… Je te jure… !
  • Oh ne t’énerve pas, vilain garçon, souffla-t-elle à son oreille. Je plaisante, tu es très beau et très séduisant, le rassura-t-elle ensuite en encadrant son visage de ses deux mains et venant frotter son nez au sien. Je suis juste surprise que tu nous aies caché ça !
  • Parce que c’est ridicule…
  • Tu plaisantes ! Alors là non, je ne peux pas accepter ! Tu es trop cool mon amour ! s’exclama-t-elle en venant lui faire des petits bisous partout qu’Alex acceptait avec plaisir derrière un air quelque peu boudeur.
  • Elle est intenable, souffla Laure, un peu dépitée avant d’accorder des tout petits applaudissements à son soi-disant rival.

Elle pensa en son for intérieur qu’elle en connaissait une autre de bouleversée tout en jetant des regards en coin à Kimi. Après tout, l’autre mannequin était son ex-petit-ami. Laure se forçait à garder l’information alors qu’elle l’avait au bout des lèvres, par peur de la mettre mal à l’aise. Son silence à ce propos la confortait dans ses pensées.

  • Quelle surprise tout de même, rit Loyd qui regardait la photo.
  • Nan, mais regarde-moi ce beau gosse ! s’exclama Selim, sautillant dans tous les sens.
  • Je tombe sous le charme, avoua Nice, les joues légèrement rougies.
  • QUOI ?!
  • Alors là, tu peux t’inquiéter petit machin, vint l’embêter Sky.

Ce dernier attrapa Alex par l’épaule pour lui montrer à sa manière qu’il était fier de lui. D’une poignée de main, ils marquèrent la reconnaissance l’un envers l’autre, pendant que Selim entrait dans une fausse crise de jalousie qui fit rire la galerie.

Toutes ces exclamations couvrirent presque l’animation qui se déchaîna ensuite dans la cour. Des cris et des semblants de couinements se firent entendre de part et d’autre de la surface grise en provenance de plusieurs filles. L’oreille tendue, les garçons associaient cette hystérie à un phénomène très particulier : l’arrivée d’un outsider.

En effet, quand ils se retournèrent, ils tombèrent sur le nouvel adversaire : grand, superbement bien vêtu, blond d’une coupe à la mode, avec les côtés ras et les cheveux relevés, il s’invita dans Saint-Clair avec un petit air gêné qui fit craquer les fans du mannequin.

La pièce tombait enfin du côté de Faye et Nice qui s’attrapèrent l’une l’autre tandis que Laure couvrit sa bouche du bout de ses doigts. Détaillant Ulys Dartan de haut en bas, de sa veste à la mode à ses grosses bottines noires, les yeux de Kimi s’écarquillèrent de plus en plus :

  • Mon Dieu… lâcha-t-elle dans un souffle en quittant doucement le groupe.

Les garçons ne comprirent pas tout de suite sa réaction, puis en voyant le mannequin déposer ses yeux sur leur chère blonde, le pressentiment naquit. Et quand le regard de ce dernier s’illumina, suivit d’un énorme sourire qu’il transmit immédiatement à Kimi depuis l’autre bout de la cour, ce fut l’étonnement qui grandit.

  • C’est pas vrai, répéta-t-elle plusieurs fois en trépignant sur place, puis en sautant à deux pieds joints tout en moulinant ses poings dans le vide. C’est pas vrai !!! cria-t-elle cette fois.

La course qui suivit fut observée au ralenti pour la plupart des étudiants, alors que la longue chevelure blonde filait à toute allure pour se lancer corps et âme dans les bras du fameux Ulys. Ce dernier la rattrapa et la soutint lorsqu’elle enroula ses jambes autour de sa taille et coinça sa tête entre ses coudes. Longuement, il la serra en tournant sur lui-même et en enfouissant son visage dans le creux de son cou. Les deux ex ou encore les vieux amis, souriaient à pleines dents, émus de se retrouver.

Ebahis, les Richess gardaient la bouche entrouverte, mais celui qui la ferma le plus rapidement pour serrer ses mâchoires posa une question existentielle :

  • C’est qui ce mec ? grogna Sky.

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