Chapitre 1

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Année 563

Elanne se réveilla en sursaut, elle avait encore fait un cauchemar. Ces horribles rêves se produisaient tout le temps le jour de son anniversaire et elle revoyait ce qui s’était passé quand elle avait trois ans. Elle en avait aujourd’hui douze. Cela faisait déjà neuf ans qu’elle avait été amenée à Shanima par Dracalane. Elle avait été recueillie par Erlun et Amerline, deux elfes de Shanima qui s’étaient portés volontaires pour l’éduquer. Elanne les considérait désormais comme ses parents car elle ne se souvenait que brièvement de ses parents biologiques.

La jeune elfe se redressa sur son lit puis se leva et s’habilla avec hâte. Elle sortit ensuite de sa chambre, une petite pièce de la maison de ceux qui l’avaient recueillie qui ressemblait un peu à un grenier avec sa fenêtre qui donnait directement sur le toit de la maison. Elanne longea ensuite le couloir et descendit l’escalier en bois qui menait au rez-de-chaussée. Elle découvrit que la cuisine et la salle à manger étaient décorées de fleurs de lys, sa fleur préférée. Elanne pensa qu’elles avaient été placées là spécialement pour son anniversaire et sourit à cette idée. Mais quelque chose clochait : elle était la seule personne présente ici, aucune trace de ses parents adoptifs.

Elle les appela :

  • Papa, Maman, je suis là !

Personne ne lui répondit. Elle s’avança vers la cuisine quand une personne lui sauta brusquement dessus, sans qu’elle parvienne à réaliser ce qu’il se passait. La jeune elfe découvrit ensuite qu’il s’agissait d’Amerline, sa mère adoptive.

Celle-ci lui lança d’ailleurs :

  • Bon anniversaire !
  • Merci.

Elanne regarda ensuite autour d’elle puis fronça les sourcils. Elle demanda :

  • Où est papa ?
  • Il n’a pas pu rester, expliqua Amerline, il a été envoyé sur la frontière avec vingt autres soldats car une sentinelle y a vu des Garocs.
  • Oh...je vois, fit Elanne en essayant de cacher sa déception.
  • Que veux-tu pour ton anniversaire ?

Elanne fixa sa mère adoptive puis lui répondit :

  • Je ne veux pas vraiment de cadeau, seulement un voyage.

Elle marqua une pause puis reprit :

  • J’aimerais me rendre à Shabila, ma forêt natale. Et j’allais oublier, je voulais te demander autre chose.
  • Je t’écoute.
  • Tu sais que je tire bien à l’arc et que je sais me servir d’une épée, papa me l’a appris car on ne sait jamais, avec les Garocs qui rôdent.

Quand Elanne parlait de « papa » elle voulait parler de son père adoptif. En effet, elle avait pris l’habitude d’appeler ses parents adoptifs comme s’ils faisaient vraiment partie de sa famille.

La jeune elfe continua :

  • Je voulais donc être engagée dans l’armée elfique et, qui plus est, avoir la chance de venger mes parents.

Amerline ne répondit pas tout de suite, son visage se crispa. Elle expliqua ensuite à Elanne avec douceur :

  • Elanne, tu ne peux être engagée dans l’armée elfique, tu sais bien que seuls les hommes peuvent se battre.
  • C’est absurde ! la coupa Elanne.

Amerline fit comme si elle n’avait rien entendu et continua :

  • Si tu veux aller à Shabila, nous irons sûrement tous ensemble, en famille, quand la paix sera revenue. Pour l’instant, il est trop dangereux de sortir à Shanima.
  • Mais tu ne comprends pas ! La paix ne reviendra peut-être jamais dans ce monde ! Si nous ne faisons rien et si nous nous terrons, les Garocs prendront le dessus sur nous. Nous ne sommes pas des lâches, nous sommes de valeureux elfes, l’as-tu oublié ?

Amerline resta bouche bée suite aux mots d’Elanne. Celle-ci ajouta d’ailleurs avec détermination :

  • Et je vais prouver que je peux me faire engager dans l’armée elfique.

Sur ses mots, Elanne courut précipitamment vers l’escalier en bois et gravit les marches quatre à quatre, suivie par sa mère adoptive, qui se demandait ce qu’elle allait faire. Arrivée à l’étage, la jeune elfe entra précipitamment dans sa chambre puis elle verrouilla la porte. Elle prit ensuite son arc et son carquois, dans lequel ses flèches étaient rangées. Cette arme lui avait été offerte le jour de ses dix ans par son père adoptif.

Après les avoir mis derrière son dos, elle ouvrit sa fenêtre et l’enjamba pour arriver sur le toit de sa maison. Elle courut sur les tuiles du toit puis sauta. Elle se rétablit de manière correcte puis dévala l’allée en courant. Quand Amerline parvint à sortir à son tour de la maison, il était déjà trop tard car Elanne avait déjà disparu dans la forêt.

Une fois qu’elle fut à bonne distance de son logis, Elanne arrêta de courir et prit une allure plus calme tout en regardant furtivement autour d’elle. Elle suivit le petit sentier qui serpentait dans la forêt, tel un serpent qui aurait passé de longues années sous les feuilles accueillantes des arbres de la forêt. Cette idée plut à Elanne mais elle se rembrunit en pensant :

  • Pour combien de temps cette forêt restera-t-elle accueillante ?

Au détour d’un carrefour du chemin, une sentinelle chargée de surveiller la forêt et ses alentours l’interpella :

  • Eh, toi, où vas-tu de bon matin, comme ça ?

Elanne cacha ses cheveux sous sa capuche et prit une voix grave pour répondre à la sentinelle :

  • Je veux me faire enrôler dans l’armée elfique et je cherche le Chef de notre Bataillon.

Pour donner une preuve au garde, elle lui montra son arc.

  • Tu te trompes de sentier, lui fit-il remarquer.
  • Ah, merci alors, le gratifia Elanne.

Elle emprunta donc l’autre sentier tout en pensant :

  • Oh la barbe, ça va être difficile de ne pas me faire remarquer.

Elle marcha encore pendant quelques minutes mais ne vit aucune trace du Chef du Bataillon. Elle grimpa donc dans un arbre pour attendre un quelconque soldat, en pensant que le Chef du Bataillon ne devait pas se trouver là.

Un bruit retentit soudain dans son dos. Elle se rendit compte qu’il s’agissait de la patrouille de son père adoptif qui s’arrêtait pour manger car elle le reconnut parmi eux. Elle constata avec horreur qu’ils étaient beaucoup moins nombreux que ce qu’Amerline lui avait décrit. Elle se dissimula derrière une branche particulièrement feuillue et écouta leur conversation. Ils parlaient avec une sentinelle qui, visiblement, n’était pas avec eux lors de l’expédition.

  • Ces saletés de Garocs nous ont tendu un piège sur les rives du fleuve Lorjah ! pesta un soldat.
  • Oui, et à cause d’eux j’ai perdu mon pauvre frère qui a succombé avec beaucoup d’autres soldats, se plaignit tristement un elfe assez maigre.
  • On pourrait croire qu’ils savaient exactement où nous allions attaquer, constata rageusement un autre soldat plus musclé.
  • C’est vrai, je suis sûr que c’est à cause des Gogems.

Elanne arrêta d’épier la conversation car elle savait qu’elle n’entendrait que des gémissements. Elle ne voulait pas descendre de son arbre pour demander à la patrouille de la conduire au Chef du Bataillon car elle savait que son père adoptif refuserait, il pensait comme sa mère adoptive. Elle vit le toit d’un bâtiment à travers les arbres et le reconnut aussitôt : il s’agissait du camp de combat elfique, là où les soldats se regroupaient pour planifier leurs attaques. Elle évalua la distance qui l'en séparait et remarqua qu’il devait être à deux kilomètres de son arbre.

Elle descendit donc du côté inverse de celui du Bataillon de son père et se mit en marche vers le camp de combat, espérant y trouver le Chef du Bataillon.

Quand elle arriva au camp, elle fut un peu déçue car elle s’attendait à un bâtiment plus grand. Elle entra néanmoins et découvrit des fresques s’étendant sur les murs. La première illustrait des elfes dans une forêt avec des maisons dans les arbres.

Shabila, pensa-t-elle.

La deuxième représentait les elfes sur des bateaux et des chevaux.

Ils partent pour Shanima devina-t-elle.

La suivante montrait des elfes construisant des maisons dans une forêt.

Shanima, raisonna-t-elle.

La dernière fresque montrait des elfes combattant des Garocs et des Gogems. À la vue de cette fresque, Elanne repensa à son but et commença à chercher le Chef du Bataillon mais personne n’était là.

Elle s’apprêta donc à repartir quand elle entendit une voix dans son dos.

  • C’est bon, tu es partie mais maintenant, tu vas à la maison pour les choses sérieuses !

C’était Amerline et ses sourcils étaient froncés. Elle arborait également un regard sévère qui toisait durement Elanne.

  • Nous faisons des efforts pour toi, la réprimanda-t-elle, alors fais-en aussi. On rentre tout de suite !
  • Oui, Maman, fit la jeune elfe en sachant qu’il était vain de résister.

Elles sortirent donc du camp et se dirigèrent vers le sentier qui menait jusque chez elles. Amerline marchait en tête et Elanne la suivait, tête basse.

Quand elles arrivèrent, Elanne vit son père allongé sur le canapé, sa jambe saignait. Elanne pensa qu’il avait dû rentrer à cheval pour être arrivé avant sa mère adoptive et elle.

Néanmoins, elle était inquiète.

  • Que s’est-il passé ? demanda-t-elle, pas très rassurée.
  • Oh, rien de grave...

Elanne savait que son père mentait, elle répliqua donc avec un ton sérieux :

  • Je veux la vérité.
  • Très bien. Nous avons été attaqués par les Garocs. Ma jambe va bien, aucun os n’a été touché, elle sera remise d’aplomb d’ici ce soir. C’est juste une égratignure.

Elanne était rassurée pour son père, mais inquiète au sujet des Garocs. Elle s’apprêta à répondre mais Amerline la coupa :

  • Elanne, j’aimerais qu’on ait une petite discussion. Explique ce que tu as fait à ton père !

Elanne baissa la tête et annonça à son père d’un ton désinvolte :

  • Je suis sortie sans l’autorisation de maman pour aller demander au Chef du Bataillon de me recruter dans l’armée elfique. Mais je n’en ai pas eu le temps.

Elle avait regardé Amerline quand elle avait prononcé la dernière phrase.

Erlun remarqua :

  • Il est vrai que tu as l’âge pour entrer dans l’armée elfique, Elanne.

En effet, les elfes n’avaient pas le même rythme de croissance que les hommes, et lorsqu’un elfe atteint ses douze ans, il est assez fort et mature pour rejoindre l’armée elfique.

Devant l’air sidéré d’Amerline, Erlun reprit :

  • Mais seuls les elfes mâles y entrent, comme te l’a certainement expliqué Amerline.
  • En effet, répliqua Elanne, et j’ai répondu que c’était une loi absurde.
  • Quoi qu’il en soit, intervint Amerline, nous avons trop peur qu’il t’arrive quelque chose si tu es engagée. C’est donc un « non » catégorique.

Erlun hocha la tête pour montrer son approbation. Sa jambe avait déjà arrêté de saigner.

Elanne murmura pour elle-même tout en faisant la moue :

  • Mais, en même temps, il faudra bien un jour que je défende mon peuple et que je fasse des choses pour que notre monde avance.

Amerline proposa ensuite :

  • Elanne, je voudrais que nous en parlions ensemble dans ta chambre, pour laisser à ton père le temps de se reposer.

Elanne hocha la tête en pensant que de toute façon, elle n’aurait pas pu refuser. Elles grimpèrent donc l’escalier.

Une fois arrivée en haut, Amerline ouvrit la porte de la chambre d’Elanne puis elle y rentra en trébuchant sur un crayon de papier. En effet, Elanne avait le don de laisser trainer ses affaires un peu partout, ce qui agaçait fortement ses parents adoptifs.

Amerline se redressa puis s’assit sur le lit d’Elanne en soupirant tandis que celle-ci prenait place sur sa chaise de bureau. Dehors, on pouvait voir les bois de Shanima.

Mais pour combien de temps encore, combien en reste-il avant que les Garocs détruisent tout ce qui est beau en ce monde ? songea-t-elle.

Elle était perdue dans ses pensées quand Amerline la ramena à la réalité en lui demandant :

  • Elanne, pourquoi tiens-tu tant à sortir de Shanima pour voyager jusqu’à Shanima, tu ne te sens pas bien ici ?
  • Si, mais je veux découvrir le monde, moi ! Pourquoi resterais-je coincée ici ? Moi aussi, je veux partir, vivre des aventures ! Ce n’est pas pareil que de les rêver ou de les lire, je veux les ressentir moi ! Faire quelque chose de palpitant pour une fois. Je parcourrais notre monde pour voir toute sa splendeur, et, surtout, j’irais à Shabila pour en apprendre plus sur mon passé. Voilà pourquoi je tiens tant à m’y rendre. Je chevaucherais sous la pluie, courrais dans les montagnes, nagerais dans les fleuves, même au bout de mes limites, je ne lâcherais jamais mon but : rendre ce monde plus pur, sans les perfides Gogems et les cruels Garocs ! Je trouverais des alliés qui m'aideraient, et, peut-être qu’un jour, eux et moi délivrerons les Lines, longtemps prisonnières de la Litine, surveillées par des Garocs, sous l’emprise des Gogems. Moi, oui, moi, je ferais tout ça !

Tout en parlant, Elanne s’était mise debout sur sa chaise. Amerline l’avait regardée, la laissant parler, des larmes d’émotions coulaient sur sa joue. Un jour, oui, Elanne serait prête à partir, et quand ce jour sera venu, elle, elle l’aidera.

Je suis si fière d’être sa mère adoptive songea-t-elle tout en regardant Elanne qui la défiait du regard.

Elle lui expliqua tendrement :

  • Bien sûr qu’un jour tu partiras, je sais bien qu’Erlun et moi ne pourrons pas te retenir indéfiniment, mais ce jour n’est pas encore venu, reste encore avec nous pendant quelques temps en attendant de grandir.

Après cette discussion, mère et fille restèrent sans voix pendant un long moment. Elles se regardaient en attendant que l’autre prenne la parole. Finalement, Elanne lâcha enfin :

  • OK.

Un seul mot, et pourtant si expressif. Le ton qu’elle avait employé exprimait tout : son désir de partir mais aussi son amour pour sa mère adoptive.

Elanne se jeta finalement dans les bras d’Amerline en pleurant. Celle-ci la rassura, en lui murmurant des paroles apaisantes.

Elles restèrent ainsi pendant un long moment, puis elles redescendirent au rez-de-chaussée, où elles trouvèrent Erlun, qui pouvait désormais se tenir debout.

Il ne voulait pas l’admettre, mais lui aussi savait qu’Elanne avait raison. Un jour, elle partirait.

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