Ne m'oublie pas

3 minutes de lecture

Ne m'oublie pas


    Il est là, Il me rattrape. Que puis-je faire ? Que dois-je faire ?  Je quitte la grande avenue dans laquelle je fuis, éperdue, et m'engage dans une ruelle pavée et sombre bordée de hauts immeubles. Je cours plus vite qu'avant, plus vite que je n'ai jamais couru et probablement plus vite que je ne courrais jamais. J'ai chaud. Je transpire. Je respire de plus en plus difficilement et j'ai un point de côté. Je ne sais pas comment je vais faire pour m'en sortir. Je suis finie. Je suis morte. Ma vie va s'achever dans une ruelle sombre et solitaire, loin de mes amis, loin de celui que j'aime. Seulement Lui et moi, moi et Lui.


Mon pied se coince dans un pavé mal placé et je tombe. Je m'écorche les bras, les mains, les genoux. Je saigne, je pleure. Il arrive. Je le sais, je le sens. Je me relève et une ombre noire tombe devant moi. C'est Lui. Mon assassin, mon meurtrier, celui qui va me tuer. Il a sauté du toit d'un immeuble et atterrit accroupi. Lentement, il se redresse.  


C'est un géant, un colosse au corps fin. Il porte une tenue moulante de cuir noire, et une cape à capuche, noire elle aussi. Il enlève son capuchon. Il a les yeux bleus, les yeux bleus glaces, froids, insensibles. Ses cheveux d'un noir de jais contrastent avec ses yeux intenses, mais pas autant que la cicatrice rouge sang qui lui barre la joue, souvenir d'un passé de héros. Il me regarde et se rapproche. Il avance de plus en plus. D'un pas léger, égal. Comme s’Il n'était pas atteint par les événements. Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux plus m'enfuir. Il est trop tard. Beaucoup trop tard. Je vais mourir ce soir et de Sa main. 


Je recule, Il avance encore et toujours. Inexorablement. Ma fin approche avec Lui. Il sort son épée, je me retourne. Il fait un pas de plus et je recommence à courir, même si cela ne sert à rien, même si je sais que je vais mourir ce soir. Enfin, Il me rattrape. Il attrape mon bras et me fait pivoter, violemment. Il me plaque contre le mur et m'embrasse fougueusement. C'est alors que je Le reconnais, que je sais qui Il est. De nombreux et douloureux souvenirs m'assaillent.  Je respire son odeur, je repense à sa peau frôlant la mienne, à combien nous étions proches avant qu'Il ne passe à l'ennemi et me trahisse, moi, son amante, son amie… Son âme sœur.  Mais cela n'a plus d'importance. Je vais mourir. 


Il m’embrasse. Sa langue a entouré la mienne dans une dernière étreinte qui me fait ressentir des émotions que je croyais à jamais disparues, enfouies au plus profond de mon être. Mais non, elles sont bien là. Amour, joie, bonheur. Tout comme Lui qui veut ma mort, créature assoiffée de sang et de mort, affamée de vengeance. Il se recule un peu et fixe son regard au mien. Ses yeux de glaces laissent une émotion passer. Ils hurlent "je regrette"et pourtant il ne s'arrête pas. Son épée légèrement levée, Il me murmure tendrement à l'oreille :


« Je t'aime. Je suis désolé, mais c'est pour ton bien. »


Mon bien ? Quel bien cela va-t-il me faire ? Je fixe sur lui un regard perdu, emplit de questions, les larmes roulant sur mes joues. Il l’ignore et m'enfonce sa longue épée noire dans le ventre jusqu'à la garde. J'ai le souffle coupé et du sang sort de ma bouche. Lentement je glisse le long du mur. Ma vue se floute. Je ne distingue plus les contours des formes. Seulement des tâches de couleurs. Je suis finie, je n'arrive plus à respirer. Douleur, peur, soulagement. Les sentiments et les émotions se succèdent et disparaissent. Vite, si vite… comme une brise d’été. Il m'a eu, Il m'a enfin eu. Juste avant de fermer les yeux sur un monde dont je ne veux plus et qui ne veut plus de moi, je murmure, ou plutôt, je croasse son nom.


« Bath… »


J'essaie de tendre la main vers lui, mais il n'est plus là ; je suis seule, seule au monde. Il s’est fondu dans les ombres de cette nuit sans lune, ombre parmi les ombres. Qui aurait pu penser que cela allait finir ainsi ?

Soudain, je sens des bras puissants et musclés qui me soulève, des voix qui murmurent, des pieds qui frappent le sol en rythme, le froissement des étoffes et le cliquetis familier des lames dans leurs fourreaux. L'espoir renaît puis s'éteint en même temps que moi, dans un dernier gargouillement sanguinolent. L'obscurité se referme sur moi et m'emporte dans un tourbillon de sensations. Je meurs. Ses derniers mots tournent en boucle dans mon esprit pour ton bien, pour ton bien. Ils me hantent, me portent. M'accompagnent dans la mort, tels une douce mélodie portée par le vent.


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Morien ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0