Expérience mortelle

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Le Docteur Eger, qui ne l’était plus depuis plusieurs semaines, regardait les murs monochromes de sa cellule. Il comptait méticuleusement les nombreuses aspérités, cela l’aidait à dormir.

— Eger ! C’est l’heure de tes pilules. Approche ! fit l’un des gardiens de l’Institut des Aliénés, célèbre hôpital psychiatrique.

Il s’avança, traînant les pieds et essayant de ne pas glisser sur le sol lisse. Les dalles marbrées noires et blanches semblaient se superposer. Engoncé dans son pyjama bleu rayé de blanc, il imitait à la perfection une démarche hésitante. Cela faisait trente-trois jours qu’il pourrissait dans cet hôpital, trente-trois jours depuis qu’il avait été attrapé et jugé pour expériences immorales. Trente-trois jours qu’il faisait semblant de prendre ses médicaments.

Spécialiste en nanotechnologie et virologue reconnu de par le monde, son arrestation avait été un véritable tollé mondial. Comment une sommité scientifique pouvait être un psychopathe ? Encore maintenant, même après toutes les preuves l’accablant, beaucoup le soutenait encore. Les gens y voyaient un complot du gouvernement pour le faire taire.

Son chef d’inculpation était lourd de sens : condamnation pour expériences contraires à l’éthique ayant entraîné la mort de plusieurs cobayes, animaux et humains. Toute sa vie il avait voulu allier nanotechnologie, microbes, bactérie et virus. Toute sa vie, il recherchait un moyen d’allier tout cela afin d’en faire une arme et de protéger sa nation, sa patrie. Le gouvernement lui avait octroyé des sommes colossales afin de mener à bien son projet. Jusqu’à il y a quelques jours.

Le Dr Eger, de son prénom Martin, expérimentait un énième mélange. Féru d’exploration, il adorait partir à la recherche de germes, de pathogènes présent dans la nature et dans les forêts africaines. Un beau jour, alors que le soleil se couchait lentement à l’horizon et qu’il semblait être venu pour rien, il fit une découverte saisissante. Devant lui, des milliers de fourmis étaient collées les unes sur les autres, verticalement. Plus haut que lui, cet édifice intriguant ne se mouvait pas.

Curieux dans l’âme et emmitouflé dans sa combinaison hermétique, Martin s’approcha. Ce qu’il vit lui glaça le sang. La peau des fourmis avait disparue, seuls subsistaient leurs squelettes squameux d’où s’écoulait un liquide jaunâtre. Sur leur crâne, une sorte de champignon germait et bougeait imperceptiblement.

A l’aide d’une pincette et d’un tube à essai, il récolta tout ce qu’il pouvait et referma l’opercule.

A son retour, son instinct de scientifique lui hurlait qu’il avait enfin découvert ce qu’il cherchait : une arme bactériologique qu’il pouvait contrôler. Eger fit venir quatre cobayes, les attacha fermement à sa grande table métallique et commença ses expériences.

Il prit délicatement le champignon et l’étudia. L’organisme était primaire et semblait intelligent. Il prit une pipette d’eau saline, draina l’entièreté du champignon et l’inocula à ses malheureux patients. Après plusieurs minutes d’attentes où rien ne se passa, ils moururent tous d’un infarctus du myocarde foudroyant.

Après trois décès, le quatrième cobaye serait le bon, il le savait. En phase terminale, il était plus simple de les convaincre de se sacrifier pour le pays. Et l’appuie gouvernemental et les menaces fonctionnaient très bien également, si ce n’est plus.

Le dernier, un ancien maçon du nom de Miguel, souffrait mils maux depuis que l’amiante le rongeait. Les métastases de son cancer étaient bien avancées et il ne lui restait plus que quelques jours à vivre. Martin mettait tout son espoir dans son dernier essai.

Il déplaça son cobaye numéro 4 et le mit dans un caisson en verre trempé. Il décida de mettre tout ce qu’il pouvait dans un aérosol : germes, virus mortels et tout ce qu’il y avait de plus dangereux dans la nature. Le Dr Eger pompa méthodiquement le champignon et le plaça dans son pulvérisateur qu’il mit au-dessus du visage fatigué de l’ancien maçon dont la respiration erratique n’augurait rien de bon. Relié à un bouton, le diffuseur s’activa au bout de quelques secondes.

L’effet fut immédiat. Les particules omnicolores s’insinuèrent partout, absolument partout. Miguel convulsa violemment, une bave écarlate coula de sa bouche, du sang perla de ses yeux et le peu de cheveux qui lui restait s’évapora. Puis tout s’arrêta brusquement.

Quelques secondes s’égrenèrent, de longues secondes interminables pendant lesquels le corps rachitique ne bougeait pas d’un centimètre. Puis un soubresaut. Un râle glaireux. Un grognement intense.

Miguel ouvrit les yeux, des yeux vitreux sans pupilles. Les gencives proéminentes rougeoyantes ne voulaient qu’une chose : dévorer le Dr Eger qui se tenait devant lui le sourire jusqu’aux oreilles. Ses dents décomposées mâchouillaient ses lèvres crevassées.

Il regardait solennellement sa création et lui caressa son front moite. Martin ouvrit le tiroir de son bureau en acajou et en sortit un glock. Lentement, il l’appuya contre le crâne de feu Miguel et pressa la détente.

Il venait de créer le premier zombie.

C’était il y a trente-six jours.

Avant de se faire épingler par la haute-autorité, Martin avait réagi instinctivement. Le gouvernement allait le faire taire, maintenant qu’il avait trouvé quelque chose de révolutionnaire. Mais avant cela, il allait les faire payer.

Un soir, Eger sortit ses nanoparticules de son caisson sécurisé et y introduisit chaque champignon. Il prit sa voiture, une vieille Mercedes toute cabossée et alla dans le grand parc de sa ville où allait se dérouler un monumentale feu d’artifice. Des milliers de gens seraient présents.

La nuit noire venue, il s’infiltra dans la cabane où trônait les explosifs et autres pétards conçus pour la fête. Avec une extrême précaution, il cacha les nanoparticules dans tous les projectiles inflammables et repartir en sifflotant.

C’était il y a trente-six jours.

Trois jours après, les services secrets enfonçaient sa porte et le mettait à terre afin de l’emprisonner à vie. Le but était de le droguer pour qu’il ne puisse rien dire à personne.

— Eger, tes pilules j’ai dit ! Dépêche-toi de les prendre ou tu vas le regretter.

— Oui, désolé, je réfléchissais.

Il avala mécaniquement ses médicaments et les bloqua contre ses molaires, comme à chaque fois. Le soigneur lui fit ouvrir la bouche et inspecta son contenu.

— Très bien, tu peux y aller. A tous les résidents, on vous autorise dix minutes de télévision afin que vous puissiez assister au feu d’artifice. Prenez place dans la grande pièce.

La grande télévision HD retransmettait la fête où un nombre incalculable de gens dansaient, riaient et buvaient. L’animateur de l’événement prit son micro et parla d’une voix forte et entraînante.

" Faites le décompte après moi, mesdames et messieurs. 5… 4… 3…2…1…"

Et le feu d’artifice commença. Des explosions rugissaient dans le ciel constellé d’étoiles, des couleurs irisaient la voûte céleste. Un véritable arc-en-ciel ravissait les gens.

Eger cracha délicatement ses pilules par terre, les écrasa et les fit glisser sous le grand fauteuil. Un sourire immonde étira ses traits fatigués.

Les gens ne savaient pas ce que renfermaient les explosifs.

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