Vol 1083

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L’avion déchire le ciel cotonneux, laissant dans son sillage quelques volutes de fumée. De grands volatiles curieux l’entourent, se demandant quel est cet objet volant qui ose pénétrer leur royaume céleste. Ils virevoltent à bonne distance et entreprennent un ballet aérien rythmé par leurs piaillements timides. Leurs rémiges duveteuses ondulent en cadence. Soudain, leurs yeux noirs de jais remarquent du mouvement derrière l’un des hublots ovales de l’appareil.

Une vieille dame les regarde, souriante et mélancolique. Elle aurait aimé s’envoler comme eux, être libre et sans attache. Mais sa vie la faisait redescendre sur Terre. Ses rêves et ses fantasmes continuaient de lui glisser entre ses phalanges rongées par l’arthrite. Elle serait à la retraite le mois prochain, après une vie passée derrière un bureau à prendre les appels de son patron bien trop occupé pour la remarquer. Elle était un fantôme pour lui, ainsi que pour sa famille. Plus personne ne venait la voir et ses petits-enfants lui manquaient terriblement.

Là-haut, elle regarde les oiseaux et prend conscience de son existence. Plus rien ne la retient, mêmes ses souvenirs se délitent au fil des jours. Seule sa mémoire, allégée, s’évapore inexorablement. Essayant de garder ses pensées et de les reconstituer, elle en perd le fil. La fatigue s’empare d’elle et, lentement, le sommeil fait son apparition. Elle s’endort la tête accolée à la vitre.

Les passagers sont tous concentrés sur leurs écrans. Ecran de télévision, smartphone, console de jeux vidéo, montre connectée. L’ère du numérique dans toute sa splendeur. Un âge faisant la part belle aux réseaux sociaux et aux partages impersonnels.

Le contact humain se fait de plus en plus rare, réduits à des visites occasionnelles ou un échange avec une caissière bourrue et désabusée de la vie.

Personne ne se regarde, les yeux rivés devant une publicité mensongère relatant la capacité fantastique d’une énième marque de produit ménager, un film d’action dans lequel un ancien assassin est tiré de sa retraite lorsque la fille de son meilleur ami est enlevée ou encore devant un jeu vidéo abrutissant où le but est d’être le dernier survivant lors d’une bataille royale.

La plupart des yeux sont plongés sur le petit écran de leur téléphone dernière génération. Les gens scrollent les informations mises une à une, des faits divers de par le monde, passant d’un attentat à un meurtre morbide en campagne, d’un enlèvement à une recherche scientifique qui commence à porter ses fruits. Un fouillis d’informations, un trop plein de renseignements qui fait tourner la tête des lecteurs. Sans parler des publicités qui apparaissent en vantant une nouvelle théorie du complot ou un produit capable d’agrandir le pénis.

Les passagers sont abrutis par l’énorme quantité de données inoculée dans leur petit esprit atrophié par la télévision et la société de consommation. Après de longues minutes à regarder leurs divertissements et à s’abreuver d’inepties, ils s’assoupissent tous.

Le voyage se passe sans turbulences. Aucune secousse ou vibration ne vient troubler le calme ambiant. Les écrans sont, pour la plupart éteints, seul subsistent quelques voix étouffées tirées d’un film d’amour.

Les passagers du vol 1083 dorment d’un sommeil tranquille. Leurs paupières remuent lentement, annonciatrices de rêves doux et paisibles. Un bruit sourd survient au fond de l’appareil, personne ne l’entend. Une fillette aux cheveux bouclés gémit et ouvre les yeux. Ses iris enténébrées s’écarquillent, une écume mousseuse dégouline de ses lèvres charnues et vint s’écraser contre le sol abîmé de l’avion, recouvrant des miettes de chips et son doudou favori.

Un grognement rocailleux sort de sa bouche. Les yeux révulsés, la petite rousse essaie de se lever. La ceinture de sécurité en nylon renforcé la maintient sur son siège. Mais cela ne l’empêche pas d’insister, si bien que la sangle s’enfonce dans sa chair et arrache plusieurs lambeaux de peau.

Ses dents viennent mordre et déchirer le lien qui la retient. Elle ne réfléchit pas et, après quelques secondes d’effort, parvint à se lever. Tel un monstre affamé à la recherche d’une proie à dévorer, la jeune fille avance dans l’allée. Une faim insatiable s’empare d’elle.

A sa droite, un homme d’une quarantaine d’années, un masque de nuit sur les yeux, ronfle bruyamment. Elle s’approche, hume l’air, grimpe sur lui et lui déchire la jugulaire. Le malheureux n’a même pas le temps de hurler. Un geyser de sang vint éclabousser le zombie. Le goût métallique sur sa langue l’excite au plus haut point. Le liquide ambré coule le long de sa gorge.

La fillette déglutit. Une frénésie meurtrière s’empare d’elle. Elle lui arrache vêtements et épidermes. Elle ne s’arrête pas. Ses douces petites mains éventrent l’adulte agonisant, ses doigts boudinés sortent les organes un à un. Elle ingurgite le foie, suçote l’intestin grêle et broie le cœur battant irrégulièrement. Et tout cela, sans le moindre bruit.

Une fois sa victime morte, le zombie se retire et continue son avancée. Un enfant attire son attention. Il ne dort pas et la fixe, pétrifié. Ses yeux remplis d’effroi et de pourquoi ne cillent pas. La peur l’empêche de crier. Il pleure silencieusement à chaudes larmes alors qu’une boule lui noue la gorge, de l’urine coule et déborde de son petit short en jean beige. Il n’arrive pas à esquisser le moindre mouvement. Elle s’avance, traînant les pieds et saute sur l’enfant qui hurle à plein poumons lorsque les dents lui arrachent son nez et une partie de sa bouche. Sa mère se réveille en sursaut et une vision d’horreur s’offre à elle. Hystérique, elle essaie tant bien que mal de pousser la petite enragée à coup de poings et de pieds rageurs.

Les cris et les coups réveillent petit à petit l’ensemble de l’habitacle. La peur se déverse en chacun des passagers. Un homme dégingandé et alcoolisé titube, mais vint aider la pauvre petite famille. Il réussit difficilement à soulever la créature et la jette au loin. Les autres voyageurs regardent la scène, sans bouger. Quelques-uns sortent leur téléphone et commencent à filmer l’horreur comme s’ils enregistraient les premiers pas de leurs enfants, les facéties de leur animal de compagnie ou une prestation au karaoké de leur meilleur ami. Un réflexe humain et foncièrement exécrable.

Au même moment, l’homme mordu un peu plus tôt se relève, le restant de ses entrailles se balançant au rythme de ses pas. De ses yeux vides, il avise l’hôtesse de l’air paralysée.

Le sang allait couler de plus belle.

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