La Dame en noir

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D’intenses rais de lumière filtraient par les interstices de la persienne disloquée et venaient caresser le visage fatigué de la Dame en Noir. Elle ouvrit les yeux et étira ses muscles noueux. La nuit n’avait pas été réparatrice, elles ne l’étaient plus. Après plusieurs minutes de léthargie pendant lesquelles se mélangeaient souvenirs terribles et réminiscences joyeuses, elle décida de se lever et alla dans la salle de bain.

Frottant la buée et ôtant la poussière de la psyché aux enluminures représentant des visages angéliques, elle se fixa intensément. Ses yeux vairons transpiraient la tristesse et le désespoir. Sa peau marquée et mouchetée de salissure ne pouvait cacher son extrême beauté passée. Auparavant gravure de mode et fantasmée par beaucoup, celle qui s’appelait alors Scarlett était l’effigie de marques, défilant en musique sur les podiums. Les attachés de presse, les couturiers et stylistes renommés s’arrachaient son portait ou son interview.

Maintenant, plus de défilés ni de publicités, seul subsistait le silence.

Scarlett. Cela faisait si longtemps que son prénom n’avait plus lieu d’être. La Dame en Noir. Son nouveau sobriquet lui allait à merveille.

Elle tourna le robinet et se rinça le visage à l’aide de quelques gouttes jaillissantes timidement. L’eau potable était devenue une denrée rare. L’électricité ? Une légende.

Depuis plusieurs mois, le monde avait changé. Hommes et femmes dépérissaient et mourraient dans d’atroces souffrances. Un mal irréversible s’abattait sur Terre, un poison toxique, un virus mortel issu de toutes les cultures et aliments de par le monde. Chaque champ, chaque zone d’eau, tout devenait instrument d’agonie et d’anéantissement. Rien n’était épargné. L’air charriait cette bactérie invisible.

Tous les scientifiques s’étaient alliés dans l’espoir de trouver une solution, un remède à cette pandémie létale et foudroyante. Les nations avaient fait front commun face à cet ennemi invincible. Malheureusement, le mal demeurait irréversible.

La Dame en Noir se voyait immunisée, obligée de voir le monde sombrer dans l’horreur et l’oubli. Ultime témoin de la déliquescence planétaire, elle voyageait depuis lors à la recherche d’une personne ayant survécu aux affres que Dame Nature infligeait.

Aujourd’hui, cela faisait un an que l’humanité se mourrait. Levée aux aurores et bien décidée à arpenter les prairies de sa jeunesse à la recherche de nourriture, elle enfila une tunique loqueteuse et tachée. Son pardessus couleur nuit noire incarnait son désespoir infini.

Depuis une semaine, cette maison abandonnée était devenue son refuge de fortune. Elle se rappelait les anciens locataires : une famille nombreuse, heureuse et solidaire. Le mari, vétéran de guerre et forgeron réparait tout ce que les villageois lui apportaient. La femme, tisseuse et couturière de qualité ne passait pas une seule journée sans confectionner un cache-col ou un châle pour les ainées. Les quatre enfants, eux, suivaient le chemin de leurs parents : ils aidaient à la sortie de l’école, lavaient le sol des vieilles dames fatiguées et allaient couper du bois afin d’alimenter moultes cheminées.

Au rez-de-chaussée se trouvait son fils, depuis des jours fiévreux et attendant que le voile de la mort le laisse passer. Fringant et joueur, son seul enfant était la personnification même de la joie et du bon-vivre. Maintenant, ce n’était plus qu’une carcasse périclitante.

Elle tendit l’oreille quêtant un nouveau râle d’affliction, un gémissement.

Le silence.

Descendant les escaliers à grande vitesse, la Dame en Noir glissa et s’écorcha le front sur l’un des piliers lambrissés. Le front ensanglanté, des échardes parsemant son visage, elle se releva tant bien que mal. La vision d’horreur la cueillit. Son enfant avait les yeux grands ouverts mais ne voyait plus. Sa langue pendait sur le côté et un liquide glutineux s’écoulait. Elle s’avança, pleurant à chaudes larmes. Le teint cireux, des traces de vomissures sur son chandail crasseux, la vie l’avait quitté depuis déjà plusieurs heures. La fin était toujours la même : le malade s’étouffait dans ses excrétions, la fièvre l’emportait, brûlant ses entrailles et atrophiant chaque cellule de son cervelet. Aucun anesthésiant ne fonctionnait, l’alité était condamné à souffrir jusqu’à son dernier souffle.

Le sol breneux emplissait l’air d’une odeur putride. La Dame en Noir pataugeait dans la fange d’excréments, une surface nauséabonde, symbole même de son espoir envolé. Déglutissant, elle s’éloigna malgré elle.

Plus rien ne la retenait.

Séchant ses larmes, la Dame en Noir alla dans la pièce d’à côté. L’ancienne chambre parentale ne contenait plus qu’un fauteuil cramoisi, le dossier fendu et les bras piqués de moisissures. Dessus, elle avait posé une sorte de malle. Juste au cas où.

Elle ouvrit la vieille écritoire moisie contenant une arme métallique, un revolver rutilant et le plaça sur sa tempe grisonnante. C’est ainsi qu’elle allait disparaitre de la surface de la Terre. C’est ainsi que son âme s’envolerait, direction l’Après.

Elle appuya sur la gâchette.

Rien ne se passa. Il n’y avait plus aucune munition dans le barillet. Elle les avait déjà utilisées pour mettre fin au supplice de ses parents et de son mari. Hurlant de tout son soûl et ajustant son chapeau feutré, l’unique survivante décida de partir à la recherche d’une mort libératrice.

Marchant plusieurs heures parmi les sentiers et chemins du village fantôme, La Dame en Noir arriva devant l’ancienne ferme familiale. L’exploitation agricole n’existait plus. Brisée, elle fixait la glèbe flavescente, se remémorant sa jeunesse à la campagne. Avant, les cultures foisonnaient et la vie habitait les champs.

Comment en étaient-ils arrivés là ?

La Nature reprenait ses droits et avait décidé d’empoisonner l’Homme. Elle voulait éradiquer ses tumeurs. C’est ainsi qu’elle avait trouvé le seul et unique moyen de se soigner.

Scarlett se rappelait les longues journées à gambader en compagnie de ses amis à travers les champs de blé et de maïs.

Combien d’hectares d’avoine et d’orge avait-elle fauché par le passé ? Combien de moments langoureux avait-elle vécue dans les bras de ses amants, allongés dans le limon ? Combien de partie de cache-cache avait-elle passé en compagnie de son enfant chéri ?

La Dame en Noir voyageait sur la mer de ses souvenirs à bord du bateau de son existence et laissait des larmes dans son sillage. Plus elle pleurait, plus l’océan s’agrandissait. Plus elle se souvenait, plus loin elle naviguait.

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