La transformation

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La fée, qui n’avait pas prêté attention aux remarques de la jeune fille, se mit à regarder autour d’elle, à la recherche, sans doute, d’une citrouille. D’une force inouïe, elle se pencha avec agilité, souleva le lourd rocher et investigua les lieux, comme si les cucurbitacées avaient l’habitude de pousser sous les pierres. Cendrillon la regardait avec curiosité, se demandant quelle partie de la phrase la vieille n’avait pas compris, citrouille ou saison ? Ses questionnements furent bien vite oubliés, puisque la jeune fille s’était accroupie près du feu et avait ramené Persil à ses côtés. Elle s’était mise à jouer avec lui en lui balançant tout ce qu’il lui tombait sous la main et le regardait quand il allait le chercher. Mais Persil, fidèle à lui-même, ne ramenait jamais rien à sa maîtresse, il gardait précieusement chaque gain près de lui. Son attitude, comme d’habitude, la faisait sourire. Pendant ce temps-là, la dame poursuivait ses recherches en arpentant de long en large le pré. Fatiguée par le jeu, Cendrillon interrompit la fée dans ses fouilles et lui déclara tout en bâillant : « Ma petite dame, vous n’avez qu’à changer les champignons en citrouille, puis en carrosse !

-Ah, oui ! Ce n’est pas bête comme idée ! approuva-t-elle.

La fée se tint bien droite, ferma ses yeux pour mieux se concentrer et souleva le bras. Elle agita sa baguette comme un chef d’orchestre, puis formula « Badi Badouille que les champignons se transforment en citrouille. » Une fois obtenu le résultat souhaité, elle se mit à reformuler de nouveau : « Badi Badouille que la citrouille se transforme en grenouille. »

Une erreur dans sa formulation, avait changé la citrouille en une bête gluante.

« Badi Batrosse, rectifia-t-elle en courant après l’animal, que le tout se transforme en carrosse. »

Cendrillon n’en croyait pas ses yeux : un beau carrosse conduit par quatre chevaux blancs, se tenait face à elle. Quant à la fée, elle se retrouva aussi surprise que la jeune fille. Elle ne comprenait pas comment les quatre bêtes étaient apparues. Elle avait sûrement fait une erreur, mais ça tombait bien, des chevaux, elle en avait besoin.

« Wow ! s’exclama la jeune fille en se levant pour aller caresser les juments. Avec quelques champignons, vous avez fabriqué tout ça ?!

-Ne remarques-tu pas la beauté du carrosse ? interrogea la fée.

-Si, si, ma petite dame, il est beau, votre carrosse… seulement, j’ai un faible pour tous les animaux ! confia-t-elle en embrassant l’un d’eux.

Voilà que la fée semblait chercher autre chose. Elle sortit, de l’une de ses poches, un rat vivant.

Cendrillon n’avait certainement pas un faible pour tous les animaux comme elle le prétendait, puisque dès que ces petits rongeurs pénétraient dans sa cuisine, elle les accueillait toujours avec un coup de pelle sur la tête. Elle reconnut tout particulièrement celui que la dame tenait entre ses mains à cause de cette balafre sur le museau. Elle avait tenté de l’écrabouiller quand, un jour, il s’était introduit chez elle.

La vieille dame le posa par terre et, encore une fois, agita sa baguette en s’écriant : « Badi badhome, que se rat se transforme en un joli jeune homme ! »

Cendrillon n’en croyait pas ses yeux : le rat avait pris une forme humaine et était habillé en tenue de cocher. Il se retournait constamment, à la recherche peut-être, de cette partie qui était sa queue. Elle s’avança doucement dans sa direction, puis, une fois arrivée assez proche de lui, d’une main hésitante, elle lui effleura l’épaule. Ecœurée, elle l’essuya aussitôt dans le jupon de sa robe.

« Machin, l’interpella-t-elle, quel est votre nom ? »

Le jeune homme regardait toujours derrière lui, puis une fois tourné vers elle, il s’exclama : « Victoria ! » Aussitôt qu’elle entendit sa déclaration, Cendrillon explosa de rire tout en répondant : « Ha ha, voyons Machin, Victoria, c’est le nom d’une fifille, vous êtes un jeune homme, que je sache ? »

Avec respect, Il restait à la dévisager sans rien dire. C’est à ce moment-là que Cendrillon remarqua l’étrange beauté du jeune homme. Un mélange d’un charme sauvage et d’une élégante pudeur. Ses cheveux noirs étaient bouclés et lui tombaient sur le visage. Des yeux noisette, une fossette sur chaque côté. Le portrait craché de Gustavo Dudamel, quand il était plus jeune. Seulement, Cendrillon ne pouvait le savoir ; Gustavo n’était toujours pas né.

Malheureusement, cette balafre qu’elle lui avait un jour infligé, était bien accroché entre sa joue et son nez.

« Votre nom sera, Victor. » lui confit-elle tendrement. Il acquiesça avec un sourire dévoilant un peu plus ses fossettes. Dès qu’elles furent découvertes, Cendrillon s’émerveilla, avala péniblement sa salive et bâilla à haute voix.

La vieille dame s’avança, prit la jeune fille par le bras et dit : « à ton tour, ma chère enfant. »

Puis, sans prononcer de formule magique, elle agita sa baguette dans sa direction. Des scintillements d’étoile, qui avaient pris naissance dans le sol, l’entourèrent de partout. Ils la soulevèrent un peu plus haut dans le ciel.

« Doucement, ma petite dame, s’écria Cendrillon en essayant de garder, tant bien que mal, son équilibre, j’apprécie vos intentions, mais j’ai le vertige ! »

La Fée agitait sa baguette de façon à faire valser la jeune fille dans les airs. Des tissus, de la même couleur que ses rubans, commencèrent à prendre forme. Ils l’entourèrent jusqu’à couvrir son visage. Mais ce n’était certainement pas un Niqab, dont Cendrillon avait besoin. Elle hurla, affolée, car des morceaux lui rentraient dans la bouche : « Berk… arrêtez, ma petite dame ! Ce n’est pas la peine de continuer… je crois, berk, que je vais juste laver la robe que je porte ! »

La fée continuait à faire comme bon lui semblait, sans prendre en compte ses protestations. Victor arriva par derrière, déposa délicatement sa main sur son épaule et dit d’une voix imposante : « Arrête, Oudina ! Il est inutile de continuer. Elle va vomir ! »

Au contact du jeune homme, la fée cessa son tour de magie. Cendrillon descendit sur terre en ayant le tournis. En colère, la jeune fille voulait la réprimander pour tous ses haut-le-cœur, mais aussitôt qu’elle vit la robe qu’elle portait, elle s’arrêta. « Mon dieu ! s’émerveilla-t-elle avec grâce. Elle est vraiment très belle ! »

La dame fit jaillir un courant d’eau provenant de l’étang et le déversa tout près de de la jeune fille afin qu’elle s’en serve comme miroir. Elle remarqua sa jolie coiffure composée des trois rubans.

« Que… vous êtes belle ! s’exclama Victor, hésitant et écarlate.

Il avança quelques pas vers elle et continua : « Il n’y a aucun doute, Le choix du prince se portera sur vous ! »

Cendrillon, qui était en train d’ajuster sa coiffure en y apportant sa touche personnelle, prit soudainement conscience, que toute cette histoire risquait de mal se terminer.

« Ma petite dame, dit-elle en se tournant vers la fée, pouvez-vous vérifier dans votre soupe, si je vais vraiment épouser le prince ?

--Oh, Cendrillon ! répondit la fée. Je ne suis pas une voyante, je ne peux utiliser le pouvoir de la marmite pour des choses pareilles.

Cendrillon soupira bruyamment avant d’insister : « Qu’est-ce que cela vous coûte de jeter un rapide coup d’œil ? Juste essayez ! »

La dame ne répondit pas. Cendrillon fronça les sourcils, croisa ses bras et reprit sur un ton autoritaire : « Si vous ne me dites pas ce que l’avenir me réserve, je n’irai pas au bal ! »

La fée n’en croyait pas ses oreilles. Elle resta pendant quelques instants à la regarder, puis, finit par dire : « Elle est bien bonne celle-là ! »

Et aussitôt, elle se tourna vers le cocher et poursuivit : « As-tu entendu, Victor ? Voilà que maintenant elle me fait du chantage après tout ce que j’ai fait pour elle !

-Vous n’avez rien fait de mieux que de kidnapper mon chien et me faire venir ici ! s’écria la jeune fille en colère.

-Cendrillon ! reprit la fée en s’adressant cette fois-ci directement à elle. Ton comportement est inadmissible !

-Je veux simplement savoir dans quelle histoire vous m’embarquez. Provoquer le prince avec ma jolie tenue, alors que je suis obligée de le refuser, ne m’intéresse pas non plus.

-Il n’y a aucune fille de ton rang social qui refuserait un prince, voyons !

-Justement, pourquoi toujours faire comme tout le monde ? s’interrogea-t-elle sincèrement. Ma petite dame, reprit-elle, je veux seulement savoir, si je vais devoir épouser ce prince !

-Ta belle-mère est une diseuse de bonne aventure, va donc voir ça avec elle !

-Je répète, je n’irai pas au bal sans mesurer les risques que je cours. »

La Fée sollicita Victor du regard et souleva ses mains en signe d’impuissance. Le cocher se vit obligé d’intervenir.

« Cendrillon, le prince ne pourra rien faire sans votre consentement, et puis ce n’est pas bien d’avoir une idée déjà toute faite à son sujet ! »

La jeune fille trouva les paroles du cocher bien sages pour un rat. Bien qu’elle en fût convaincue, elle ne voulait surtout pas perdre la face avec la fée. Elle continua à insister pour que l’autre jette un coup d’œil dans la marmite. Celle-ci finit par se laisser convaincre et fit ce qu’on lui demandait. Mais au moment de se pencher, Cendrillon aperçut quelque chose de fort brillant sous les jupons de la dame, qu’elle n’avait pas remarqué auparavant. Avec la lumière du feu, les pantoufles en verre lui éblouissaient les yeux. Elle resta pendant un instant subjuguée par l’éclat de ces deniers, comme si elle venait tout juste de tomber sur un trésor.

« Tu épouseras l’homme de ton choix, c’est ce qui est marqué dans la soupe ! » révéla la fée, irritée.

--Très bien alors ! acquiesça Cendrillon tout heureuse. Mais je ne partirai pas sans avoir mis vos godasses ! »

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