Fleury & Bott

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Hermione n'était pas totalement sûre de ce qu'elle faisait. Mais depuis quelques temps, elle avait réalisé que cela n'avait pas d'importance.

Il y avait du bon dans l'imprévu. L'impulsion. L'instant.

Depuis que Ron était parti, la veille à l'aube, elle avait pleuré, un peu. Dormi, pour rattraper son sommeil, et oublier ses doutes. A présent un nouveau jour s'était levé, et elle ne voulait plus attendre.

Drago devait donner une séance de dédicace chez Fleury et Bott dans l'après-midi. A défaut d'adresse, c'était son seul moyen de le contacter. De le voir...

Que lui dirait-elle ?

Elle n'avait pas anticipé la situation jusque-là.

Ce matin-là, donc, Hermione passa un long moment à se contempler, debout devant le miroir en pied. Dans son esprit passaient des questions triviales, comme ce qu'elle allait porter, ou comment elle arrangerait ses cheveux. Pourquoi ces questions acquéraient-elles une telle importance, aujourd'hui ? C'était ridicule. Elle ne s'était jamais vraiment soucié de ce qu'elle portait, et Drago non plus. Peut-être était-ce simplement... L'idée de le revoir.

Cela paraissait tellement irréel. Tellement impalpable. Elle n'envisageait pas de pouvoir mener ce projet fou plus loin. Et pourtant...

Ses gestes s'enchaînèrent, comme ceux d'un robot. Elle enfila un jean, un chemisier, ordonna ses boucles sur son épaule, comme ce jour où ils s'étaient croisés dans le métro.

Dire qu'elle s'en souvenait aussi précisément... Elle ne l'avait encore jamais réalisé.

Elle se regarda longuement, avec la sensation de contempler quelqu'un d'autre. Elle ne se trouvait ni belle, ni honteuse. Elle ne voyait qu'une jeune femme amoureuse, et terrifiée.

« C'est donc la personne que j'ai décidé de devenir... », songea-t-elle. « Voici ce que je suis. »

Cette jeune femme se tiendrait-elle aux côtés de Drago Malefoy ? Elle n'en savait rien. Mais son cœur battait vite, plus vite qu'il ne l'avait fait durant ces six dernières années, rien qu'à cette pensée.

Chez Fleury et Bott, Drago signait des exemplaires de son livre, se faisant la réflexion étrange qu'il ressemblait à Gilderoy Lockhart. Ce souvenir lui arracha un sourire. Il se rappelait encore parfaitement de ce grand imbécile qui s'était lobotomisé lui-même avec la baguette de Weasley.

Il se rappelait de Granger, aussi. Hermione. Il avait eu une altercation avec Potter et elle, puis son père était apparu. Ils s'étaient montrés grossiers, en bons Malefoy qu'ils étaient. Rien que d'y repenser, il se sentait rougir de honte...

La jeune femme en face de lui lui rendit ses esprits. Il lui sourit poliment et prit le temps d'échanger quelques mots avec elle, avant d'aborder le visage suivant.

La librairie était surpeuplée. D'autant plus ironique, quand il évoquait de nouveau son souvenir... A l'époque, Potter avait fait la une de la presse. A présent, c'était son tour d'être sous les projecteurs. Tous ces gens venus ici pour le voir...

Il n'en revenait toujours pas. Cela lui faisait toujours un peu peur.

Il avait l'habitude des réactions violentes, et l'habitude d'être rejeté. Il avait appris à ne plus se laisser atteindre par l'opinion des autres. Mais il ne s'y était encore jamais volontairement exposé avec autant de vulnérabilité...

Peu importait. Tous les connards du monde se trouvaient compensés par les sourires sincères qu'il apercevait parfois, sur le visage de ses lecteurs.

C'était pour cela qu'il prenait le temps de discuter avec chacun. De leur accorder un peu de sa confiance, un peu de lui. Chaque parole, sans nécessairement être chaleureuse, mais prononcée dans la gentillesse et le respect de l'autre... Chacune de ces paroles était un trésor qui lui paraissait encore inespéré. Six ans auparavant, il n'aurait jamais pensé avoir cette chance à nouveau : pouvoir converser avec des gens normaux, et être accepté.

Il ne serait jamais normal : sur ce point, il ne se faisait pas d'illusions. Mais un peu de paix, enfin... La fin de l'agression constante... La compréhension. Le pardon.

Il s'était battu pour l'avoir, mais le mérite ne lui revenait pas entièrement.

« Hermione, que serais-je devenu sans toi... ? »

« Tu serais sans doute mort. »

Cette réalité ne lui faisait pas peur. Il le pensait sincèrement. Il se rappelait clairement de son état d'esprit, le jour où il l'avait croisée, juste avant que le métro n'arrive. Il envisageait de se jeter sur les rails. Et il l'aurait fait, un jour ou l'autre. Soit ça, soit l'alcool l'aurait consumé à petit feu. Mais il aurait sans doute fini par sauter du haut du dernier étage du Manoir Malefoy. Ce courage-là, il l'aurait eu. La Mélancolie le rongeait. Tous les jours, il se demandait s'il se tuerait ou pas. Voilà de quoi Hermione l'avait sauvé. Il lui devait sa liberté, il lui devait son bonheur. Mais surtout, il lui devait...

« Je lui dois la vie. »

A cet instant, une note survola la foule et vint se poser sur sa pile de livres. Drago reconnut la forme de l'origami. Immédiatement. Il le déplia, sans plus prêter attention à l'auditoire :

« L'escalier devant l'entrée, cinquième marche. »

Il se leva, frénétique. Elle était là. Assise sur la cinquième marche, tout au fond de la boutique.

Intriguée, la foule commença à se retourner, aussi se reprit-il avant qu'on ne remarque son trouble :

– Mesdames et messieurs, veuillez m'excuser, je vais prendre ma pause... Je me ferai une joie de vous retrouver dans une petite demi-heure.

En bons londoniens, les lecteurs ne firent pas de commentaires et se dispersèrent pour arpenter les rayons.

Drago se dirigea vers la sortie. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, Hermione lui emboîta le pas sans dire un seul mot, sans même un regard. Ils n'étaient pas seuls.

Une fois dans la rue, ils trouvèrent une ruelle déserte où ils s'arrêtèrent, loin de l'agitation du Chemin de Traverse. Hermione ne disait toujours rien, Drago non plus.

Il s'était à peine remis de sa rencontre avec Daphnée. Pourtant, l'intensité de ce qu'il avait ressenti ne l'avait pas quitté. Cette certitude qu'il avait perçue...

Celle d'être revenu pour récupérer Hermione. Pour la ravoir, coûte que coûte.

C'était ce qu'il avait toujours voulu. C'était ce qu'il lui avait promis. De la faire changer d'avis...

Pourtant, ce n'était qu'à son retour à Londres qu'il avait pleinement compris à quel point il avait changé.

L'adolescent qu'il avait été aurait fait irruption pour s'emparer de ce qu'il voulait. Sans états d'âme, sans considération pour son entourage, sans que cette seule pensée ne lui traverse même l'esprit.

L'homme qu'il était devenu après la guerre aurait jugé le projet irréalisable. Il se serait replié sur lui-même, saoulé dans l'oubli, jusqu'à ce que la Mort le délivre.

A présent, Drago était un subtil mélange des deux.

Il avait toujours renvoyé l'image d'un tempérament froid et maîtrisé. Alors qu'en réalité, il se déchirait entre deux extrêmes. Il était un homme de passion, sous un masque de glace imposé par son nom. Il lui avait fallu 36 années, et une Sang-de-Bourbe du nom d'Hermione Granger, pour enfin apprendre à trouver l'équilibre...

Aujourd'hui, Drago avait changé. Il était revenu à Londres pour y chercher ce qu'il y avait laissé : son cœur. Mais il savait aussi que ce choix n'était pas seulement le sien. Qu'il ne pouvait forcer Hermione à rien. Qu'il ne pouvait pas débarquer dans sa vie et tout détruire, si ce n'était pas ce qu'elle désirait. Si elle ne s'y était pas préparée. Si elle n'en ressentait plus le besoin...

C'est pourquoi depuis qu'il était rentré, il n'avait vécu que pour cet instant. Qu'elle se manifeste. Qu'elle apparaisse là devant lui, comme dans un rêve... Comme ce jour où elle l'avait attendu à la fin de son travail... Comme ce jour où il l'avait croisée dans le métro... Que sa présence lui avoue, plus clairement que des mots : « Je suis là. Je t'ai choisi. Je suis prête. »

Et elle était là.

Les bras croisés devant elle, sur son chemisier blanc, dans une position de défense qui lui rappelait leurs premières retrouvailles. L'air un peu gêné et pourtant, incapable de détacher ses yeux de son visage. Avait-il tant changé ?

Elle en tout cas lui apparaissait plus belle que jamais. Il avait envie de toucher ses cheveux, de sentir leur douceur sous ses doigts. D'effacer en un instant ces six années qui les avaient séparés. Pas un jour, il n'avait pas pensé à elle...

La quitter avait été une déchirure, et une renaissance. Il avait tenu parce qu'il avait toujours eu la certitude qu'il la reverrait. Il avait serré les dents, sauvé l'honneur, comme un Malefoy, et il s'était battu, car il savait que c'était pour elle. Que tout ce qu'il faisait, tous les efforts qu'il consacrait, n'étaient destinés qu'à ce seul instant. Aussi avait-il peine à se retenir de la toucher, de la serrer dans ses bras, maintenant qu'elle apparaissait là, devant lui, en chair et bien réelle.

– Je suis content de te voir..., dit-il doucement.

C'était le plus grand euphémisme qu'il ait jamais prononcé. Mais il ne savait pas quoi dire d'autre. Il n'était pas mal à l'aise, il était... subjugué. Par la douceur de l'instant, et l'intensité de ce qu'il ressentait, intacte. Il eut brusquement l'angoisse que ce feu se soit éteint chez elle. Mais elle lui prit la main.

Elle ne dit rien, elle se rapprocha simplement. Elle pleurait. Deux larmes symétriques roulaient sur ses joues. Elle serra sa main très fort, et soudain, elle enfouit son visage tout contre son torse.

Elle ne l'enlaça pas, ne se détendit pas. Elle pleura simplement, comme si elle avait peur de le toucher, peur d'être rejetée, et en même temps, bouleversée par un contact qui lui avait si longtemps manqué.

Drago n'attendit pas une seconde de plus : il libéra sa main et la serra dans ses bras. Elle n'eut pas la force de lui rendre son étreinte : elle sanglotait, et de toute façon, il l'emprisonnait comme s'il n'allait plus jamais la lâcher. Il sentait la soie de ses cheveux tout contre sa joue. Son odeur, la même que dans son souvenir, merveilleuse.

Elle était là. Il la tenait dans ses bras. Et il n'arrivait pas à y croire.

Il recula enfin pour la regarder, caresser son visage, essuyer ses larmes. Ce fut elle qui le prit par surprise, en parlant la première :

– Je t'aime, dit-elle.

Elle jeta ses bras autour de son cou et enfin, elle s'abandonna totalement, le serrant tout contre elle, tremblant de tout son corps :

– Je t'aime, je t'aime, je t'aime...

Elle le murmurait comme un aveu, comme un torrent brûlant de s'échapper d'elle depuis trop longtemps, comme s'il allait s'enfuir, et qu'elle n'avait que ses bras pour le retenir.

Elle le murmurait avec la peur du désespoir, la peur de l'avoir perdu, la peur de se retrouver seule comme une coquille vide délaissée sur la plage. Comme s'il ne lui restait que ces quelques précieux instants à vivre, avant de basculer dans le précipice...

Drago recevait la force de ces émotions tel un raz-de-marée. Il la sentait tout contre lui, et il ne l'écoutait plus, il ne percevait plus que le bonheur immense qui s'épanouissait en lui, si fort qu'il craignait d'être emporté.

– Je t'aime..., articulait-elle.

Alors, il sut qu'il l'avait gagnée. Il referma ses bras sur les siens, et, dans ce même geste, son cœur sur le sien :

– Je sais, dit-il.

Elle releva la tête pour le dévisager, surprise. Il la fit attendre un peu, parce qu'il était toujours Drago Malefoy, et qu'il s'amuserait toujours d'être un connard sadique. Mais il ne pouvait pas tenir face à de tels yeux :

– Je t'aime aussi, avoua-t-il, et c'était un aveu de tout cœur. Depuis tout ce temps... Toujours. Je n'ai jamais cessé de t'aimer.

Un sourire s'épanouit sur le visage d'Hermione, timidement, puis elle fondit en larmes. Elle éclata de rire, l'enlaça, et pleura de plus belle. Elle avait toujours peur de le perdre. Elle s'accrochait à sa chemise comme s'il allait disparaître.

Alors il lui prit le menton d'une main, et par-delà ses larmes, il l'embrassa.

Il perdit tout le contrôle qu'il avait établi en six ans. Ce baiser, cet instant, c'était quelque chose de trop fort. C'était Hermione. Elle et lui, ensemble. Avec elle, il n'était que passion.

Elle se laissa faire comme si toutes ses forces l'abandonnaient, alors il l'embrassa comme la toute première fois où il l'avait embrassée : de toute son âme, à feu et à sang, pour lui transmettre un petit peu de lui tout en lui volant un petit peu d'elle, pour la transpercer sans la blesser ni la laisser fuir. Pour lui faire comprendre qu'il ne l'abandonnerait plus. Pour lui faire comprendre qu'il ne la laisserait plus jamais partir. Pour lui faire comprendre qu'« éternité » était l'anagramme d'« étreinte ».

Lorsqu'ils se séparèrent, il garda son visage incliné tout contre son front, et ils restèrent ainsi un long moment, bercés par un mouvement inconscient, sans se soucier du temps qui passait ni du monde qui tournait.

– Toi et moi, c'est pour de vrai ? demanda-t-elle enfin.

– Je ne suis revenu que pour ça, répondit-il.

Elle inspira à fond, puis recula un peu son visage pour pouvoir lui parler :

– J'ai tout avoué à Ron. Il sait tout.

Drago ne répondit pas tout de suite. Il caressa son visage, à la recherche du moindre souci, de la moindre hésitation. Elle avait peur, bien sûr. Mais ce qu'elle avait dit dépassait toutes ses espérances :

– Ça veut dire que... tu restes avec moi ?

Il avait peur de demander, tellement peur de la réponse...

Elle acquiesça :

– Je suis à toi... Je veux vivre avec toi. Je suis prête, prête à tout affronter... Toujours.

Il la contempla, totalement bouleversé. Il n'y tint plus : il sourit lui aussi, et ils éclatèrent de rire comme deux enfants heureux de se retrouver. Il voulut l'embrasser de nouveau mais elle lui posa un doigt sur la bouche :

– Ron et moi allons nous séparer, dit-elle. Je veux faire ça dans les règles. Nous allons devoir l'expliquer aux enfants, à ma belle-famille, à nos amis... Les médias y consacreront sans doute quelques articles. Mais ce ne sera rien comparé à ce qui nous attendra, quand... le reste du monde saura. Pour toi et moi.

– Je croyais que tu pouvais tout affronter.

– J'y suis déterminée. Je te le promets.

Elle pressa sa main tout contre son cœur, comme pour le rassurer :

– Mais je vais faire du mal à beaucoup de gens. Tu le sais. Alors, je veux rendre le processus le moins douloureux possible. La presse ne devra pas savoir pour toi et moi, tant que le divorce n'aura pas été prononcé.

– Et ta belle-famille ? Potter ?

– Ron leur a probablement déjà dit la vérité. Ce sera très difficile, je ne m'attends pas à ce qu'ils l'acceptent... Les enfants vont sans doute me détester... Mais ils ne parleront pas aux médias. Ils n'infligeront pas cette souffrance à Ron. Nous aussi, nous devrions... lui accorder un peu de temps.

Drago la considéra pensivement, caressant ses cheveux, et ne pouvant s'empêcher de sourire.

– Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle, avec la même complicité que six années en arrière.

– Tu es toujours la même, souffla-t-il. Tu n'as pas pu te contenter d'agir sur un coup de tête, tu as déjà ... tout planifié...

Il l'embrassa sur le front, et reprit plus sérieusement :

– Je sais que des épreuves très difficiles t'attendent. Mais je serai avec toi.

Et lorsqu'il le prononça, ce serment ne lui parut plus aussi irréel. Peu importait l'avenir qui s'annonçait devant lui. Il l'entamerait fièrement, et Hermione en ferait partie.


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