Aveu

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Dans la lueur du crépuscule, la forêt s'irisait de pourpre et d'or, inscrivant dans les arbres la signature de l'automne. Hermione contemplait ce spectacle depuis la fenêtre de son bureau, chez elle, dans la maison où elle avait emménagé à la campagne depuis cinq ans, avec Ron et les enfants.

Ils l'avaient fait d'un commun accord. Une manière de laisser le passé derrière eux, et de s'accorder une nouvelle chance. Cela n'avait pas vraiment été une erreur. Ces années avaient été heureuses. Et paisibles.

Mais aujourd'hui, comme les feuilles mourantes emportées au loin, comme le soleil qui embrassait la terre pour mourir, Hermione sentait qu'elle était arrivée au terme d'un long chemin. Et c'était comme si une part d'elle-même l'avait toujours su. La rencontre à la gare avait été décisive, mais elle n'était que le point d'orgue d'un phénomène enclenché depuis de nombreuses années. Peut-être même avant qu'ils n'emménagent dans cette maison.

Comme si, consciemment ou non, Ron et Hermione avaient pressenti cette fin qui se profilaient à l'horizon, et qu'ils s'étaient accordés du temps, pour se dire au revoir. Pour se séparer. Guéris.

Aujourd'hui, par-delà la tombée du jour, Hermione percevait l'aube qui se lèverait bientôt. Ses rêves. Ceux qu'elle avait reniés, réprimés, refusé d'admettre ou d'affronter. Aujourd'hui, elle n'avait plus peur de les regarder dans les yeux. Elle aurait toujours peur. Mais plus de la lumière.

Hermione se frotta les yeux, consciente de se perdre dans ses pensées pour éviter l'inévitable. Elle savait ce qu'elle voulait, et elle n'avait plus peur de l'accepter. Désormais, son unique crainte était d'échouer. De perdre. Tant de choses à perdre...

Ses paumes se faisaient moites sous l'appréhension. Son crâne lui donnait la sensation d'exploser. Sa tension montait en flèche pour aussitôt replonger. Elle ne le supporterait pas une seconde de plus. Hermione prit le livre de Malefoy sous le bras et descendit au salon.

Ron était occupé à alimenter le feu de cheminée. Rose était à Poudlard. D'après les premières lettres qu'elle leur écrivait, elle se plaisait à Serdaigle, et profitait de la compagnie de ses cousins. Hugo, lui, savourait sa dernière semaine de vacances chez ses grands-parents. Cela faisait quatre jours depuis la gare. Quatre jours d'intenses réflexions, où Hermione avait vu ses décisions repoussées depuis si longtemps devenir enfin réalité.

Ron sourit en la voyant descendre, et leur servit un verre de vin devant le foyer.

– Tout va bien ? demanda-t-il, remarquant son air soucieux. Tu t'inquiètes encore pour Rose ?

– Non. Enfin si, un peu. Ça me passera.

Elle eut un sourire d'excuse, sur lequel il ne la charria pas.

– Ecoute, je pense qu'il faut qu'on discute, dit-elle histoire de ne plus pouvoir reculer.

Il comprit tout de suite. Elle avait pris ce ton qu'ils n'employaient que lorsqu'ils abordaient les jours sombres qui les avaient divisés. Leur existence ces cinq dernières années s'était résumée à une joyeuse insouciance. Sans doute l'une des meilleures façon d'aborder la vie. Mais entre cette sérénité consommée, de petits fragments de réel venaient parfois se glisser, leur rappelant le monde autour d'eux, ce qu'ils avaient vécu, et ce qu'ils incarnaient vraiment l'un pour l'autre.

Ron but une gorgée de son vin puis acquiesça :

– D'accord.

Hermione s'efforça de le regarder dans les yeux, et de se faire la plus douce possible :

– C'est... la grande discussion. Tu le sais, n'est-ce pas ?

– Oui.

– Je pense que c'est le bon moment... Les enfants sont grands. Nous sommes encore jeunes. Nous avons réparé... tout ce que nous avons pu réparer. Nous avons vraiment essayé. Mais je crois que toi et moi savions ce qu'il en était vraiment...

– Se dire au revoir...

– Oui.

Elle laissa passer quelques secondes, le temps de laisser les flammes absorber ses paroles :

– Je crois qu'on devrait se séparer. Nous avons grandi, nous avons... mûri. Nous avons notre vie à bâtir. Ce n'est pas une fin, loin de là.

Elle lui pressa la main, peut-être parce qu'elle savait que ce serait peut-être sa dernière occasion de le faire :

– Et tu es mon ami. Je t'aime. Je ne peux pas prédire ce qui se serait passé si les choses avaient été différentes, nous sommes au-delà de tout ça maintenant... Mais je trouve que nous sommes sortis de cette épreuve d'une manière plus qu'honorable.

– Je le pense aussi.

Ron avait les larmes aux yeux, mais il souriait. Il répondit à la pression de sa main, et tout aurait pu s'arranger ainsi. Tout aurait pu être si parfait. Mais Hermione avait une dernière chose à dire. La vérité. La vérité sans laquelle elle ne pouvait espérer vivre, du moins pas dignement.

Elle lâcha la main de Ron et lui tendit le livre :

– Je voudrais que tu lises ça.

– Le bouquin de Malefoy ?

Ron fronça les sourcils, l'émotion aussitôt remplacée par le dégoût :

– Pourquoi est-ce que je lirais un truc pareil ? Je te l'ai déjà dit, je me moque des salades que ce type a pu écrire.

– Ron. Tu vas lire ce livre. Et alors, tu auras la réponse que j'ai toujours refusé de te donner.

Elle abandonna le livre sur ses genoux et sortit dans le jardin. Ron, stupéfait, avait néanmoins affiché une lueur de compréhension qui la terrifiait.

Il lut le livre, jusqu'à la dernière page. Il dut même le lire plusieurs fois, car il ne quitta pas le salon de toute la nuit, alors qu'elle était rentrée par la porte de derrière pour se réfugier dans son bureau. Elle n'avait pas dormi. Trop consciente de ce qu'elle venait de détruire. De ce à quoi elle venait de renoncer. Pressée d'entrer dans ce qui allait suivre, et redoutant que ce futur ne lui échappe, encore une fois.

Au petit matin, elle entendit des pas dans l'escalier. Ron entra dans la pièce sans frapper. Son visage était blême. Il posa le livre sur une étagère de la bibliothèque, à gestes lents. Ses yeux se fixaient sur elle sans oser y rester, dérivant dans la pièce, ses poings se contractant de manière compulsive :

– Malefoy..., finit-il par dire, et ce mot semblait lui être arraché. Je n'arrive pas à croire que tu...

Il pressa une main sur ses lèvres, avant d'en dire trop. Que de tension dans ce corps pris de tremblements. Hermione percevait l'effort qu'il faisait pour se contrôler, pour ne pas céder, pour résister à la douleur de cette vieille cicatrice qu'elle venait de rouvrir à vif. Elle lui en fut reconnaissante. Plus qu'elle ne pourrait jamais l'exprimer en mots. Ronald Weasley était décidément un homme fondamentalement bon. Et jamais elle ne s'était sentie plus idiote de le laisser tomber. Plus ingrate. Plus méprisable.

Mais elle traînait déjà son lot de culpabilité derrière elle, et elle l'avait accepté. Elle avait pris sa décision. Il n'y avait plus de retour en arrière possible.

– Je vais partir quelques temps, pour te laisser seul, et... réfléchir calmement, risqua-t-elle aussi délicatement qu'elle le put. A moins que tu ne veuilles aller chez Harry et Ginny.

– Je ne sais pas.

Il avait répondu sèchement, mais elle ne pouvait lui en tenir rigueur. Ses jointures devenaient blanches sous la pression de ses muscles. Il ne la regardait plus du tout. Mais elle pouvait suivre le cheminement de ses pensées, car ils se connaissaient, car ils s'étaient côtoyés pour le meilleur et pour le pire, aussi profondément que ce serment l'impliquait. Elle savait qu'à cet instant, il se raccrochait désespérément à l'affection qu'il avait pour elle. A l'amitié qui les unissait encore inconditionnellement, quelques heures plus tôt. A ce lien qui les marquerait toute leur vie, et qu'il ne fallait surtout pas gâcher. Ron tentait de se focaliser sur tout cela, de rationaliser, alors que sa nature toute entière le poussait à la fureur. Il gagnerait ce combat. Cela aussi, Hermione le savait. Mais il lui faudrait du temps.

Finalement, Ron lui tourna le dos :

– Je vais chez Harry, dit-il. J'ai besoin de parler.

Quelques minutes plus tard, il remontait la fermeture éclair d'un grand sac de sport contenant quelques vêtements, et il transplanait loin de la vérité, et loin d'elle.

Hermione demeura seule dans son bureau vide. Plus que jamais, elle avait conscience d'être à un tournant de sa vie. Plus que jamais, elle appréhendait les jours à venir. Et pourtant, un sourire s'épanouissait dans son cœur. Car elle s'était délivrée du secret. Elle était libre. Pour la première fois depuis ce premier jour où ils s'étaient aimés, elle appartenait à Drago, entièrement et sans la moindre limite à l'horizon, à cœur perdu.

Dans un parc à plusieurs kilomètres de là, Drago Malefoy goûtait lui aussi aux merveilles de l'automne. Sa saison préférée, tout comme celle d'Hermione. Il sentait aux regards qui venaient parfois se poser sur lui qu'il était reconnu. Ses nombreux passages médiatisés avaient contribué à sortir son visage de l'oubli, alors qu'il s'y était si férocement employé pendant de nombreuses années. Mais c'était un risque qu'il assumait. Et puis aujourd'hui, les regards étaient différents. Il  n'irait pas jusqu'à dire qu'ils étaient chaleureux. Mais au moins étaient-ils... curieux. Désireux de comprendre. Circonspects.

On lui accordait le bénéfice du doute, et c'était tout ce qu'il avait jamais demandé.

Là où sa voix intérieure aurait lancé une remarque acerbe, quelques années plus tôt, elle demeura cette fois-ci silencieuse. Ses conflits s'étaient tus depuis longtemps. Tout juste revenaient-ils parfois le titiller de leur humour mordant. Mais c'était devenu une épreuve agréable.

Se levant du banc où il s'était assis, Drago entreprit un tour du parc, en longeant le lac pour rejoindre la roseraie. L'odeur lui rappelait celle du Manoir, où il n'avait pas remis les pieds depuis que son père l'avait déshérité. Il respira à pleins poumons, et fut surpris de découvrir qu'enfin, il pouvait apprécier le parfum des roses librement, sans entraves sur ses épaules. Il se sentait bien. Il avait trouvé une force, au fond de lui, qui surmontait toutes ses craintes. Jamais il ne s'était senti aussi confiant, aussi digne, et aussi serein.

Une voix le tira soudain de ses réflexions. Il se retourna. Il n'était pas sûr d'avoir bien entendu. Une silhouette se dessinait pourtant au bout du sentier, au milieu des roses. Comme sortie d'un autre temps. Pétrifié par le choc, Drago ne parvenait plus à trouver ses mots pour décrire à quel point elle était belle, et encore moins pour lui répondre. C'était bien elle.

Daphnée.


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