Contradictions

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La petite note en papier virevolta quelques instants, décrivit deux trois cercles élégants au-dessus du bureau, puis se posa avec une grâce affectée, s'époussetant tel un cygne lissant ses plumes. Hermione tendit la main, s'en saisit, et déplia sans douceur l'origami ensorcelé. Dans une encre noire velours, l'écriture hautaine de Malefoy – car il trouvait le moyen d'être hautain, même en écrivant – avait tracé ces mots :

« Café, ce soir, 18h ? »

Hermione froissa la note entre ses mains et la jeta dans la corbeille. Elle rata son coup, l'envoyant rebondir à l'autre bout de la pièce, et la feuille de papier frétilla d'un air indigné.

Hermione soupira.

« Ne pense pas à ça, n'y pense pas... »

Mais à quoi pouvait-elle penser d'autre ? Depuis une semaine, elle ne pensait qu'à ça. Elle faillit sauter au cou de sa secrétaire lorsque cette dernière lui apporta un nouveau dossier à traiter. Depuis quelques jours, elle se montrait particulièrement zélée vis-à-vis de ses dossiers.

Une demi-heure s'écoula dans une fausse application, Hermione s'efforçant d'oublier les tourments de son esprit en se plongeant dans les tourments des autres. Au département de la Justice magique, ce n'étaient pas les tourments qui manquaient.

On était mardi matin, il était 9h30, et Hermione en était déjà à son troisième café.

On était mardi matin, et une semaine s'était écoulée depuis le baiser.

Seigneur, le monde semblait ne plus tourner qu'autour de ça désormais. Et Hermione en voulait à Malefoy. Dieu qu'elle lui en voulait. Ce geste, ce baiser stupide, ça avait tout changé. Il avait transformé son monde. Sans la prévenir, Malefoy lui avait tout pris. Tout ce qui lui appartenait : sa vie, son quotidien, rien n'était plus pareil. Hermione ne voyait plus le monde qu'à travers le filtre de ce baiser qu'elle sentait encore brûler sur ses lèvres...

Dieu qu'elle lui en voulait.

Elle enfouit sa tête entre ses bras en étouffant la rage qui bouillait en elle. Deux petits coups discrets à sa porte la firent sursauter :

– Désolé. Je ne voulais pas te faire peur.

« Oh non, mais qu'est-ce qu'il fout là... ? »

Malefoy était là. Debout, sur le pas de sa porte, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Il portait son habituel costume noir, ajusté au millimètre près, et qui avait le don de faire ressortir la pâleur surnaturelle de sa peau. Ses yeux, aussi. Ils étaient posés sur elle, jouaient avec elle, avec cette douceur incisive dont lui seul était capable, cette lueur d'amusement qui frôlait la moquerie et l'amour, tout cela à la fois. C'en était trop. Ces yeux allaient la tuer.

– Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle.

Elle était trop hébétée pour se rendre compte que leurs rôles s'étaient inversés. Malefoy, lui, sourit, et elle lut de la réserve dans cette expression.

« Tu réfléchis trop. Arrête d'essayer de le déchiffrer comme un traité d'Arithmancie ».

« Je vois tellement d'émotions sur son visage que j'en ai la tête qui tourne... »

Un mouvement à la périphérie de son regard eut tout de même le mérite de lui rendre son sang-froid : les allées et venues incessantes du personnel du ministère, dans le couloir, juste derrière Malefoy.

– Tu n'as pas peur que les gens te voient ? s'entendit-elle demander.

Malefoy se retourna, jeta un bref coup d'œil en arrière, et haussa les épaules :

– Avant, peut-être. Maintenant je m'en fous. J'ai autant le droit de me tenir là que n'importe lequel d'entre eux.

Quelque chose dans le cerveau d'Hermione eut encore le réflexe de noter à quel point il avait fait des progrès. A quel point c'était beau. Et puis elle le vit lui, magnifique, sûr de lui, presque intimidant dans ce costume noir, et soudain elle ne vit plus que ses lèvres, rouges, diaboliques, ce sourire désinvolte, insolent...

Elle se sentit partir à la dérive, et elle stoppa net le mouvement :

– J'ai du travail, je voudrais que tu évites de me déranger.

– Tu n'as pas répondu à ma note.

– Comme je te l'ai dit, j'ai du...

– Ni aux trois précédentes.

Sans demander la permission, il entra et s'appuya des mains sur son bureau. De cette façon, il emprisonnait son regard. Elle ne pouvait plus lui échapper, et elle le haït pour cela.

– Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il. C'est quoi, ton problème ?

– Malefoy, je...

– Je sais, j'ai compris : tu as du travail. Je veux juste te parler cinq minutes. Tu as cinq minutes, là ?

Hermione se recula et croisa les bras :

– Tu me laisses vraiment le choix ?

– Non, sourit-il. Si tu veux me virer, il faudra que tu appelles la sécurité. Et je doute que tu aies envie de m'attirer des ennuis, hein, Granger ?

Pendant un instant, cette réplique la fit horriblement penser au connard que Malefoy avait été à Poudlard, et elle en resta muette de stupéfaction. Puis il dit les mots que Connard Malefoy n'aurait jamais pu prononcer :

– Je sais ce qui ne tourne pas rond chez toi. C'est depuis la semaine dernière. C'est ma faute. J'ai déconné, je le sais.

Il baissa les yeux, comme s'il était gêné, comme s'il lui fallait trouver les mots justes. Lorsqu'il la regarda à nouveau, son visage, ses yeux, sa voix étaient imprégnés d'une horrible sincérité :

– Je n'aurais jamais dû faire ça. Je le regrette. Je m'excuse. Je ne sais pas ce qui m'a pris, c'était dans la folie de l'instant, je... Je sais que je n'avais pas le droit de te mettre dans cette situation. Je ne veux pas te créer d'ennuis. J'en ai déjà assez avec les miens. Mais tu vois, je crois que c'était juste...

Il soupira, se reprit :

– Tout allait tellement mal pour moi depuis tellement longtemps... Tu as été un peu... comme un rayon de soleil, tu vois ? Mais je n'aurais pas dû faire ça.

Il s'inclina vers elle, la força à le regarder dans les yeux, vraiment, alors qu'il prononçait ces mots terribles :

– Ça n'arrivera plus, je te le promets. Mais j'ai besoin de toi, Granger. S'il-te-plaît, ne me laisse pas tomber. Ne me laisse pas tomber parce que j'ai déconné encore une fois. C'est tout moi, ça, tu me connais. Je te jure que ça n'arrivera plus. Alors j'espère que tu vas arrêter d'ignorer mes notes, et arrêter de m'éviter... J'espère qu'on peut redevenir amis, comme avant, d'accord ? Tu es d'accord ?

Il ajouta avec un clin d'œil :

– J'ai besoin de ma professeur préférée...

A cet instant précis, et sans qu'elle comprenne d'où cet instinct lui venait, Hermione eut envie de lui crever un œil. Cet œil ignoble qui avait cligné pour elle. Et Malefoy, et ses paroles, et ses excuses à la con, qui venaient de balayer tout ce qu'ils avaient...

Elle perdit le cours de ses pensées. Elle l'interrompit net, lorsqu'elle comprit où cela la menait. Ou plutôt, c'était tout l'inverse. Elle ne comprenait pas ce qu'elle ressentait.

« Ressaisis-toi, ma fille, ressaisis-toi... »

En désespoir de cause, alors qu'elle n'écoutait plus qu'à moitié ce que Malefoy lui disait, elle acquiesça vivement. Il parut s'en réjouir :

– C'est réglé, alors ? Le café, 18h ?

– Oui, oui, c'est réglé.

Tout pour le faire sortir de son bureau, par pitié...

Il s'en alla enfin, et Hermione sentit la réalité se dégonfler comme un ballon percé. Son cœur semblait se contracter en elle, si fort, trop fort, il lui faisait mal, elle avait mal...

Pourquoi ?

Pourquoi avait-elle si mal ?

Pourquoi avait-elle envie de gifler Malefoy en pleine figure, de lui hurler dessus, de le prendre par les épaules et de le secouer ?

Il avait raison, la situation était réglée. Il avait mis un terme à tous les doutes qui l'habitaient depuis qu'il l'avait embrassée.

Depuis une semaine, Hermione avait fui Malefoy, parce que chaque seconde lui rappelait leur baiser, et surtout, chaque seconde faisait résonner contre son crâne des questions auxquelles elle n'avait pas envie de répondre. Des questions comme : « Mais comment lui faire comprendre que je ne veux pas d'une liaison ? Comment lui faire comprendre que je ne ressens pas ça pour lui ? Comment l'empêcher de recommencer, et que faire s'il recommence ? ». Elle avait angoissé,  torturée au fond de son lit jusqu'à n'en plus dormir, elle avait fui son bureau par des chemins détournés pour ne pas avoir à le croiser...

Et aujourd'hui, alors qu'il venait d'apposer un point final à toutes ces questions...

« Il a clarifié la situation. C'est parfait, ma fille. Tu n'as rien à lui faire comprendre, il a d'ores et déjà admis que c'était une erreur. »

« Mais justement ! Je... »

« Qu'est-ce qui te contrarie encore ?! »

Hermione serra les poings, très fort. Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle ne savait pas très bien si c'était de la rage ou de la peine.

– Pourquoi est-ce que je me sens blessée... ? murmura-t-elle pour elle-même. Pourquoi est-ce qu'une petite part de moi voulait... que ce ne soit pas une erreur ?

Elle éclata en sanglots, mortifiée et terrassée, se sentant trahie par sa propre conscience, par ses désirs dont elle découvrait l'existence à présent qu'ils semblaient à jamais hors d'atteinte.

Le soir au café, il fallut bien faire face. Hermione ne comprenait pas très bien ce tourbillon qu'elle ressentait. Elle plaqua un sourire de plâtre sur son visage le temps de comprendre.

Pour occuper Malefoy, elle le plongea dans une matière qu'il aimait bien : les Potions, et elle le laissa se démêler avec ses dosages et ses équations. Cependant, Malefoy n'était pas dupe :

– Hey, dit-il. On a fait la paix, non ?

« Putain, il n'aurait pas pu rester con ? »

Elle sourit :

– Oui, bien sûr.

Il la scruta attentivement pendant de longues secondes, comme s'il s'attendait à voir un alien sortir de son front, puis il lui pressa le bras et acquiesça. Le soulagement qu'elle lisait dans son regard la révoltait.

« N'acquiesce pas comme ça, espèce d'imbécile ! », avait-elle envie de lui hurler. « Arrête de t'excuser et regarde-moi ! Regarde-moi comme tu m'as regardée cette nuit-là ! Arrête de dire que c'était une erreur, tu n'as pas le droit de réduire ainsi ce qu'on a vécu ! Regarde-moi, embrasse-moi, dis-moi que ce n'était pas une erreur !!! »

Elle se leva en sursaut :

– Je dois y aller, articula-t-elle.

Elle prit son sac et s'enfuit vers la porte. Stupéfait, sans même prendre le temps de ramasser ses affaires, Malefoy la poursuivit dans la rue :

– Attends ! Granger ! Granger, qu'est-ce qui te prend ?!

Il n'eut pas de mal à la rattraper, mais elle ne le laissa pas la toucher :

– Je suis désolée, je ne peux pas...

– Bon sang, Granger, je t'ai dit que j'étais désolé...

– Je ne peux pas, je...

– Je ne peux pas passer cet examen sans toi. Je ne peux pas trouver la force de reconstruire ma vie si tu n'es pas avec moi pour m'aider, s'il-te-plaît...

Ces yeux, cette voix...

– Je regrette d'avoir déconné, je te le jure. Je...

Hermione n'en supporta pas davantage. Hermione le fit taire : elle se jeta sur lui et l'embrassa aussi fort qu'elle le put, sans la moindre retenue, passant ses bras autour de son cou pour l'empêcher de s'enfuir. Ce fut bref et brutal. Elle le relâcha presque aussitôt, à bout de souffle, avec le sentiment d'un condamné à mort qui vient de gravir sa dernière marche vers l'échafaud. Elle n'avait même plus la force de se demander ce qu'elle avait fait. Elle restait rivée au regard de Malefoy, qui dans sa surprise avait reculé, haletant lui aussi, incapable de parler. Dans ses yeux se déployait une énorme, une terrible, une totale incompréhension.


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