Lundi 1 juillet 2019

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Quand le réveil sonne, mon seul désir est de le balancer. Évidemment, je ne le fais pas. Encore moins parce que c’est mon portable. Je n’ai pas forcément de quoi à m’en payer un autre. En même temps, je l’admire d’être aussi résistant puisqu’il est quand même tombé plusieurs fois depuis qu’on a commencé notre vie commune.

Je me lève mollement. Je récupère mes vêtements qui traînent dans un coin. Pour travailler, je dois porter un pantalon noir ou beige avec des chaussures de la même couleur. En plus, j’ai un polo rouge et vert, avec la marque de la sandwicherie. J’ai l’habitude de l’appeler le polo tomate-salade.

Au moins, je n’ai pas de question à me poser. Je passe en coup de vent dans la salle de bains, histoire de me rafraîchir. Normalement, je travaille en continu de l’ouverture jusqu’au goûter.

Une fois prête, j’ouvre mes volets. Je les refermerais en partant. Il fait déjà chaud. Seulement, sinon je serais dans le noir. Pas simple pour se maquiller. Un rituel que je m’accorde tous les matins.

Mais avant toute chose, je récupère des biscuits au chocolat que je grignote avec un verre de thé glacé pour les faire passer. Je repense à Gautier. Est-ce qu’il va me faire la tête, lorsqu’il viendra manger son sandwich ce midi ? J’espère que non. Si j’étais courageuse, j’arrêterai les frais tout de suite. Parfois, je me demande pourquoi je m’accroche si je ne suis pas heureuse ? Sûrement parce que je suis stupide. Je souhaite toujours que les choses s’arrangent.

Je rêve de l’homme qui me protégera à tout prix. Ça n’arrivera jamais. Mieux vaudrait se faire à l’idée tout de suite. J’ai cru que Gautier pouvait être différent, mais ce n’est pas le cas.

Je finis mon petit-déjeuner, avant de filer brosser mes dents. Je reviens m’installer à table avec ma palette de maquillage. Je me la suis achetée avec le chèque de fin d’année qu’on a eu. Elle est d’une marque assez connue, son prix n’est pas donné. Je suis fière de l’avoir. Je sais que c’est ridicule parce que beaucoup de femmes l’ont acheté ou reçu en cadeau. Mais savoir que je l’ai me suffit.

Aujourd’hui, je mets du doré. Mais d’autres jours, j’utilise des couleurs plus flashy. Les collègues m’appellent l’arc-en-ciel. Ça me fait rire. Autant avoir un joli maquillage puisqu’on est doit porter le polo bordeaux à liseré vert sapin. Une merveille… N’importe qui en le portant, devient moche.

Je me presse pour ne pas arriver en retard. C’est moi qui fais l’ouverture ce matin. Du coup, j’ai intérêt à y être pour dix heures pile. J’attache mes cheveux de façon à ce que je puisse les glisser sous la charlotte facilement. C’est à se demander comment Gautier a pu me trouver attirante dans ma tenue d’employée de restauration.

Après un dernier tour sur moi-même pour ranger mon portable dans mon sac, je ferme la porte, et dévale l’escalier tel un cabri. Une fois en bas, je claque le battant, mais ne me mets pas en route tout de suite. Je vais m’assurer de quelque chose avant. Samedi soir, je n’ai pas fait ma boite aux lettres. Du coup, j’en profite pour y jeter un coup d’œil. Voir si quelque chose d’important s’y trouve. À croire que j’ai toujours de l’espoir. Je n’y aperçois que des publicités ou des factures. Je devrais m’abonner à un magazine pour y découvrir au moins un truc plaisant.

J’y vois aussi lesdites pubs qui arrivent souvent le samedi sans qu’on sache pourquoi. Un papier est posé sur le dessus. Une feuille blanche toute simple comme on en trouve partout. Cependant, j’ouvre de grands yeux en lisant les mots qui y sont inscrits « Je viens pour toi ! Tu es à moi ! ».

Face à la blague de mauvais goût, je ne peux m’empêcher de tourner la tête dans tous les sens comme si l’auteur allait se trouver caché dans un coin. Évidemment, il n’y a personne sinon madame Mornaux, qui me lance un regard noir. Qu’est-ce que j’ai encore pu faire de déplaisant ?

La vieille femme aux cheveux permanentés a l’habitude de surveiller tout le monde. Elle commente vos fréquentations, les courses que vous achetez, le nombre de fois où vous descendez l’escalier, le bruit que vous faites. Rien n’est laissé au hasard. Elle fait la gentille mamie inoffensive pour vous tirer les vers du nez, mais c’est une personne froide, et sans cœur. Sûr que si je suis poignardée devant elle, elle chronométrera le temps que je mettrais à mourir plutôt que d’appeler les secours.

– Encore à traîner du côté des boites aux lettres ? C’est une grande histoire d’amour entre vous ?

– Je regarde mon courrier.

Si on en a même plus le droit, où va le monde.

– Je vous trouve un brin passionné par les boites aux lettres. Attention, si vous venez à mettre des prospectus chez les autres, j’en serais avisée.

Mais qu’est-ce qu’elle me chante la sainte gardienne de l’immeuble ?

– Je prends mon courrier.

– On est lundi matin et le facteur n’est pas passé !

Est-ce qu’elle va me lâcher ?

– Je récupère celui de samedi.

– C’est ça ! Je vous ai à l’œil.

Je préfère me sauver. Je n’ai guère le temps de me battre avec une folle le matin avant d’aller travailler. Je jette les pubs qui ne m’intéressent pas. J’hésite quelques instants à me débarrasser de la feuille de menace, seulement la certitude que la commère va venir la récupérer pour la lire m’incite à l’emmener.

– Elle fait le courrier le dimanche soir et le lundi matin, grommelle la vieille femme dans mon dos. Je vais la surveiller.

En plus, madame Mornaux est sourde, donc on profite de tout ce qu’elle dit. Elle doit aussi être aveugle parce que je ne suis pas descendue à la boite aux lettres ce dimanche. J’ai passé ma journée à traîner en visionnant des séries. J’ai même pleuré quand un personnage est mort.

Je me mets en route d’un bon pas. La feuille dans ma main attire mon regard. Qui peut s’amuser à écrire des choses aussi horribles ? Et si c’était un pervers qui m’avait suivi jusque chez moi ? Je frissonne. Est-ce que je dois aller voir la police ?

Prenant une grande respiration, je me force à me calmer. Si ça tombe, c’est l’autre vieille folle qui met ça dans toutes les boites aux lettres. Ça ne m’étonnerait même pas qu’elle veuille faire fuir tous les habitants. Comme ça, elle aura l’immeuble pour elle seule.

Peut-être devrais-je en parler à Gautier ce midi, pour avoir son avis ? Il ne fera rien, mais au moins sera au courant. Je suis plus retournée que je ne le voudrais par cette histoire.

Je poursuis ma route. Mes pieds m’ont mené jusqu’au rond-point sans que je m’en aperçoive. Un coup d’œil à mon portable m’apprend que je dispose encore d’une demi-heure avant que n’arrive dix heures. Ça me rassure. Je continue pourtant sans ralentir. J’aime bien arriver un peu avant l’ouverture comme ça, j’ai le temps de me préparer tranquillement.

Mon esprit revient sans cesse à ce maudit papier. Je tourne les mots dans ma tête. Je les tords comme pour en extraire une signification inconnue. Ça me rappelle quelque chose, seulement je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.

Serait-il possible que ce soit lui ? Mon cœur manque un battement. Je pense à un homme que je veux plus que tout éviter, avant de me reprendre. C’est stupide. Pourquoi fait-il ça ? Si jamais il me cherchait, et venait à me trouver, nul doute qu’il se ferait connaître autrement. Il s’en fiche de moi. C’est ma mère qui l’intéressait, je n’étais que quantité négligeable, rien de plus.

Sans vraiment savoir pourquoi, je me mets à scruter tout le monde dans la rue. Un homme qui promène son chien en lisant le panneau d’affichage, une femme avec une poussette, deux ados… Il est peut-être temps d’oublier la paranoïa. Il n’y a que des gens normaux et sûrement personne qui m’en veuille. Ce mot, ce n’était peut-être pas pour moi ? Si la personne, c’était trompée de boites aux lettres ? Avec mon nom de famille dessus, j’en doute, mais quand même.

En arrivant au restaurant, je jetterai ce maudit papier. Aussitôt après avoir pensé ça, j’hésite. Si je devais le garder comme preuve ? Preuve de quoi d’ailleurs ? Si la police en avait besoin pour relever les empreintes ? Mes yeux se penchent sur mes doigts. Vu que je le tiens depuis tout à l’heure, ils ne retrouveront sans doute que les miennes.

J’arrive sur mon lieu de travail sans savoir quoi faire de la lettre de menace. D’un tour de clé, j’ouvre la porte arrière, celle réservée aux employés. Après un minuscule couloir, je tourne à droite, pour gagner le vestiaire. Là, on y retrouve une table placée contre le mur avec deux chaises, utiles lorsque l’on souhaite faire une pause tranquille. J’y pose mon sac. Avoir les mains libres est plus simple pour ouvrir son casier. Je fais glisser la molette afin de la placer sur les bons chiffres. Un petit cliquetis m’apprend que le verrouillage n’est plus.

Je m’empresse de récupérer l’horrible polo pour le mettre. Je vérifie que le badge à mon nom y est accroché. C’est le cas. Ensuite, je passe la charlotte en m’assurant que mes cheveux ne ressortent pas. Pour mes boucles d’oreilles, je ne peux porter que des clous pour le boulot. Normes d’hygiène quand on travaille dans l’alimentaire. Je le comprends très bien. Mais du coup, j’avoue n’avoir d’une paire de créole pour les autres jours. Peut-être que je me laisserai tenter pendant les soldes.

Je fais disparaître les pubs et la lettre de menace dans mon casier, mon sac les y rejoint. Mon portable gagne ma poche, avant que je ferme pour la journée. J’étire mes bras ainsi que mon dos. Je suis à présent prête pour me lancer au travail.

Première chose à faire : ouvrir. Ensuite, j’allume les machines. Une fois cela fait, je lave mes mains consciencieusement, avant de passer des gants. Je sors les ingrédients du frigo, contrôle leur fraîcheur et les mets dans la vitrine réfrigérée. Nous faisons les sandwichs directement devant le client. Un gage de qualité puisqu’il sait ce qui est utilisé.

Ensuite, je m’attelle au nettoyage de la salle. Il n’y a pas grand-chose à faire puisque le ménage ne date que de la veille au soir, seulement je préfère m’assurer que tout est en ordre. Après je pourrais aller préparer des denrées supplémentaires dans la cuisine.

Tout est prêt pour accueillir les premiers clients. Je me sens bien. Le fait d’être occupée chasse mes doutes. La lettre de menace disparaît de mon esprit.

Le temps passe tranquillement. Les gens viennent pour trouver tout ce qui peut leur apporter de la fraîcheur tant en nourriture qu’en lieu avec la clim. Le soleil tape déjà malgré l’heure matinale. Je suis en train de faire une glace vanille-fraise, lorsque Tiphaine surgit de derrière moi. Elle est en tenue. Trop prise par le travail, je ne l’ai pas entendu arriver. D’un sourire accompagné d’un petit geste de la main, je la salue.

Il me faut encaisser le produit avant toute chose. Les gens accueillent leur gourmandise avec bonheur. Ils partent s’installer dans un coin pour la déguster. Tous deux ont l’air très amoureux. Ça me serre le cœur. J’aimerais que quelqu’un me regarde comme ça. Que je puisse sentir que je compte un peu pour lui.

Comme il n’y a plus de nouveaux clients, je repasse du côté de la cuisine. Ma collègue a pris le relais de ce que j’étais en train de faire. Elle coupe le poulet en petits morceaux. Tiphaine me sourit. Avec son visage rond, et ses grands yeux noirs, elle me fait penser à une poupée. Ses cheveux bouclés, presque crépus ne laissent pas place au doute sur ses origines. Son métissage se retrouve plus dans ses traits que dans la couleur de sa peau, très pâle.

– Curry ou piment ?

Je comprends tout de suite la question : elle veut savoir l’arôme de la préparation.

– Curry.

J’ouvre le lave-vaisselle pour y ranger les récipients sales.

– Alors tu t’es bien reposé hier, me demande-t-elle.

– Oui, j’avoue que c’était bien.

– Tu as vu ton copain ?

Aussitôt mon sourire disparaît. C’est silence radio depuis samedi. À croire qu’il a zappé mon existence. Sur le coup, j’étais un peu triste. Ensuite, j’ai décidé de faire mon maximum pour m’occuper sans lui.

– Non, il ne pouvait pas.

Tiphaine fait la grimace.

– Il aurait au moins pu envoyer un SMS.

Je ne réponds rien. Il m’en veut sans doute pour la soirée de mardi. Dans un sens, c’est peut-être mieux. Il sait ce que je suis vraiment, à présent.

– Ce n’est pas grave…

– Oui, tu le verras quand il viendra manger.

Ma collègue me sourit. Elle n’a pas tort. Je pourrais peut-être prendre ma pause à ce moment-là, s’il n’y a pas trop de monde pour qu’on puisse parler. Seulement je ne sais même pas quoi lui dire ? Peut-être arrêter tout. Ça aurait été le plus logique. Il a eu l’air déçu. Sûrement que je ne suis pas la fille qui lui convient.

Alors pourquoi mon cœur se serre à l’idée d’être à nouveau seule. Mes précédentes relations n’avaient rien d’idyllique. En un sens, j’envie Tiphaine. Je l’ai vu avec l’homme qui partage sa vie. C’est clair qu’ils s’aiment.

Si seulement, je pouvais moi aussi, me promener main dans la main avec quelqu’un. Je nous imagine marchant ensemble, en discutant. De temps en temps, on s’arrêterait, puis on rirait. Ensuite, je me réveillerai sûrement.

Par l’ouverture qui donne sur le comptoir, je peux voir des clients arriver. C’est normal, il est bientôt midi. J’abandonne la cuillère dans le lave-vaisselle, avant de partir préparer les sandwichs.

– J’y vais.

Je dis ces mots tout en retirant mes gants pour les jeter et en récupère des nouveaux. Quand j’aurai terminé, je m’occuperai du repas de Gautier, en général, il arrive vers le quart. Je sais de tête ce qu’il prend. C’est toujours la même chose.

J’espère juste qu’il me parlera plus que samedi.

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