Soirée du mardi 25 juin

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Gautier est un passionné. Ça m’a toujours attiré chez lui. Quand il parle, tu sens qu’il croit à ce qu’il dit et qu’il veut te convaincre. Généralement, les gens ont tendance à se taire pour écouter ses arguments. En plus, il est calé sur un grand nombre de sujets. Moi, c’est simple, je ne suis jamais au courant de rien. La plupart du temps, je ne sais pas que les problèmes qu’on me décrit existent. Ou alors j’en ai une très vague idée, et pas le temps de me renseigner.

J’en suis réduite à hocher la tête bêtement. Parfois, j’avoue que je n’ai pas vu les choses ainsi. Une excuse pour ne pas admettre que je ne les ai pas vus du tout.

Après si ça m’intéresse, ça ne me dérange pas d’en parler. Par exemple, je me pose beaucoup de questions sur la série policière « la loi de Palshon ». J’ai des théories, pour moi, le frère du héros ne serait pas mort, et serai même le tueur. Réfléchir sur les indices dans les différents épisodes, je pourrais y passer un temps fou.

Mais la déforestation ou la politique écologique mise en place par le pays, ça me laisse de marbre. Dommage que ce soit le sujet préféré de Gautier et ses amis. Il m’a d’ailleurs demandé de venir avec lui, pour me présenter les gens qui lui sont proches.

C’est comme ça que je l’ai accompagné avec un gâteau au chocolat que j’avais préparé l’après-midi même. Mon estomac était noué. J’ai toujours un peu d’appréhension quand je dois rencontrer des inconnus. On ne sait jamais comment ça pourrait se passer.

Gautier est venu me chercher en voiture. J’avais mis une petite robe blanche à fleurs bleues, ressortie pour l’occasion de mon placard. Je l’avais acquise en solde l’année dernière. Elle était toujours aussi jolie. Je m’attendais à un compliment puisqu’en général les gens trouvaient qu’elle m’allait bien.

Seulement, ce n’est pas ce qui a retenu son attention. C’était plutôt le cake que j’avais placé dans une assiette pour faciliter son transport.

– Tu as mis du papier aluminium, dessus ?

J’ai hoché la tête en me demandant pourquoi il posait la question puisqu’il le voyait par lui-même.

– Tu sais que c’est cancérigène ?

J’ai avoué mon ignorance. En même temps, je ne savais pas quoi mettre pour tenir le gâteau dans le récipient. Le film plastique allait sûrement poser problème. Finalement, plutôt que de me torturer l’esprit, je lui ai posé la question.

– Il existe du film alimentaire lavable.

Première nouvelle. Je m’imaginais déjà me battre avec une éponge et un bout de plastique au-dessus de mon petit évier.

– C’est du coton qui est enduit de cire d’abeille.

– D’accord. Du coup, je fais quoi avec le gâteau ?

Parce que son invention miracle, je n’en avais pas à disposition.

– Ça ira pour ce soir. De toute façon, le papier a déjà touché le produit alimentaire. Au moins, je saurais quoi t’offrir pour ton anniversaire.

À ces mots, il démarra. Sans qu’il s’en rende compte, ça m’avait mis un petit coup au moral. J’aurais aimé un cadeau un peu plus personnel, cependant je ne dis rien.

Enfin si, la première chose qui me passa par la tête. C’était toujours comme ça, avec moi. Je formule un truc sans m’attendre à ce que les autres rebondissent dessus ou lancent une réflexion profonde sur le sujet.

– Mais ce n’est pas mauvais d’utiliser de la cire d’abeille ? Je croyais qu’il fallait laisser les animaux tranquilles ?

Aussitôt, Gautier est parti dans une explication assez longue, sûrement parce qu’elle se voulait complète. J’ai ainsi entendu parler de l’apiculture naturelle qui était respectueuse des abeilles.

Heureusement, ses amis n’habitaient pas loin. En sortant de la voiture, il abandonna la discussion sur le miel et ses bienfaits. J’en profitais pour lâcher que je connaissais une recette de pain d’épice que j’avais fait à Noël, et que tout le monde avait apprécié. Je n’obtins aucune réponse sur le sujet. Dommage parce que j’aurais aimé lui faire goûter, et avoir son avis.

Il a pris ma main dans la sienne, avant de me glisser qu’il adorait mon humour si particulier. Je me suis demandé ce qu’il avait pu trouver drôle. Je n’avais fait qu’énoncer une vérité. Du coup, j’ai préféré me taire pour plus de sécurité.

Nous sommes montés à pied, malgré la présence d’un ascenseur. Gautier pense qu’utiliser de l’électricité pour faire une chose qu’on peut réussir à faire sans est inutile. J’aurais pourtant aimé ne pas grimper quatre étages. Mes chaussures à talons sont certes jolies, mais aussi assez inconfortables.

Une fois, dans le couloir, il frappe à la porte centrale. Une personne ne tarde pas à nous ouvrir. Elle est brune avec les cheveux en bataille et nous fait un sourire accueillant, alors que nous entrions. Je lui tends mon gâteau. Elle le prend, même si je sens bien qu’elle ne cautionne pas le papier d’aluminium qui le recouvre.

Mon cœur s’est mis à battre plus fort. La soirée allait être longue.

Gautier m’a présenté ses amis : Noé, un grand brun qui parait assez taciturne, Quentin, qui sautille sur sa chaise, et la jeune femme qui nous avait ouvert Chloé.

Après les présentations d’usage, ils ont enchaîné sur une manifestation qu’ils devaient faire ensemble. Je n’étais pas au courant, mais pour une fois, j’étais au courant qu’une marche pour le climat devait être organisée en ville.

– Tu nous accompagnes, Victorine ? demande Quentin, en abandonnant définitivement son siège.

Je me suis tordu les mains d’appréhension. Je ne sais pas quoi répondre. Comme tout le monde parait pendu à mes lèvres, j’ai fini par ouvrir la bouche.

– C’est à quelle heure ?

– Ce samedi à quatorze heures.

J’ai baissé les yeux.

– Désolée, je travaille.

Je ne mens d’ailleurs pas. Je remplace Céline qui doit aller à un baptême.

– Elle est esclave dans une sandwicherie, a lancé Gautier.

Sa formulation m’a choqué. Je ne ressentais pas les choses ainsi. Je travaille, je ne demande rien à personne et je vis ma vie tranquillement.

– C’est quoi tes plans pour la suite ? m’a questionné Chloé.

Comme je ne réponds pas assez vite, elle m’a fait un sourire encourageant.

– Je… Je ne sais pas…

J’ai l’impression d’être la cible de toutes les attentions. Mes joues sont devenues rouges, je peux les deviner me brûler.

– T’as fait quoi comme étude ?

Je me suis sentie mal. Ils ont beaucoup parlé de l’université. C’est ainsi que j’ai appris que Gautier travaillé en attendant de pouvoir avoir une place dans la filière qu’il a demandée.

– J’ai juste un diplôme de service en restauration.

Le silence s’est fait. J’ai jeté un froid. Chloé a repris.

– Pourquoi tu n’ouvrirais pas ton propre restaurant ?

Un brouhaha a suivi la déclaration.

– Un bar à soupe et à salade ! Y en a même pas dans cette ville.

– Avec des produits de saison !

– Je connais un maraîcher bio…

Pendant plusieurs minutes, ils ont continué à discuter. Alors que Noé a sorti un carnet pour noter les idées de plats qui intéressent tout le monde.

– Alors ? m’a demandé Gautier, en me regardant droit dans les yeux.

– C’est génial !

Je n’ai pas eu le courage de dire autre chose. C’est reparti de plus belle. Le sujet a eu au moins le mérite de les occuper pendant un moment. Jusqu’à ce qu’on parle financement, là, l’allure s’est ralentie, et le flot de paroles, c’est tari.

– Et tes parents ?

Cette question m’a vraiment mise mal à l’aise.

– Mon père est décédé, et ma mère ne peut pas m’aider…

Je n’ai pas raconté toute la vérité. Je n’ai envie d’en parler à personne. En général, les gens pensent sincèrement qu’ils peuvent comprendre. Mais ce n’est pas le cas. Je ne dis pas qu’ils ne font pas d’effort juste que certaines choses sont difficiles à appréhender si on n’y est pas confronté.

– Désolé.

Ils s’excusèrent, et la mort de mon père eut au moins le mérite de me sauver. Les conversations reprirent sur un autre sujet. Je tente de suivre, mais je dois avouer que soit je suis perdue, soit je n’ai pas d’avis sur la question. Malheureusement pour moi, dans leur grande gentillesse, ils voulurent m’inclure dans leur échange.

– Et toi, Victorine, tu as vu des reportages sur l’incendie de la forêt Amazonienne ?

Évidemment non, seulement je ne veux pas avoir l’air stupide alors je dis le contraire.

– Qu’est-ce que tu as pensé en voyant ça ? s’énerve Quentin.

Et moi, dans ma grande intelligence de répondre :

– Ça va tuer les insectes…

– Mais tu as tellement raison, s’écrie Noé. En plus, il y a des tas d’espèces rares qui vivent en ces lieux. La forêt Amazonienne est un cadre exceptionnel qui accueille une biodiversité des plus intéressantes. Je connais quelqu’un…

Le débat reprend, et je suis soulagée d’avoir réussi à feinter toutes les personnes présentes. En attendant, je vais sûrement devoir réviser la prochaine fois. J’en panique d’avance. Est-ce qu’il existe un site qui te résume les sujets importants du monde contemporain, en terme simple et avec le moins de mots possible ?

Plongée dans mes pensées, j’en oublie la conversation qui continue. L’arrivée du repas sous la forme d’un apéro dînatoire me sauve. Si l’on me pose une autre question, je ne suis pas sûr de réussir à m’en sortir sans dévoiler ma méconnaissance du sujet.

Sur la table, une tarte soleil fourrée au pesto rouge, se voit accompagnée d’acras de légumes, et de muffins à la couleur verte. Le repas me paraît sympathique. J’ai un peu honte de mon gâteau au chocolat. Il faut avouer qu’il a une sale tête, mais si le goût est bon, pourquoi pas.

– Tu es timide, remarque Noé.

Cela me ramène à la réalité. À la vérité, ce n’est pas que j’ai peur de parler avec les autres, c’est plutôt que j’ai peur de passer pour une idiote. Du coup, j’ai baissé les yeux.

– Un peu…

Une réponse qui ne veut rien dire, mais dont ils se contentèrent.

Les discussions reprirent sur le thème de l’université et des études, quand brusquement une remarque me ramena au moment présent.

– Il y a des nouveaux vernis à ongles qui sont naturels, maintenant, déclare Chloé, sûre d’elle.

Une phrase qui retint mon attention. Il faut avouer que je m’y connais sur le sujet. Je prends souvent le temps de regarder les nouveautés en maquillages. Je suis le genre à savoir que la collection jungle de la marque Sarafor comporte douze vernis, dont trois de types holographiques. Étrangement, je garde bien cela en tête.

– Il y a plusieurs sortes de vernis naturels. Ceux qui se retirent à l’eau, ou ceux qui sont sans produit chimique. Il y a aussi ceux qu’on peut faire soi-même.

– Qu’on peut faire soi-même ? répète Chloé. Mais comment ça marche ?

Objet de toute l’attention, je me sens soudain très mal. J’ai peur qu’on me pose d’autres questions auxquels je ne saurai pas répondre.

– En gros, on peut commander des kits sur internet. La couleur du vernis est obtenue à partir d’ingrédients naturels comme du radis.

– J’aimerais tellement tester ça. Tu en mets, toi ?

Noé l’interrompt.

– Tu vois bien que non, alors ne pose pas des questions stupides. C’est toxique pour la santé ces produits. En plus, ça ne sert à rien.

La brune hausse les épaules.

– Ça sert à faire beau.

Elle se tourne vers moi.

– Y a quelles couleurs qui existent ?

– Beaucoup de rouge et rose, mais pas que. On peut aussi faire du vert ou du bleu.

– J’aimerais beaucoup du bleu, tu as l’adresse du site ?

Je hoche la tête alors qu’elle me tend un papier pour que je note. J’avoue que je suis plus à l’aise. C’est plus simple de parler quand on ne craint pas de dire de bêtises.

Arrive le dessert, où ils me félicitent pour mon gâteau. Cela doit être de la gentillesse puisque celui aux poires qui l’accompagne est beaucoup plus beau. Je me sens culpabiliser. Décidément, je ne réussis rien.

Mis à part mes sandwichs qui ont une apparence normale, par force de l’habitude, le reste est très moche. Pas mauvais, mais laid. Comme ce que je tente de dessiner ou de modeler. Quand on n’a aucun talent, on n’essaye pas de faire illusion, me répétait ma mère.

La soirée touche à sa fin. On s’embrasse et on promet de se revoir. Je sens que ma performance a été minable. J’ai peur d’avoir fait honte à Gautier. Mes mains se crispent sur l’assiette qu’ils ont eu la gentillesse de laver pour me la rendre.

Nous retournons en silence à la voiture. Alors que j’attache ma ceinture, je sens l’anxiété me nouer le ventre. Dans quelques instants, mon amoureux va se mettre à parler. Il tourne la clé pour démarrer le moteur, et nous quittons le parking.

– Tu les as trouvés comment ?

– Très gentils.

Je ne mens pas. Ils ne sont pas méchants. C’est juste moi qui ne suis pas assez cultivé.

– Tu n’as pas beaucoup parlé…

– Je…

Dois-je jouer la carte de la timidité ?

– Ce que je ne comprends pas, continue-t-il, c’est que pour discuter de choses futiles, tu paraissais à l’aise.

Mon cœur se met à battre plus fort.

– Je n’aime pas donner mon avis…

C’est vrai en plus. Je ne le fais pas parce que j’ai peur des disputes.

– Pourquoi ? Personne ne t’en voudra ? Regarde quand tu as parlé des insectes, on voit que tu as des connaissances.

Évidemment, je ne peux pas lui dire que j’ai dit ça en tentant de faire une blague.

Gautier soupire, alors qu’il enclenche son clignotant.

– Des fois, je ne te comprends pas. C’est à croire que tu veux absolument te donner une image de poupée mannequin stupide. Tu pourrais faire plein de choses, mais tu restes à faire des sandwichs sans oser avoir de grands projets.

Je ne réponds pas. Je n’y parviens pas parce que ma seule envie est de me mettre à pleurer. Je me sens mal. Encore une fois, on me reproche de ne pas être comme on souhaiterait que je sois. C’est pas ma faute si je suis idiote.

– Pourquoi tu te concentres sur le maquillage, les vêtements et les chaussures ? Sincèrement, j’ai parfois l’impression que tu veux donner une image de bimbo sans avoir la tenue vestimentaire qui va avec. Ça n’a rien de séduisant, tu sais.

Le silence se fait.

– Je ne dis pas ça pour être méchant. Juste parce que je voudrais que tu sois épanoui.

Je n’arrive pas à desserrer les dents. J’ai mal au cœur. J’ai bien conscience que comme d’habitude, je n’ai pas réussi à faire illusion. Il va me quitter comme tous les autres. Ce n’est de ma faute, je sais très bien que je ne suis pas intéressante.

Au prix d’un grand effort, je desserre les dents.

– Je vais faire de mon mieux.

Il se gare devant mon immeuble. J’ouvre la porte, fébrile. J’ai envie de partir au plus vite.

– Tu pourrais être tellement plus attachante. Je suis sûr que tu veux que les gens s’intéressent à toi.

– Oui…

J’attends avec mon assiette. Mes doigts se serrèrent sur elle, jusqu’à ce que mes jointures deviennent blanches. J’ai qu’une envie : courir pour rentrer chez moi me cacher.

– Enfin…

Il s’interrompt.

– Passe une bonne soirée.

– Oui, toi aussi.

Il ne se penche pas vers moi, pour m’embrasser. Il est déçu.

– On se revoit demain, à midi.

J’essaie de sourire en disant ces mots.

– Je te préparais ton sandwich, comme ça, tu n’auras pas à attendre.

Gautier hocha la tête.

– J’aime bien quand c’est toi qui le fais.

Alors que les coins de ma bouche se redressent, il poursuit sa phrase.

– Au moins, je suis sûr que tes gants n’ont pas touché de viande.

Je me fige, ce n’est pas la déclaration que j’attendais. En plus, j’ai honte parce que je ne sais même pas si c’est vrai. Normalement, on doit changer de gants à chaque nouveau client, seulement si je prépare de la viande dans la cuisine, je peux oublier. Sans le faire exprès, mais oublier quand même…

– Je fais de mon mieux.

Il hoche la tête.

– Je suis fatigué. Je vais retourner chez moi.

Un moyen de me faire comprendre qu’il veut que je parte. Alors sans un mot, je ferme la portière. Après un dernier signe de la main, je rentre dans mon immeuble. Je monte les trois marches qui y mènent, déverrouille la porte et fonce sur l’ascenseur. Il m’attend et je m’y engouffre au moment où les premières larmes coulent sur mon visage. Je gâche tout et je pleure tout le temps.

Toutes mes relations amoureuses sont nulles. Les hommes bien me quittent, parce qu’ils en ont assez de moi. Les autres… Me rendent malheureuse…

Quatrième étage, j’abandonne le confort de la cabine et le spectacle pathétique d’une fille larmoyante dans le reflet du miroir. Si je ne souris pas, je vais être laide…

Mon sourire, c’est la seule chose que j’ai pour moi, disait ma mère. Sans lui, je ne suis pas grand-chose. Qu’importe, j’ai juste envie de me jeter dans mon lit et pleurer. Ce que je m’empresse de faire une fois en sécurité chez moi.

J’aimerais pouvoir intéresser quelqu’un. Vraiment…

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