Partie 4

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Descendre dans les ténèbres, elle a bien choisi ses mots, songea Alister. Cela devait faire pas loin d’une heure qu’il crapahutait dans cet interminable escalier, prisonnier de son obscurité, il progressait guidé par le contact froid et humide du mur de pierre sur sa droite. Avec l’écho inquiétant de ses pas comme seule compagnie, plusieurs fois il prit peur, imaginant que quelque monstre caché le suivait ou le précédait, attendant patiemment qu’il franchisse tel ou tel tournant pour lui bondir dessus. Mais il n’y avait que ses pas, rien que ses pas, escortés par la présence assourdissante de ses pensées.

Un halo lumineux finit enfin par apparaître en dessous de lui. Rempli d'enthousiasme et de fébrilité, il dévala les dernières marches. Ce qu’il découvrit alors le subjugua et l’effraya tout à la fois. Débouchant au cœur d’un long couloir aux murs luisants et immaculés, dont l'intégralité était parsemée d’une centaine de petites sphères luminescentes voletant sereinement à trois mètres de hauteur, l’ébéniste resta sans voix. Le sol, blanc et scintillant, était uni comme s’il avait été posé d’un seul tenant. Quelle magie est-ce là ? se demanda Alister. De là où il se trouvait, il pouvait nettement distinguer une sorte de trou ovale à l’autre extrémité de la galerie. Soudain, un rayon de lumière bleue translucide, d’une cinquantaine de centimètres de diamètre et prenant toute la hauteur du couloir, apparut devant lui. De menues perles d’une teinte légèrement plus claire semblaient y danser. Une voix féminine, douce et suave, résonna alors.

− Salutation, M42-37. Veuillez poursuivre votre chemin jusqu'à la salle de l'ascension, je vous prie.

− D...déesse Aémia, est-ce bien vous ? Balbutia Alister en regardant de toute part.

− Oui, on peut dire cela. Venez me rejoindre afin que nous puissions discuter face à face.

Dans un élan de béatitude et de fierté, Alister se mit en marche. Il n'avait pas fait trois pas que la voix d'Aemia retentit à nouveau, sévère cette fois.

− L22-07, que faites vous là ?

Un hoquet de surprise retentit au niveau de l’escalier. Une femme apparut alors dans le couloir. Sa robe était relevée et attachée au-dessus de ses genoux. Malgré son air déterminé, elle tremblait de la tête aux pieds. Le frémissement de ses lèvres et de ses sourcils donnait l’impression qu’elle était sur le point de fondre en larmes.

− Lenaciel ? demanda confusément Alister.

La chancelière ferma les yeux et prit une grande inspiration. Lorsqu’elle les rouvrit, seule une lueur de défi et d'assurance y subsistait. Elle se mit alors à courir en direction de l'ébéniste, l’attrapa par le bras, et le tira de toutes ses forces vers l’escalier en criant.

− Ce n’est pas ce que tu crois ! Vite, nous devons sortir d’ici. Je t’expliquerais Alister, je te le promets, fais-moi confiance.

Décontenancé, il se laissa entraîner sans opposer de résistance.

Ils étaient sur le point de sortir du couloir lorsqu'un choc violent les fit tous deux rouler à terre. Alister se massa le crâne et tourna son regard vers Lenaciel, allongée prêt de lui. Sa main était toujours fermement accrochée à la sienne. La voix résonna une nouvelle fois, maintenant emplie de ce qui ressemblait à une profonde tristesse.

− L22-07, quelle folie est-ce là ? Nous avions placé de grands espoirs en vous... tout est maintenant gâché. Vous avez échoué.

Lenaciel s’éleva alors dans les airs, comme tirée par d’innombrables petits câbles invisibles. Elle éclata en sanglots, ses larmes ruisselaient sur le visage désemparé et effrayé d’Alister. Leurs mains étaient toujours jointes, ils se tenaient maintenant à bout de bras. Au milieu de ses pleurs, la jeune femme réussit à articuler.

− Non, s’il vous plaît ! Ce que vous m’avez demandé est trop cruel.

− C’est bien pour cela que cet acte représentait votre épreuve, elles le sont toujours. Vous le saviez, L22-07.

− Pitié ! Laissez nous simplement oublier, vous en avez le pouvoir. Laissez-nous vivre dans l’ignorance, ensemble, encore une fois, comme tous les autres.

Lenaciel plongea alors son regard dans celui d’Alister. Derrière la terreur qui dominait ses pupilles brillantes et dilatées, un océan de tendresse et de regret transparaissait. Elle resserra encore la prise qui les liait.

− Impossible, lui répondit Aemia.

De petites sphères dorées à l’apparence duveteuse commençèrent à s'échapper du corps en suspension de Lenaciel. Le regard toujours fermement cramponné à celui d’Alister, ses lèvres articulèrent silencieusement trois mots, trois mots qui par leur simplicité et apparente sincérité restèrent à jamais gravés en lui. “Je t’aimerai, toujours”. Le corps de la jeune femme disparut alors dans un ballet de pelotes teintées d’or. Les lunettes qu’elle portait tombèrent sur la poitrine d’Alister, son bras ballant heurta le sol, il sentait encore la chaleur de la chancelière au creux de sa paume moite et tremblante.

Quelques minutes passèrent. L'ébéniste, toujours sur le dos, n’arrivait pas à comprendre ce qu’il venait de se passer. La seule chose dont il était certain, c’est que l’incompréhension et stupéfaction dont il était victime laissait peu à peu place à de la colère. La voix d’Aémia s'éleva une nouvelle fois.

− Il est temps M42-37, avancez je vous prie.

Alister se releva d'un bond, s’essuya le visage encore baigné des larmes de Lenaciel, et aboya.

− Non ! Je ne ferais rien de ce que vous me demanderez. Qu’est-ce qu’il vient de se passer, que lui avez-vous fait ?

− Nous l’avons simplement réveillé. L22-07 a échoué, nous n’avions pas d’autres choix.

Réveillé, nous ? Mais qu’est-ce que vous racontez, et quels sont ces noms que vous nous donnez ?

− Avancez jusqu’à la salle de l'ascension, vous aurez vos réponses.

− Ramenez-la !

− Impossible.

− Vous l’avez fait disparaître, vous pouvez bien la ramener. Faites-le, tout de suite, ou...ou je m’en vais chercher les habitants de Rogobard. A nous tous nous arriverons bien à vous faire plier. Je suis l’Ascenssionné, ils m’écouteront,

D’un pas décidé, Alister se dirigea vers les marches. Impossible d’y accéder. Une sorte de mur invisible l’empêchait d’avancer.

− Tout cela est fort regrettable, M42-37. Le seul choix qui vous est accordé prendra place dans la salle de l'ascension, pas autre part.

Dans un cri de surprise, Alister se retrouva à planer à toute vitesse au milieu de la galerie. De légers picotements lui parcoururent le corps lorsqu’il traversa le rayon de lumière bleue. Les boules luminescentes qui l’entouraient s'étaient transformées en deux rais de lumière uniformes. Au moment où l’ouverture ovale, semblable à une gueule prête à l’avaler, le goba tout entier, la force inconnue qui le manipulait cessa soudainement de le tirer. Il se retrouva projeté dans la salle de l'ascension, roulant sur le sol tel un ballot de paille.

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