Chapitre 18.2

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Deux jours plus tard, les ordres étaient toujours appliqués à la lettre. Will tournait en rond dans ses quartiers comme un poisson rouge dans son bocal. Esmelia avait tenté de réclamer sa libération à plusieurs reprises, mais le capitaine du vaisseau s’abstenait de toute réponse à ce sujet.

Lors de sa dernière tentative, décidée à ce que sa demande aboutisse, elle s’était rendue directement sur la passerelle de commandement. Elle savait qu’elle y trouverait le Drægan en compagnie de ses navigateurs. Depuis qu’ils avaient pris la fuite de Craite, il y passait le plus clair de son temps.

En la voyant arriver, décidée à en découdre avec leur dieu et maître, les deux Sumeriens qui se tenaient aux consoles supérieures s’étaient regardés, sceptiques, avant de décider de ne pas chercher à chasser l’intruse. Néanmoins, ils restèrent aux aguêts prêts à intervenir au cas où elle agresserait leur maître avec autre chose que des mots ou, tout simplement, prêts à l’expulser de la passerelle sur l’ordre de l’ancien dieu. Elle les soupçonna aussi de se réjouir du spectacle qui allait venir tant ils donnaient l'impression de s'ennuyer ferme.

Le jeune navigateur suppléant qui se trouvait à la console de pilotage centrale, sur la passerelle inférieure, aux côtés de Baal sentit que quelque chose se tramait dans son dos. Il se retourna et roula alors tellement des yeux qu’ils auraient pu tomber de leurs orbites. Pour lui, Esmelia était avant tout une femme sans qualification à bord de ce vaisseau, une étrangère à leur monde qui venait de pénétrer dans un lieu uniquement autorisé aux navigateurs.

En dehors des aspirants à la navigation spatiale et des pilotes chevronnés, autrement dit, les trois quarts de l’équipage, personne n’était autorisé à pénétrer ce lieu, encore moins sans l’aval du maître du vaisseau ou de son second.

Ignorant ostensiblement le règlement comme les usages, Esmelia avait foncé droit sur Baal et l’avait abordé sans s’occuper du protocole.

Imperturbable, il écouta ses arguments concernant la libération de Will.

Elle se rendit compte trop tard que, loin d’arranger les choses, elle les venait de les aggraver.

Très calme, le Phénicien lui répondit dans ce qui aurait pu passer pour un sourire si ses yeux ne reflétaient pas le contraire.

— En général, je n’accepte les femmes civiles sur mon vaisseau que pour trois raisons : leurs connaissances scientifiques, les tâches ménagères qu’il serait inconcevable de demander à mes soldats d’exécuter, et les distractions qu’elles peuvent me procurer. Je vous ai donné, il me semble un travail à effectuer et une mission à accomplir. Si je juge que cela ne vous convient pas, il se pourrait que je change d’avis. Estimez-vous heureuse si ce n’est pas le cas.

Il fit une pause, la laissant croire un trop court instant qu’il en avait terminé, avant de poursuivre :

— Et soyez encore assurée d’une dernière chose : je n’accepterai ni de vous, une Terrienne, ni d’aucun autre individu quelle que soit son origine ou son espèce, qu’il me dicte ma conduite. »

Il avait parlé d’une voix dénuée d’émotion, aussi tranchante que la lame avec laquelle il avait coupé la tête de Susanoo.

Elle avait alors considéré que le mieux était de se retirer pendant qu’il en était encore temps. N’étant pas au fait des us et coutumes drægans, elle ne tenait pas à ce qu’il prenne l’un de ses prochains gestes pour une nouvelle provocation.

Elle se mordit la lèvre inférieur. Décidément, il n’allait pas être facile de lui expliquer qu’il avait une mission, un rôle, à jouer dans les événements à venir. Plus encore : que l’avenir de l’univers reposait en partie sur ses épaules, dans sa capacité à fédérer les bonnes personnes et à les pousser à œuvrer pour une même cause. En plus s'il s'y prenait comme avec elle, cela n'était pas gagné. Loin de là.

Esmelia avait cligné des yeux, consciente du blanc qu’elle venait d’avoir.

De retour à la réalité, elle avait amorcé son retrait et allait remonter les deux marches de la passerelle centrale lorsque, d’un claquement de langue, il l’arrêta. Presque dans le même temps, il lui attrapa le bras, sans précipitation, ni violence. Il le serra fermement en l’obligeant à reculer et à se rapprocher de lui.

Apparemment, elle ne se retirerait pas sans son accord. Mieux valait-il faire amende honorable.

— Désolée, s’excusa-t-elle d’une petite voix.

Elle n’entendait pas se soumettre pour autant.

Ils s’étaient affrontés un instant du regard.

— Ceux qui ont essayé de me soumettre ne s’en sont jamais remis, lui murmura-t-il à l’oreille d’une voix étonnamment douce.

Une part d’elle aurait voulu s’échapper, mais l’autre aurait souhaité connaître ses pensées les plus profondes.

Ensuite, il l’avait libérée et autorisée à se retirer.

*

Aujourd’hui encore, elle se souvenait de son sourire cruel, et de ses yeux sombres à l’intérieur desquels brillait cette farouche volonté propre aux hommes et aux femmes de pouvoirs. Ils n’admettaient pas que l’on remette leurs actes en cause, surtout devant leurs subordonnés.

Elle aurait dû s’en souvenir. Elle avait suffisamment rencontré d'individus à la tête d’empires financiers, de politiciens et de personnages pas toujours recommandables qui avaient une si haute opinion d’eux-mêmes qu’ils ne toléraient pas que l’on remette leur autorité en doute.

*

Le jour suivant, Will fut autorisé à quitter ses quartiers. Il pouvait aller où il le souhaitait dans le navire, sauf du côté des aires d’appontage. Il y en avait quatorze répartis sur les flancs du vaisseau, ce qui limitait grandement ses déplacements. Chacun était accessible grâce à un réseau de couloirs ou par téléporteur. Le principale se situait sous le ventre. Les chasseurs et la frégate de l’ancien dieu y étaient stationnés depuis l’enterrement de Copy.

Will n’avait plus l’autorisation d’utiliser les téléporteurs ou même de participer à leur remise en fonction. Sans doute parce qu'il avait demandé à un labiré si ces sas pouvaient envoyer des êtres vivants ou des objets à l’extérieur du vaisseau. Celui-ci n’avait pas eu l’air de comprendre. L’idée d’une téléportation hors du vaisseau au beau milieu de l’espace ne le tentant sans doute pas, le Sumerien s’était contenté de rouler des yeux avec effroi, et de rapporter sa conversation à Grama. Celui-ci avait préféré prendre des mesures pour que Will ne tente pas l'expérience.

Esmelia savait que son compagnon n'avait pas ce genre d'idée en tête. Il en avait sûrement une, certes, mais pas celle-ci. Pour Will comme pour elle, tout ce qui les entourait était nouveau. En dehors de cela, la technologie extraterrestre pouvait réserver quelques bonnes surprises.

Comme l’avait ordonné Baal, Will avait occupé son temps désormais libre à rassembler tous les ouvrages qu’il avait pu trouver dans un lieu unique, une petite pièce dans laquelle se trouvaient déjà des tables et des étagères.

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