Chapitre 19.2

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La labirée n’avait absolument pas compris les allusions cinématographiques, ni le reste. Elle s’était tout de même empressée de tout rapporter à Baal qui était venu voir, en personne, ce qu’il en était vraiment.

Il avait jeté un bref regard aux vêtements, puis à elle, et relevé un sourcil. Soit le signe qu’il était dans de bonnes dispositions et allait remédier à la situation, soit il ignorait ce qui la chiffonnait dans le port d’un monokini orange citrouille à paillettes et pompons de fourrure assortis ou dans celui d'un voile de brume fuchsia couvrant tout juste son intimité. Le "tout juste" n'était pas seulement une expression.

Elle se doutait bien qu’il y avait peu de chances pour l’ancien dieu phénicien ait des envies de plage, de baignade et de bronzage sous les triples soleils d'une planète idyllique.

Elle n’avait pas attendu qu’il ouvre la bouche pour lui expliquer qu’il était hors de question qu’elle porte un tel vêtement. Pour le convaincre, elle lui donna quelques bons arguments. Notamment que les années dix-neuf cent soixante-dix, comme les deux mille soixante étaient passées depuis longtemps. La mode n’était plus à la liberté des corps, ni au minimalisme et à la transparence sous toutes ses formes. Elle était une Terrienne, fière de l'être et qu'aucune Terrienne digne de ce nom n'oserait porter ce genre d'accoutrement

Elle-même, jamais de sa vie, elle n’avait accepté de porter une robe qui en montrait plus qu’elle ne devait suggérer. Elle trouvait cela vulgaire en comparaison des tenues qui laissaient vagabonder l’imagination. Ce n’était pas aujourd’hui, ni demain du reste, qu’elle allait se promener les seins à l’air sur une planète extraterrestre, ou dans un vaisseau spatial. Elle espérait plus de sobriété en tant que première Terrienne à explorer l’espace et des planètes dont ses semblables ne connaissaient même pas l’existence dans la galaxie.

Baal n’avait pas cherché à la contredire. Il l'avait écoutée, l'air passablement exaspéré au bout d'un moment, et lui avait concédé le droit de choisir ses propres tenues avec l’aide de la servante. Celle-ci n’en demandait pas tant et espérait voir la fin de sa corvée arriver rapidement.

Esmelia s’était abstenue de pérorer sur sa victoire. Cependant, elle savait qu'elle aurait du mal à accepter un refus de la part de l'ancien dieu.

Baal lui donna néanmoins quelques consignes qui n’allaient pas forcément dans le sens des goûts personnels de la jeune femme.

L’une d’entre elles était de rester dans les couleurs du dieu phénicien, voire dans le style. Ce qui, en soi, n’était pas contraignant. Certes, elle n’aimait pas le gris et ne portait aucun intérêt à la mode dræganne. Une autre était que sa tenue ne devait en aucun cas entraver ses mouvements si elle avait à combattre un ou plusieurs ennemis. Ça, ce n’était pas pour lui déplaire. Du moins, la partie concernant la tenue. La partie "ennemis" lui sembla brutalement plus délicate à négocier, voire impossible tant qu'elle n'avait aucune idée du genre d'ennemi qu'elle pourrait être amenée à rencontrer.

Avec l’aide de la servante, Esmelia parvint à choisir des tenues correctes à l’égard de sa pudeur, et d’une certaine élégance quelle que soit la situation dans laquelle elle pourrait se trouver. Certaines étaient assez proches de l’armure d’apparat tout en ressemblant à une robe de soirée. Les tissus, d’apparence anodine, étaient étudiés pour résister aux objets contondants et perforants.

En repensant aux tenues qui lui avaient été initialement présentées, elle ne put s’empêcher de se demander comment une civilisation si orgueilleuse, si tapageuse, et si immature, avait pu survivre autant de temps sans se faire assimiler par une autre plus ambitieuse, plus pondérée, plus calculatrice.

En réalité, elle aurait pu être nue au milieu d’une foule, cela n’aurait pas porté atteinte à son amour propre, car Esmelia n’avait gardé aucun souvenir de ce qui avait pu arriver entre l’instant où Baal avait plongé sa navette dans la Bouche et leur retour sous le feu de vaisseaux ennemis.

Elle ne pouvait pas s’en souvenir, car L’Autre, la Créature en elle, avait pris le relais. Esmelia avait seulement mémorisé l’apparence du Portail : une magnifique iris dorée au milieu de nuages rouges et bruns. Il lui avait aussi semblé que son ouverture avait été provoquée par l’Ancien dieu, ou par l’approche de sa navette. Elle ne se souvenait plus exactement...

En tous les cas, il était capable de trouver une Bouche perdue au milieu de nulle part et invisible aux yeux des Terriens. Il connaissait au moins une façon d’ouvrir de ces passages subspatiaux qui leur permettaient de franchir des distances incommensurables en quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures, au lieu de plusieurs centaines de décennies ou de dizaines de générations humaines.

Elle avait à peine eu le temps de songer qu’il serait intéressant d’en savoir plus sur le sujet. Elle avait surtout deviné qu’il y avait peu de chance pour que l’ancien dieu révèle ses secrets de son plein gré.

Durant presque tout le temps qu’ils avaient passé hors de la navette, elle avait eu l’impression de s’être endormie et d’avoir rêvé. À leur retour, c’était comme si elle s’était réveillée avec des souvenirs qui n’étaient pas les siens.

Elle aurait dû s’en inquiéter. Au contraire, elle s’était sentie apaisée comme si, ce qu’elle pouvait appeler une « dissociation », avait calmé l’âme qui sommeillait en elle ou l’avait rassasiée.

Pourquoi ne se souvenait-elle donc que des rêves ? Était-ce vraiment des rêves ? Non, il s'agissait bien d'autre chose. Avait-elle été spectatrice dans son propre corps, comme elle le supposait ? Si c’était le cas, alors qui était aux commandes dans ces moments-là ? Pourquoi ces pertes de mémoires devenaient-elles plus fréquentes, plus longues ? Que se passait-il vraiment lorsqu’elle « s’absentait » ? Que deviendrait son corps si elle ne parvenait pas à reprendre conscience ? Combien de temps encore parviendrait-elle à donner le change ?

Autant de questions dont elle ignorait les réponses…

La plus importante du moment était sans doute celle-ci : la gravité de son mal était-il lié aux Portails ? Son mal s'était aggravé depuis le CET qui était aussi une Bouche.

Les Bouches, appelées aussi Passages, Portes, Trous de ver, Corridors, Portails, Tunnels, Brèches, Seuils, Tremplins, Entrées, Porche, Accès, Trouées ou encore Déchirures, Crevasses, Fractures, Fissures, Failles... Dans autant de langues qu’il pouvait en exister dans l’univers. Elles permettaient de se rendre, en un minimum de temps au lieu de centaines d’années, d’un endroit à un autre de la galaxie. Peut-être même de l’univers s'il existait des sortes de Super Bouches.

Au moment où elle avait perdu le contact avec la réalité, Baal lui expliquait qu’ils participeraient à plusieurs entrevues réunissant des souverains drægans, et peut-être même à un Conseil de Chanceliers.

Ce genre de réunion avait lieu tous les trois cents ans, temps terrestre, environ. Un message lui était récemment parvenu, l’invitant à y assister. Il ne lui avait pas caché son étonnement et ses doutes quant à un piège destiné à le capturer ou à le tuer. D’autant que cette invitation arrivait quelques semaines après la mort de Susanoo et d'Ame No Uzume, affiliés à des deux des Drægans les plus influents, et dangereux, du Conseil. Il avait toujours compté s’y rendre, oui, mais pas de manière officielle. Il avait été destitué de ses fonctions environ deux cents ans plus tôt, et il avait toujours été persuadé que personne ne souhaitait le revoir.

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