Chapitre 24.2

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Perséphone ne lui laissa pas le temps de terminer :

— Tu penses que ces mondes et tout ce qui les peuplait ont disparu sans laisser de traces, juste parce qu’ils en avaient l’envie ?

Quelques Drægan ne purent s’empêcher de sourire, mais ils n'étaient pas dupes. Derrière l'ironie feinte de la déesse, il y avait une véritable inquiétude qu'ils partageaient tous à différents degrés. Sans tenir compte de leurs réactions, elle poursuivait :

— Pour des créatures dont l’espérance de vie est de moins d’un siècle, c’est déjà quelque chose de savoir que leur monde va être détruit de leur vivant… Il est impossible qu’il n’y ait pas eu d’appel à l’aide de leur part. Sauf si rien n’indiquait l’imminence d’une attaque ennemie et que celle-ci ait été foudroyante, implacable et… définitive. De l’ordre de quelques secondes à quelques minutes… Sur tout ce qui était viable dans la totalité du système attaqué.

Perséphone lança un clin d’œil à Esus, ce qui le fit enrager intérieurement. Elle ne se moquait pas de lui. En fait, elle le remettait indirectement à sa place. Il mit toutes ses forces à ne pas montrer la colère qui bouillait en lui, mais son regard le trahissait.

Si Esus se sentait particulièrement visé, la remarque de la Dræganne leur permit surtout, à tous, de comprendre qu’il serait vain d’élever des armées au cours des prochains cycles, aussi nombreuses soient-elles, contre un tel ennemi, plus encore de fuir.

Perséphone soupira :

— Dans le meilleur des cas, nous ne pouvons être certains de l’endroit où se niche vraiment cet ennemi qui a, peut-être, anéanti la vie dans ces systèmes. Il ne peut qu'en voulant mettre de la distance entre lui et nous, nous nous rapprochions au contraire. Et même si nous parvenions à nous en éloigner, lorsqu’il nous trouvera, il ne fera qu’une bouchée de nos forces. Quelle différence cela fait que cela arrive aujourd’hui, ou dans un millier d’années ?

— Tu proposes d’attendre notre tour ? la questionna Priape.

Perséphone ignora ostensiblement son intervention

— Quelques-uns d’entre nous, ici présents, seront encore en vie pour le voir. Ils auront seulement passé la fin de leur existence à fuir. Tu veux conquérir autant de mondes que nos aînés avec tes belles armées, Esus ? Ne te gêne pas. On se souviendra de toi comme le rashu qui voulait être Zeus ou Odin pendant…

Elle fit mine de réfléchir, avant d’ajouter avec un sourire narquois :

— À l’échelle de l’univers… Pendant rien du tout. Même pas le sursis de la chute d’un grain de sable dans le Grand Sablier du Temps avant que nous soyons tous exterminés.

Anat toussota. Elle entrevoyait clairement dans la disparition de ces milliards de galaxies, et plus encore dans le discours de Perséphone, la marque d’un ennemi si puissant qu’il valait mieux ne pas se trouver sur son chemin. Le genre d’ennemi dont les anciens dieux pouvaient fort bien se passer. Le genre d’ennemi qui n’avait aucun besoin de dieux déchus et inutiles.

Valait-il mieux mourir plutôt que d’accepter le joug de l’esclavage ou une mort plus atroce que ce qu’elle pouvait imaginer ? Dans ce cas, elle préférait choisir sa mort et celle de ceux dont elle avait la responsabilité ou l’amour. Demain ou un millier d’années avait dit Perséphone... Cela confirmait les visions de ses oracles. L’ennemi était aux portes de certains de leurs royaumes. Il avait peut-être même déjà infiltré leurs rangs.

Esus intervint. Gardant les yeux clos, comme s’il visualisait sa pensée, il parla d’une manière calme et détachée.

— Nos aînés étaient tellement remplis d’arrogance, dit-il calmement. C’est ce qui leur a coûté la vie. Cette folie et cette trop grande estime qu’ils avaient d’eux-mêmes ont été le point de départ de notre chute en tant que dieux, et en tant que civilisation.

Lorsqu’il souleva enfin les paupières, ce fut pour regarder fixement devant lui, comme si, contrairement à son corps, son esprit s’était absenté dans une autre dimension.

Il poursuivit :

— À cause d’eux, de nombreuses civilisations ont découvert que, non seulement nous n’étions pas des dieux mais, surtout, que nous n’étions pas immortels. Nos empires sont tombés les uns après les autres. Nous ne pouvions plus exercer la moindre influence sur les domaines que nous avions érigés. Pire encore, nos sujets ont pris les armes contre nous.

Sa voix baissa d’un ton et devint à peine audible.

— Beaucoup des nôtres sont morts avant d’avoir pu fuir, et de se réfugier dans les pires trous de l’univers.

— Nos sujets ? C’est ainsi que tu les voies ? Pourquoi pas nos créations pendant que tu y es ?

Esus planta son regard dénué de toute expression dans celui de Teutatès.

— J’y songeai… Sans nous, ces créatures seraient encore en train de se rouler dans la boue ou le sable de leurs misérables planètes. Au lieu de nous remercier de les avoir sortis de leur état de bêtes immondes, ils nous ont… chassés et bannis.

— Parle pour toi, Esus, fit Perséphone dans un sourire mi-figue, mi-raisin. En ce qui me concerne, j’ai encore mon empire… Il en va de même pour Ereshkigal. Et nous sommes encore vénérées par les… Les autochtones.

— Pareil pour moi, ajouta Divona. Et cela ne me gêne absolument pas de les appeler mes "sujets". Un clatum est un clatum.

— D’un autre côté, qui voudrait d’une planète obscure, sableuse, ou sans la moindre once de Terre et balayée par les vents ? Des mondes inhabitables... Ils sont beaux vos royaumes ! pouffa Scáthach.

— C’est vrai que Mélime, côté soleil, ça chauffe un peu… Mais pas autant qu’aux enfers, fit Dercéto avec un sourire goguenard.

— Ma planète te plairait pas, lui renvoya Divona. Toi qui refuses de montrer la peau de ton hôte au soleil de peur qu’elle se flétrisse trop vite.

— Mesdames ! les interrompit sèchement Apollon qui voyait une bataille de mégères se profiler.

Dercéto et Divona acquiescèrent immédiatement. La situation était suffisamment grave sans en rajouter.

Erra prit la parole avant qu’Apollon décide d’aborder un autre sujet.

— Il n’en reste pas moins que l’idée d’Esus n’est pas totalement dénuée de sens. Tels que nous sommes aujourd’hui : déchus, sans royaumes ni fidèles, qui voudrait traiter avec nous ? Personne évidemment. Pas même nos voisins les plus proches, je suppose. Si nous pouvions retrouver notre magnificence d’autrefois, nous pourrions négocier notre… reddition.

— Quel ennemi ne verrait pas un avantage à s’allier avec ceux qui leur apporteraient des forces supplémentaires ? lâcha Freyr.

— Un ennemi dont nous ne connaissons rien, lui répondit Teutatès d’une voix sombre. Un ennemi qui ne fonctionne sûrement pas comme nous, et dont les motivations nous sont, jusqu’à présent, totalement inconnues.

— Qu’en est-il de la Nâga ? demanda soudain Taranis.

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