Chapitre 30.1

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Au cours des deux jours qui suivirent, Esmelia croisa Baal à plusieurs reprises. Il s’enquit poliment de sa santé, et de la progression de ses lectures, mais à aucun moment il ne lui parla de la visite de Teutatès. Elle s’étonnait qu’il n’ait pas cherché à savoir ce que le dieu gaulois lui avait raconté.

Baal fit aussi porter cinq de ses précieux ouvrages personnels à Will. Le Terrien ne s’attendait plus à les obtenir malgré ses demandes répétées, aussi exprima-t-il une joie qui laissa l’ancien dieu de marbre. Celui-ci lui recommanda seulement d’en prendre le plus grand soin, et de ne laisser personne les lire. Ce qui ne risquait pas d’arriver étant donné qu’à part lui, Esmelia, Grama ou la chamane, personne ne semblait être intéressé par les livres. Sans doute redoutait-il une utilisation plus pratique de certaines feuilles encore particulièrement agréables au toucher malgré leur âge.

Deux jours plus tard, les denrées et les nécessaires d’hygiène listés par Will avaient été déposés dans sa cabine, accompagnés d’un laissez-passer aux cuisines du vaisseau. La signification était claire : s’ils voulaient manger ce dont ils auraient envie, à l'heure qui leur plairait, ils n’auraient qu’à le cuisiner eux-mêmes.

Will n’en prit pas ombrage, contrairement à elle qui détestait cuisiner. Peut-être pour éviter un nouvel incident diplomatique avec Baal, Will promit de lui préparer toutes sortes de plats si elle en avait envie, un soir. Il prétendait ne pas être un si mauvais cuisinier. Il avait vécu toute son enfance et une bonne partie de sa jeunesse dans une communauté de femmes, alors forcément il lui était impossible d’échapper aux devoirs quotidiens comme la cuisine, par principe d’égalité.

Les produits ne semblaient pas provenir de la Terre. Pourtant, celui qui avait fait les courses ne s’était pas économisé pour trouver exactement ce dont ils avaient besoin en moins d’une semaine. Will avait demandé à l’un des labirés comment ils avaient pu trouver des denrées qui pouvaient aisément passer pour terriennes. Pour lui, à part au niveau des emballages, on ne voyait quasiment aucune différence.

Le labiré eut une expression dubitative cherchant à comprendre ce que demandait ce que voulait dire l'Extrasumérien.

Will se souvint de ce que Teutatès avait dit à Esmelia au sujet de la Terre. Personne ou presque en dehors de la Terre ne la connaissait sous cette appellation.

— Gaïa ? corrigea-t-il.

Le visage du labiré s’éclaira. Pas excessivement, remarqua Esmelia, mais suffisamment pour montrer qu’il avait enfin compris.

— Nous avons reconditionnés toutes nos acquisitions sur Gaïa après en avoir pris possession.

Will était resté bouche bée.

— Vous voulez dire que vous êtes allés sur Gaïa ces derniers jours ?

— Je n’y suis jamais allé personnellement. D'après Siri, c’est une planète beaucoup trop dangereuse pour nous.

Esmelia s’était souvenue que Siri était la garde du corps personnelle de Baal. Elle en fit part à Will discrètement tandis que le labiré poursuivait :

— Notre maître aime cette planète. Il s’y rend au moins une fois par an… Je crois qu’il a un rendez-vous régulier là-bas.

Conscient qu’il risquait de trop en dire, il se tut.

Will avait failli se décrocher la mâchoire sous l’effet de la révélation.

Un rendez-vous régulier ? Ce n'était sûrement pas son banquier. Sûrement pas non plus pour une visite médicale. Esmelia ne doutait pas que Baal ait sûrement un banquier gérant ses comptes, ou qu'il prenne soin de sa santé, mais le premier ne gérait sûrement pas des fonds sur une petite planète oubliée de tous, quant à la seconde option, il y avait très probablement dans une autre galaxie des médecins à la pointe d'un progrès encore inexistant sur la Terre et très au fait des pathologies extraterrestres. Un rendez-vous amoureux peut-être ? Il était déjà tombé amoureux d'une Terrienne. Teutatès lui avait expliqué qu'elle avait été son seul véritable amour. Malgré tous ces siècles passés, peut-être continuait-il à lui rendre hommage.

— Il s’y est rendu récemment ? demanda alors Esmelia.

— Pas que je sache, répondit laconiquement le labiré

— Donc, vous êtes en train de nous dire que ces produits viennent vraiment de la Terre... de Gaïa, insista Will qui n'en revenait toujours pas. Vous les avez depuis des mois et que vous les conserviez dans une des réserves du vaisseau ?

— Oui... Je crois...

— Pourquoi les reconditionner ?

Le labiré eut un court moment de réflexion avant de répondre.

— Produit d’exportation, finit-il par répondre. Notre maître ne veut pas que l'on sache d'où ils viennent vraiment en cas de contrôle de la part du Bureau des Commerces Galactiques et pour éviter que ses concurrents piratent ses ressources à la source.

Will regarda Esmelia qui se retenait de rire.

— Tu trouves ça drôle ? s'étonna-t-il. Des trafiquants de produits terriens ! Nous sommes à bord d’un vaisseau de contrebandiers !

— Ce que je trouve drôle, c'est que nous nous en rendions compte que maintenant, répondit-elle avec un grand sourire.

Will éclata de rire à son tour.

Le labiré avait compris leur étonnement, moins leur joie soudaine. Mais il sentait que la situation, pour autant qu'elle lui semblait surprenante, était nettement moins tendue.

— Ça paye bien, fit-il. Dans un sens comme dans l’autre. Les bienfaits de Gaïa sont très recherchés et peuvent rapporter beaucoup. De quoi faire réparer plusieurs de nos vaisseaux.

— Comment ça « Dans un sens comme dans l’autre » ? s’étonna encore Will.

Cette fois, le labiré sentit vraiment qu’il en avait trop dit.

Son silence fut éloquent.

Esmelia répondit à sa place :

— Ils fournissent les extraterrestres qui se cachent sur la Terre.

Will la regarda, surpris.

Esmelia haussa les épaules comme si ce qu’elle venait de lui dire n’avait absolument aucune importance. Ce qui n’était pas loin d’être le cas.

— Bah oui… Ceux que le CENKT pourchasse depuis des siècles.

— Tu sais ça, toi ?

Elle biaisa :

— Je te rappelle que j’ai infiltré l’AMSEVE.

— C’est vrai, admit Will sans chercher plus d’explications.

Il s’adressa de nouveau au labiré qui tentait de prendre discrètement la tangente.

— Vous avez dit que Baal se rendait une fois par an à un rendez-vous sur la Terre.

— Je n’ai pas dit cela, tenta-t-il de nier.

— Vous l’avez dit, le contra Will. Où se rendez-vous a-t-il lieu ? Qui doit-il rencontrer ?

— Notre dieu apprécie vraiment beaucoup cette planète, répéta-t-il. Il lui arrive d’y rester de longues périodes. En général, dans ces moments-là, il nous permet de rentrer chez nous, auprès de nos familles.

Autrement dit, il n’avait aucune idée de ce que pouvait faire Baal sur la Terre et avec qui.

Will et Esmelia remercièrent le labiré qui n’en demandait pas autant. Il s'éclipsa rapidement, les laissant avec l'image d'un extraterrestre qui était considéré comme un dieu dans certaines galaxies, même si c’était un dieu mort, qui, sans être un réfugié, considérait la Terre comme sa résidence secondaire tout en étant à la tête d’un trafic de denrées alimentaires et d’objets divers entre le système solaire et d’autres systèmes de la voie lactée.

— Je te jure que je vais le trouver cet entrepôt, fit Will dès qu’il fut certain que le labiré ne pouvait plus l'entendre. Je suis trop curieux de savoir ce qu’il contient, et surtout si on peut découvrir qui Baal rencontre régulièrement sur la Terre.

— Je pensais que nous avions fouillé tout le vaisseau.

— Il faut croire que non.

— Je ne suis pas sûre que cette histoire de rencontre soit vraie.

— Je suis certain que le labiré n’a pas menti là-dessus.

— Il s’est peut-être mépris. Je suppose que les rumeurs courent dans un vaisseau extraterrestre aussi facilement que dans une entreprise terrienne ou sur les réseaux de communication.

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